Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
23/10/2009
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des tiers, Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat, Manquement au devoir de probité (devoir de respecter les exigences des bonnes mœurs), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de loyauté à l’égard de l’institution judiciaire), Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Avis
Révocation sans suspension des droits à pension
Décision Garde des sceaux
Conforme (3 novembre 2009)
Mots-clés
Poursuites disciplinaires (renvoi)
Atteinte sexuelle
Mise en examen
Viol
Mineur
Pédophilie
Pornographie
Avocat
Magistrat intégré
Image de la justice
Délicatesse
Tiers
Etat de magistrat
Probité
Bonnes mœurs
Dignité
Institution judiciaire (loyauté)
Honneur
Institution judiciaire (confiance)
Révocation sans suspension des droits à pension
Substitut du procureur de la République
Fonction
Substitut du procureur de la République
Résumé
Mise en examen d’un magistrat des chefs de viols et agressions sexuelles commis antérieurement à son intégration dans la magistrature. Commerce de vidéos pornographiques mettant en scène des mineurs
Décision(s) associée(s)

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet ;

Vu l’article 65 de la Constitution ;

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée ;

Vu l’arrêté du 16 juin 2006 de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, interdisant temporairement à M. X d’exercer les fonctions de substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de … ;

Vu les dépêches, en date du 19 juillet 2006, de M. le garde des sceaux, ministre de la justice et du 18 janvier 2008 de Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, et leurs pièces annexées, à M. le procureur général près la Cour de cassation, président de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, saisissant cette formation pour avis sur les poursuites disciplinaires diligentées à l’encontre de M. X ;

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, mis préalablement à sa disposition ;

M. X a pris connaissance de sa convocation et du rapport le 22 juillet 2009 ; l’ordre de mission relatif à sa comparution devant le Conseil lui a été remis le 27 août 2009 ;

Le 22 septembre 2009, à l’ouverture de la séance, M. le procureur général près la Cour de cassation, président de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, a constaté l’absence de M. X et de son conseil ; après quoi, il a sollicité l’avis de Mme Dominique Lottin, directrice des services judiciaires, assistée de Mme Béatrice Vautherin et de Mme Florence Croize, magistrats à cette direction, sur la publicité des débats ;

Alors qu’il s’apprêtait à délibérer, le Conseil se voyait remettre par M. le secrétaire général, un certificat médical prescrivant un arrêt de travail du 17 septembre au 1er octobre, accompagné d’un courrier de M. X adressé par voie postale et qui était parvenu à l’instant même à la Cour de cassation ;

Ces pièces étaient transmises à Mme Dominique Lottin, directrice des services judiciaires, qui présentait ses observations ;

- Sur la demande de renvoi

Le Conseil a été saisi, par courrier du 17 septembre 2009 posté le 18 septembre suivant, d’une demande de renvoi fondée sur des motifs d’ordre médical, parvenue le 22 septembre au cours de la séance. M. X avait la faculté de se faire représenter par l’un de ses pairs ou par son avocat en application des articles 54 et 64 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée ; l’arrêt de travail, avec autorisation de sortie, qui lui a été prescrit le 17 septembre 2009, lui laissait le temps nécessaire pour saisir son avocat ;

Le Conseil, après en avoir délibéré, a rejeté la demande de renvoi ;

- Sur la publicité des débats

Le Conseil, après en avoir délibéré, a estimé que, ni la protection de l’ordre public, ni celle de la vie privée, ni aucune circonstance spéciale de nature à porter atteinte au crédit de la justice ne justifiaient qu’il soit fait exception au principe de publicité de l’audience ;

A la reprise des débats, M. Yves Gambert, rapporteur, a procédé à la lecture de son rapport ;

Mme Dominique Lottin, directrice des services judiciaires, a été entendue et a présenté ses demandes ;

- Sur le fond

- Sur les griefs visés dans la dépêche du garde des sceaux du 19 juillet 2006

Aux termes de la dépêche susvisée, le Conseil supérieur de la magistrature a été saisi de faits de viols et d’agressions sexuelles commis par M. X, au cours des années 1986 et 1987, sur …, née le 29 avril 1973, et …, née le 6 juin 1977 ;

Alors avocat au barreau de …, M. X avait engagé la fille d’une ancienne cliente, …, pour effectuer quelques travaux de ménage dans les locaux de son cabinet ;

