Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège
Nous, Pierre Drai, premier président de la Cour de cassation, siégeant à la Cour de cassation et agissant en qualité de président du Conseil supérieur de la magistrature, par application de l’article 13 de l’ordonnance n° 58-1271 du 22 décembre 1958 et de l’article 51, alinéa 3, de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
Assisté de M. Y, secrétaire général de la première présidence de la Cour de cassation, assurant le secrétariat du conseil de discipline ;
Avons rendu l’ordonnance ci-après :
Attendu que, par dépêche du 12 décembre 1991, M. le garde des sceaux, ministre de la justice, a dénoncé au Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline, des faits et agissements visant M. X, juge des enfants au tribunal de grande instance de V, et qui constitueraient des fautes disciplinaires ;
Attendu qu’à cette dépêche ont été joints le dossier personnel du magistrat mis en cause et les documents afférents à la poursuite, notamment le rapport de l’inspection générale des services judiciaires ;
Attendu que, par ordonnance du 19 décembre 1991, nous avons désigné M. Souppe, membre du Conseil supérieur de la magistrature, à l’effet de rapporter ce dossier et de procéder à une enquête ;
Attendu qu’il résulte des dispositions de l’article 51 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 que, dès la saisine du conseil de discipline, le premier président a la faculté d’interdire au magistrat incriminé l’exercice de ses fonctions jusqu’à décision définitive ;
Que cette faculté peut même être exercée avant communication au magistrat de son dossier ;
Attendu que, sur un éventuel exercice de cette faculté, nous avons reçu les explications de M. X et celles de ses défenseurs ;
Que, de même, nous avons invité M. le directeur des services judiciaires, représentant M. le garde des sceaux, ministre de la justice, à nous donner son avis ;
Attendu qu’en cet état de notre information et après avoir consulté l’ensemble des pièces du dossier et notamment le rapport établi le 29 octobre 1991 par l’inspection générale des services judiciaires, il nous apparaît qu’il n’y a pas lieu d’interdire à M. X l’exercice de ses fonctions de juge des enfants au tribunal de grande instance de V ;
Attendu, en effet, qu’il est reproché à M. X, d’avoir, dans l’exercice de ses fonctions de juge des enfants, fait preuve d’insuffisances professionnelles en laissant son cabinet dans une « inorganisation administrative totale » faisant apparaître des « anomalies dans le traitement des dossiers civils et un total délaissement du contentieux pénal » ;
Que, d’autre part, il est fait grief au magistrat d’avoir adopté une « attitude contraire à ses devoirs » par des absences entravant le fonctionnement régulier des juridictions collégiales pénales, tout au long de l’année 1991, d’avoir fait preuve d’insubordination à l’égard de magistrats exerçant les fonctions de chef de juridiction et, enfin, d’avoir manqué à ses devoirs d’impartialité et de loyauté, à l’occasion, notamment d’une procédure d’assistance éducative concernant les mineurs Y ;
Attendu que M. X conteste la réalité et la gravité des griefs qui sont formulés à son encontre ;
Que, sans nier l’existence d’une « situation conflictuelle » (qui aurait aujourd’hui disparu) au sein de la juridiction à laquelle il appartient, il explique que cette situation ne saurait lui être imputée à faute, alors que, dit-il, son état de santé déficient et certains « comportements » ou « attitudes » de ses collègues, de certains avocats ou de personnalités du milieu socio-éducatif auraient largement contribué à créer un « climat » fait d’hostilité ou de mépris et, par là même, l’aurait empêché d’assurer, dans la sérénité et la régularité formelle, l’exercice de ses fonctions de juge des enfants ;
Attendu que la mesure d’interdiction temporaire des fonctions, dont les effets, dans la réalité des choses, entraîneraient un préjudice excessif et non réparable pour celui qui la subirait, ne peut être prescrite qu’autant que des faits d’évidence incontestable ou scandaleuse sont d’ores et déjà, rapportés en preuve, à la charge exclusive de celui qui les aurait commis ;
Attendu qu’en l’état des dénégations et contestations opposées par M. X (dont certaines s’appuient sur des commencements de preuve ou sur des faits matériels aisément vérifiables) et alors que l’urgence pressante d’une mesure d’interdiction n’est pas établie de façon objective et non équivoque, que certaines vérifications peuvent être décidées de façon contradictoire par le conseiller rapporteur désigné et qu’une solution rapide de l’instance disciplinaire peut être, d’ores et déjà, raisonnablement envisagée, il ne saurait être recouru, en l’état, à une mesure d’interdiction d’exercice des fonctions ;
Par ces motifs,
Disons n’y avoir lieu, en l’état, de prononcer, à l’encontre de M. X, juge des enfants au tribunal de grande instance de V, la mesure d’interdiction d’exercice de ses fonctions ;
Disons que la présente décision ne pourra faire l’objet d’aucune publicité de quelque nature que ce soit.