Conseil d’État, section du contentieux, requête n° 214059

Date
06/04/2001
Décision Conseil d'Etat
Rejet
Mots-clés
Poursuites disciplinaires (droits de la défense)
Poursuites disciplinaires (composition de la formation de jugement)
Poursuites disciplinaires (choix de la sanction)
Rejet
Substitut du procureur de la République
Fonction
Substitut du procureur de la République
Résumé
Requête en annulation de la décision du garde des sceaux ayant prononcé la sanction de mise à la retraite d’office du magistrat aux motifs allégués d’un non respect des droits de la défense, d’une composition irrégulière de la formation disciplinaire du CSM et d’une erreur manifeste d’appréciation dans le choix de la sanction
Décision(s) associée(s)

Le Conseil d’État statuant au contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 2 novembre 1999 et le 2 mars 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour M. X demeurant … ; M. X demande au Conseil d’État :

1 - d’annuler pour excès de pouvoir la décision du garde des sceaux, ministre de la justice, en date du 30 août 1999 qui a prononcé à son encontre la sanction de mise à la retraite d’office ;

2 - de condamner l’État à lui verser une somme de 16 684 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée ;

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Fanachi, conseiller d’État,
- les observations de la SCP …, avocat de M. X,
- les conclusions de M. Lamy, commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par la décision attaquée, le garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé à l’encontre de M. X, en dernier lieu substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de ..., la sanction de mise à la retraite d’office ;

Sur la légalité externe de la décision attaquée

Considérant qu’aux termes de l’article 63 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : « Le garde de sceaux, ministre de la justice, saisit le procureur général près la Cour de cassation, président de la formation du Conseil supérieur compétente pour la discipline des magistrats du parquet, des faits motivant une poursuite disciplinaire contre un magistrat du parquet. Dès cette saisine, le magistrat a droit à la communication de son dossier et de l’enquête préliminaire, s’il y a été procédé. » ; qu’aux termes de l’article 52 de la même ordonnance, applicable aux magistrats du parquet en vertu des dispositions de l’article 63 : « La procédure doit être mise à disposition de l’intéressé ou de son conseil quarante-huit heures au moins avant chaque audition » ; que, contrairement à ce que soutient M. X, il ressort des pièces du dossier qu’il a été informé de la procédure disciplinaire engagée à son encontre et de son droit à communication de son dossier ; que M. X n’établit, ni même n’allègue, ni que la circonstance qu’il aurait été en congé de maladie ait empêché son avocat de consulter son dossier à sa place, ni, au surplus, qu’il aurait demandé à l’administration qu’elle lui transmette son dossier ;

Considérant que si M. X soutient que le Conseil supérieur de la magistrature a émis son avis sans que les droits de la défense aient été respectés, ce moyen n’est pas assorti des précisions suffisantes pour en apprécier le bien fondé ;

Considérant qu’aux termes de l’article 14 de la loi organique du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature : « Pour délibérer valablement, chacune des formations du Conseil supérieur doit comprendre, outre le président de séance, au moins cinq de ses membres » ; que, contrairement à ce que soutient M. X, il ressort du texte même de l’avis émis par le Conseil supérieur de la magistrature qu’outre le procureur général près la Cour de cassation, président, dix membres de la formation compétente pour les magistrats du parquet étaient présents ; qu’il suit de là que le moyen tiré de ce que le Conseil aurait été irrégulièrement composé pour donner son avis ne peut qu’être rejeté ;

Sur la légalité interne de la décision attaquée

Considérant qu’aux termes de l’article 59 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 : « Aucune sanction contre un magistrat du parquet ne peut être prononcée sans l’avis de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature » ; que, contrairement à ce que soutient M. X, si le garde des sceaux, ministre de la justice, a suivi l’avis émis par le Conseil supérieur de la magistrature, il ne ressort d’aucune pièce du dossier que le ministre se serait cru lié par cet avis, aurait ainsi méconnu l’étendue de sa compétence et aurait, par suite, commis une erreur de droit ;

Considérant qu’aux termes de l’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 : « Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire » et que l’article 46 dispose que si un magistrat est poursuivi en même temps pour plusieurs faits, il ne pourra être prononcé contre lui qu’une des sanctions prévues à l’article 45 ; que la décision attaquée fait grief à M. X de plusieurs manquements d’avril à septembre 1997, tant dans ses relations avec les services de gendarmerie, les autres magistrats et les justiciables que dans son comportement privé, de nature à porter le discrédit sur ses fonctions ; que les faits reprochés à M. X sont établis et constituent des fautes de nature à justifier une sanction ;

Considérant qu’aux termes de l’article 45 de la même ordonnance : « Les sanctions disciplinaires applicables aux magistrats sont : […] 6° La mise à la retraite d’office […] » ; qu’aux termes de l’article 46 : « Une faute disciplinaire ne pourra donner lieu qu’à une seule desdites peines » ; qu’en prononçant la sanction attaquée, le garde des sceaux, ministre de la justice a pu, sans méconnaître les dispositions précitées de l’article 46, pour apprécier la gravité des nouvelles fautes commises, tenir compte du comportement de M. X depuis plusieurs années et notamment de la circonstance que l’intéressé avait fait l’objet peu de temps avant d’une sanction de réprimande avec inscription au dossier ; que, contrairement à ce que soutient M. X, il ne ressort pas des pièces du dossier que, dans le prononcé de la sanction, le ministre n’ait pas pris en compte ses difficultés tenant à sa santé, à son manque de formation juridique initiale, et à ses problèmes d’ordre relationnel avec ses collègues ; qu’ainsi, en prononçant la sanction de mise à la retraite d’office, le garde des sceaux, ministre de la justice, n’a pas, eu égard aux faits reprochés à M. X et à l’ensemble de son comportement, commis d’erreur manifeste d’appréciation ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de M. X tendant à l’annulation de la décision du garde des sceaux, ministre de la justice, en date du 30 août 1999 qui a prononcé à son encontre la sanction de mise à la retraite d’office doivent être rejetées ;

Sur les conclusions de M. X tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’État, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à M. X la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Décide :

Article 1er : La requête de M. X. est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. X et au garde des sceaux, ministre de la justice.