Le 17 février 2006, Mme …, alors âgée de 33 ans, déposait plainte contre M. X pour de multiples faits d’atteintes sexuelles ; outre plusieurs épisodes d’attouchements impudiques, elle décrivait une scène au cours de laquelle, avec sa sœur …, elles avaient été contraintes de le masturber et de lui pratiquer une fellation ; elle indiquait que ces faits s’étaient produits dans les locaux du cabinet d’avocat de M. X ;

Le 29 mars 2006, Mme … déposait plainte à son tour ; elle confirmait l’existence de la scène rapportée par sa sœur … et révélait d’autres agressions sexuelles commises notamment lorsqu’il l’emmenait au golf ;

Au cours de l’enquête, Mme …, épouse du mis en cause, indiquait que, dès le début de leur mariage, M. X avait montré des tendances pédophiles ; elle ajoutait qu’elle l’avait incité à se faire soigner et qu’il avait arrêté sa thérapie en 1994 ; elle précisait ignorer que son mari avait employé pendant le week-end une jeune fille mineure pour faire le ménage de son bureau et qu’il se faisait accompagner par celle-ci et sa sœur au golf, alors que ses propres fils restaient à la maison ;

M. X a confirmé, au cours de l’enquête pénale, l’exactitude des éléments de contexte décrits par Mmes … ; concernant les faits constitutifs d’atteintes sexuelles, après les avoir réfutés, il a avoué avoir éprouvé une attirance physique pour … et a reconnu la commission d’agissements répréhensibles tout en les minimisant ;

Il a, toutefois, nié avoir commis de tels agissements à l’encontre de …, reconnaissant seulement lui avoir caressé les cuisses, ces gestes n’ayant, selon lui, aucune connotation sexuelle ;

Il ressort de l’examen des pièces de la procédure que les déclarations de Mmes … ont toujours été réitérées dans les mêmes termes, y compris au cours des confrontations avec M. X ; elles sont concordantes, alors même que n’habitant plus ensemble depuis 1988 et n’ayant conservé que des relations très lointaines et tout à fait épisodiques, les victimes n’avaient pas la possibilité de se concerter ;

Les détails matériels et les circonstances qu’elles ont évoqués sont avérés ;

Les accusations de Mme … sont corroborées par le témoignage de proches auxquels elle s’était confiée après sa majorité ; enfin, les atteintes sexuelles et les circonstances de leur commission sont similaires à celles décrites par les autres victimes ;

En revanche, M. X a varié dans ses déclarations ; il a, d’abord, qualifié les accusations de « mensonges éhontés », puis est revenu sur ses dires, ne reconnaissant que les faits pour lesquels la prescription de l’action publique était acquise ;

En conséquence, le Conseil considère que les faits visés dans la dépêche du garde des sceaux du 19 juillet 2006 sont établis ;

- Sur les griefs visés dans la dépêche du garde des sceaux du 18 janvier 2008

Il est reproché à M. X d’avoir :
- entre 1978 et 1987, commis des faits d’agressions sexuelles sur l’une de ses nièces, …, née le 20 décembre 1972 ;
- entre 1988 et 1990, commis des faits d’agressions sexuelles sur une autre de ses nièces, …, née le 12 novembre 1981 ;
- entre 1994 et 1997, commis des faits de viols et d’agressions sexuelles sur …, née le 19 janvier 1984 ;

Au cours de ses auditions, Mme …, épouse de M. X, révélait l’existence d’autres victimes, parmi lesquelles les nièces de son mari, …, ainsi qu’une jeune fille dénommée … ;

Mme …, née le 20 octobre 1972, déclarait avoir subi des attouchements de la part de son oncle au cours d’une période allant de 1978 à 1987 ; elle se souvenait que ce dernier lui avait demandé de ne pas en parler à ses parents ; sa sœur …, née le 12 novembre 1981, relatait, elle aussi, avoir été victime d’agressions sexuelles commises par M. X entre 1988 et 1990 ;

Entendu dans le cadre de l’information judiciaire, M. X a reconnu avoir eu des gestes inconvenants à l’égard de …, tout en minimisant le nombre et la gravité de ses agissements répréhensibles ; concernant les faits décrits par Mme …, il a avoué s’être « frotté » contre elle lorsqu’elle avait entre 7 et 9 ans, mais a estimé qu’il n’y avait pas de connotation sexuelle dans son attitude ; confronté à sa nièce, laquelle ne variait pas dans ses allégations, il a maintenu ses propos, tout en indiquant que … n’était pas « une menteuse » mais qu’il avait « une vision différente de la sienne » ;

