Conseil d’État, section du contentieux, requête n° 89204
Le Conseil d’État statuant au contentieux (section du contentieux, 10ème et 2ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 10ème sous-section de la section du contentieux
Vu 1) sous le n° 89 204, la requête, enregistrée le 8 juillet 1987 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée par M. X, demeurant … ; M. X demande que le Conseil d’État annule pour excès de pouvoir un avis, en date du 6 mai 1987, par lequel la commission de discipline des magistrats du parquet a estimé que ses débats ne devaient pas être publics ;
Vu 2) sous le n° 89 205, la requête enregistrée le 9 juillet 1987 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée par M. X, demeurant … ; M. X demande que le Conseil d’État annule un avis en date du 6 mai 1987, par lequel la commission de discipline des magistrats du parquet a estimé qu’elle n’avait pas compétence pour statuer sur la constitutionnalité du statut de la magistrature et sur la caducité des poursuites disciplinaires engagées contre lui ;
Vu 3) sous le n° 90 177, la requête enregistrée le 5 août 1987, au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée par M. X , demeurant … ; M. X demande que le Conseil d’État annule pour excès de pouvoir un avis de la commission de discipline des magistrats du parquet en date du 15 mai 1987, la décision du garde des sceaux, ministre de la justice en date du 19 juin 1987, prononçant la mise à la retraite d’office de M. X, le décret du 24 juillet 1987 portant radiation des cadres de la magistrature M. X et en prononce le sursis à exécution ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la Constitution, notamment son article 92 ;
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
Vu la loi n° 88-828 du 20 juillet 1988 ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Cazin d’Honincthun, conseiller d’État,
- les conclusions de M. de Montgolfier, commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes présentées par M. X. présentent à juger les mêmes questions ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur les conclusions dirigées contre les avis de la commission de discipline du parquet en date des 6 et 15 mai 1987 :
Considérant qu’aux termes du 1er alinéa de l’article 59 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : « Il est créé auprès du ministère de la justice une commission de discipline du parquet. Aucune sanction contre un magistrat du parquet ne peut être prononcée que sur l’avis de ladite commission. » ;
Considérant que les avis susvisés émis par la commission de discipline du parquet ne constituent pas des décisions faisant grief susceptibles d’être déférées à la juridiction administrative par la voie du recours pour excès de pouvoir ; que, par suite, les conclusions susanalysées doivent être rejetées comme irrecevables ;
Sur les conclusions dirigées contre la décision du garde des sceaux, ministre de la justice, en date du 19 juin 1987, prononçant à l’encontre de M. X la sanction de mise à la retraite d’office et contre le décret du 24 juillet 1987 portant radiation de l’intéressé des cadres de la magistrature à compter du 24 juin 1987 :
Considérant, en premier lieu, que l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, si elle a force de loi, a été adoptée par le gouvernement dans le cadre des pouvoirs qu’il tenait des articles 64 et 92 de la Constitution ; qu’en l’absence de dispositions spéciales le prescrivant, elle n’avait pas à être promulguée par décret du Président de la République ; qu’elle a été publiée au Journal officiel des 22 et 23 décembre 1958 ; que, par suite, le requérant n’est pas fondé à soutenir que les dispositions de ce texte ne lui seraient pas applicables ;
Considérant, en second lieu, qu’il résulte des dispositions de la section 3 du chapitre VII de ladite ordonnance, relative à la discipline des magistrats du parquet, que le garde des sceaux, ministre de la justice, est investi du pouvoir disciplinaire à l’égard de cette catégorie de magistrats ; que, par décision du 8 février 1981, le Conseil supérieur de la magistrature a prononcé la révocation de M. X en qualité de magistrat du siège ; que, par décision du 5 mai 1982, le Conseil d’État statuant au contentieux a rejeté le pourvoi formé par M. X contre cette sanction qui est ainsi devenue définitive ; que, l’intéressé a été nommé, par décret du 26 août 1981, substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de V ; qu’ainsi, M. X , avait, contrairement à ce qu’il soutient, la qualité de magistrat du parquet à la date à laquelle lui ont été infligées les sanctions incriminées et non celle de magistrat du siège ; que le garde des sceaux, ministre de la justice, avait donc compétence pour prononcer à son encontre lesdites sanctions ;
Considérant, en troisième lieu, qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que la commission de discipline du parquet, qui était régulièrement composée, ait compté parmi ses membres un magistrat qui aurait fait preuve d’animosité envers l’intéressé ; qu’il n’est pas davantage établi que le dossier au vu duquel la commission a émis son avis, et qui a été communiqué à l’intéressé, ait été incomplet ; que les dispositions de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’étant pas applicables aux commissions consultatives disciplinaires, M. X n’est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir que, par application de cet article, la commission de discipline aurait dû siéger en séance publique ; que la décision par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, inflige une sanction à un magistrat du parquet a le caractère d’une décision administrative qui peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ; qu’ainsi le moyen tiré par M. X de ce que la procédure disciplinaire le concernant n’aurait été assortie d’aucune garantie juridictionnelle manque en fait ;
Considérant, enfin, qu’aux termes de l’article 43 de l’ordonnance précitée du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature : « Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité constitue une faute disciplinaire. Cette faute s’apprécie pour un membre du parquet [...] compte tenu des obligations qui découlent de sa subordination hiérarchique » ;
Considérant que le premier grief retenu par le garde des sceaux, ministre de la justice repose sur la méconnaissance répétée par M. X des obligations hiérarchiques qui découlaient de ses fonctions de substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de V ; que, notamment, bien qu’interdit de fonctions par arrêté ministériel du 22 mai 1986, l’intéressé est intervenu de son propre chef dans des dossiers dont il n’était pas saisi ; qu’un tel grief, qui ne repose pas sur des faits matériellement inexacts, était de nature à justifier une sanction disciplinaire ;
Considérant que le second grief retenu à l’encontre de l’intéressé repose sur ce qu’il aurait, à plusieurs reprises, refusé de traiter les dossiers qui lui étaient confiés en les transmettant au Président de la République ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que ces faits soient matériellement inexacts ; que M. X, en manquant ainsi aux devoirs de son état, a commis une faute qui était de nature à justifier une sanction disciplinaire ;
Considérant que le troisième grief repose sur ce que l’intéressé se serait présenté à une audience du tribunal d’instance de …, en compagnie d’une vingtaine de personnes, pour procéder à une « arrestation » alors qu’il était, à cette date, suspendu de ses fonctions ; que le ministre a pu légalement estimer qu’un tel agissement, dont le requérant ne conteste pas la matérialité, justifiait une sanction disciplinaire ;
Considérant, que le quatrième grief réside dans l’envoi de correspondances au procureur de la République près le tribunal de grande instance de V, et à diverses autorités judiciaires, rédigées dans des termes outrageants ; qu’un tel manquement de M. X, aux devoirs de son état, qui est établi par les pièces du dossier, était également de nature à justifier une sanction disciplinaire ;
Considérant que, en se fondant sur l’accumulation de ces faits, le garde des sceaux, ministre de la justice a pu, sans commettre d’erreur manifeste dans son appréciation de la gravité des fautes commises par l’intéressé, prononcer la mise à la retraite d’office de M. X ; que, par voie de conséquence, les conclusions dirigées contre la mesure de radiation des cadres doivent être rejetées ;
Décide :
Article 1er : Les requêtes susvisées de M. X sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. X et au garde des sceaux, ministre de la justice.