Les agressions évoquées par Mme … sont similaires à celles décrites par Mmes …, qu’elle ne connaît pas et qu’elle n’a jamais rencontrées ; elles ont été révélées par des déclarations précises, circonstanciées et réitérées lors d’une confrontation ;

Dans les conclusions de l’examen psychologique auquel elle a été soumise, Mme … est décrite comme « une jeune femme […] intelligente, au discours clair et cohérent, et qui exprime des affects compatibles avec les faits dénoncés » ; soucieuse de « tourner la page », elle n’a pas adopté une attitude vindicative à l’égard de son oncle ; enfin, c’est à l’occasion d’investigations judiciaires consécutives aux déclarations de l’épouse de M. X que la révélation des faits est intervenue ;

L’ensemble de ces éléments démontre que les faits dénoncés par Mmes … sont établis ;

En 1994, M. X, qui avait un cabinet secondaire d’avocat à …, et pour cliente, au titre de l’aide juridictionnelle, Mme …, avait proposé de donner des cours de lecture à sa fille, …, âgée de 10 ans ; ces cours étaient dispensés dans la chambre de l’enfant mais M. X emmenait parfois celle-ci à son cabinet ;

Mme … a déclaré que profitant de ces circonstances, M. X lui avait fait subir de nombreuses atteintes sexuelles durant une période d’environ un an ; elle décrivait les attouchements, les gestes et les comportements impudiques qu’il lui avait imposés et précisait qu’il l’avait également contrainte à le masturber et à lui faire des fellations, lorsqu’il l’emmenait dans les locaux du cabinet d’avocat ;

Elle a ajouté, qu’après la commission de ces actes, il lui faisait des cadeaux – sommes d’argent, ordinateur… – et qu’il lui avait même offert un billet d’avion pour se rendre en … chez sa demi-sœur ;

Lorsqu’il a eu connaissance des déclarations de …, M. X a reconnu la véracité de ses propos tenant aux circonstances de ses visites au domicile de la famille … aux détails relatifs à la distribution des pièces de son cabinet, à la présence de certains meubles, à la marque de sa voiture et à l’existence de cadeaux, y compris le billet d’avion ; en revanche, il a nié avoir commis la moindre atteinte sexuelle à son encontre ;

Or, il résulte des pièces de la procédure que c’est au cours d’investigations judiciaires consécutives aux déclarations de l’épouse de M. X que les déclarations circonstanciées de Mme … sont intervenues ; les faits relatés ont été commis dans des circonstances similaires à celles décrites par Mmes … et selon des modes opératoires identiques ;

Il se déduit de ces éléments que les faits reprochés à M. X par Mme … sont établis ;

- Sur les autres faits relevés à l’encontre de …

Il ressort des pièces versées à la procédure qu’une enquête diligentée par la brigade de protection des mineurs de … pour des faits de commerce de vidéos pornographiques mettant en scène des mineurs, avait établi qu’en 1987, M. X, alors avocat à …, avait commandé, par minitel, des cassettes vidéo pornographiques avec de jeunes enfants ; M. X avait, pour sa part, fourni une séquence vidéo amateur, d’une quinzaine de minutes, mettant en scène une mineure de huit à dix ans, dénudée sur une plage, puis dans un appartement, avec un homme adulte se livrant à des attouchements à caractère sexuel et tentant de la pénétrer ;

M. X a reconnu cet échange de cassettes vidéo pornographiques mettant en scène des mineurs ;

Les agissements de M. X, contraires à l’honneur, constituent des manquements particulièrement graves à la dignité, à la délicatesse et sont incompatibles avec les devoirs de l’état de magistrat ; par leur nature, ils portent une atteinte grave et durable au crédit et à l’image de l’institution judiciaire ; s’ils avaient été connus lors de la demande d’intégration directe formée par M. X le 16 octobre 1997, ils auraient fait obstacle à son admission dans la magistrature ;

M. X a forfait à l’honneur ; il y a lieu de l’écarter définitivement de l’exercice de toute fonction judiciaire ;

Par ces motifs,

Après avoir rejeté la demande de renvoi de la séance et dit que les débats se tiendraient publiquement ;

Émet l’avis qu’il y a lieu de prononcer contre M. X la sanction, prévue à l’article 45, 7° du statut de la magistrature, de révocation sans suspension de ses droits à pension ;

Dit que le présent avis sera transmis à Mme le garde des sceaux et notifié à M. X par les soins du secrétaire soussigné.