Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
15/05/1987
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des supérieurs hiérarchiques, Manquement au devoir de loyauté à l’égard des supérieurs hiérarchiques, Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat (obligation d’assumer ses fonctions), Manquement au devoir de probité (devoir de ne pas abuser de ses fonctions), Manquement au devoir de probité (devoir de loyauté à l’égard de l’institution judiciaire), Manquement au devoir de probité (devoir de réserve)
Avis
Mise à la retraite d'office
Décision Garde des sceaux
Conforme (19 juin1987)
Mots-clés
CEDH
CJCE
Intervention
Injure
Refus
Délicatesse
Supérieur hiérarchique
Loyauté
Etat de magistrat
Fonctions
Probité
Abus des fonctions
Institution judiciaire (loyauté)
Réserve
Mise à la retraite d'office
Substitut du procureur de la République
Fonction
Substitut du procureur de la République
Résumé
Non-respect des instructions émanant de ses supérieurs hiérarchiques. Intervention dans des procédures judiciaires et à l’audience par un magistrat interdit d’exercer ses fonctions. Refus d’exercer ses fonctions. Envoi d’écrits outrageants à plusieurs autorités judiciaires
Décision(s) associée(s)

La commission de discipline du parquet, sur la poursuite disciplinaire exercée à l’encontre de M. X, substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de V,

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 70-642 du 17 juillet 1970, notamment les articles 63, 64 et 65 de ce texte ;

Vu les dépêches en date des 6 octobre 1986 et 20 novembre 1986 de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, transmettant le dossier personnel de M. X, substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de V, à M. le procureur général près la Cour de cassation, président de la commission de discipline du parquet, et le priant de réunir la commission afin de lui soumettre, pour avis, les faits reprochés au magistrat du parquet précité ;

Vu les auditions en date des 17 décembre 1986, 9 janvier 1987, 23 janvier 1987, 30 janvier 1987 et, à sa demande expresse, le 19 février 1987, de M. X, son dossier personnel lui ayant été préalablement communiqué et mis à la disposition de ses conseils par M. Yves Jouhaud, conseiller à la Cour de cassation, désigné en qualité de rapporteur par arrêté de M. le procureur général près la Cour de cassation en date du 30 octobre 1986 ;

Considérant que M. X a comparu les 6 et 7 mai 1987 devant la commission de discipline du parquet, assisté de Mlle Lenoir, premier juge au tribunal de grande instance de Nancy, et de M. Janin, juge des enfants au tribunal de grande instance de Versailles ; que M. Viricelle, directeur des services judiciaires au ministère de la justice, a été entendu puis substitué par M. Darcos, sous-directeur de la magistrature ; que M. X et ses conseils, le directeur des services judiciaires et les membres de la commission ont dispensé M. Jouhaud de la lecture intégrale de son rapport qui leur avait été préalablement communiqué ; que Mlle Lenoir et M. Janin sont intervenus ; que M. X a fourni ses explications et moyens de défense sur les faits qui lui étaient reprochés et a eu la parole le dernier ; que l’affaire a été mise en délibéré, M. X étant informé que l’avis serait porté à sa connaissance le 15 mai 1987 ;

Considérant que M. X a déposé des conclusions préalables ; que la commission a répondu sur le champ aux conclusions tendant à voir ordonner la publicité des débats, la caducité des poursuites disciplinaires, constater l’inexistence légale de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, l’incompétence de la commission pour statuer sur son cas, et la violation des droits de la défense, ainsi que celles relatives à l’indépendance et à l’impartialité des magistrats composant la commission de discipline du parquet ; que ces conclusions ont été rejetées par décisions versées au dossier sous les côtes C 379 et C 380 et annexées au présent avis ; que la commission a joint au fond les autres conclusions énumérées ci-après ;

Sur les conclusions tendant à ce qu’il soit sursis à statuer afin que M. X puisse faire reconnaître par la Commission européenne des droits de l’homme saisie le 3 mai 1987 que la procédure disciplinaire suivie contre lui ne présente pas les garanties d’un procès équitable au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Sur les conclusions tendant à ce qu’il soit sursis à statuer jusqu’à décision de la Cour de justice des Communautés européennes sur un recours formé par M. X, et à ce qu’il soit soumis à cette juridiction une question préjudicielle ainsi conçue : « est-il conforme au droit communautaire que la seule application des lois en vigueur dans la mise en mouvement de l’action publique conduise un magistrat d’un État membre de la Communauté à répondre sans garantie statutaire de ses actes devant des instances disciplinaires ? »

Sur les conclusions tendant à ce qu’il soit sursis à statuer jusqu’à décision judiciaire définitive sur l’intervention de M. X lors de l’installation de son successeur en qualité de juge d’instance à F

Sur les conclusions tendant à ce qu’il soit sursis à statuer eu égard à une demande présentée par M. X en révision d’une décision antérieure le concernant

Considérant que le sort de ces recours ou actions introduits par M. X, à les supposer même fondés, est sans incidence sur la procédure administrative disciplinaire dont la commission est saisie pour avis en application des dispositions de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ; qu’en conséquence, la commission rejette comme mal fondées les conclusions susvisées ;

Sur les conclusions déposées par M. X en vue de l’audition de témoins et d’experts

Considérant qu’au cours des débats, M. X a fait connaître qu’il entendait renoncer à cette demande ;

Considérant que M. X, nommé par décret du 26 août 1981 substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de V et installé dans ses fonctions le 20 janvier 1982, est déféré devant la commission de discipline du parquet pour y répondre des faits qui lui sont reprochés par les dépêches de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, des 6 octobre et 20 novembre 1986 ; que le ministre de la justice a exclu de la saisine de la commission les faits commis antérieurement à sa nomination en qualité de garde des sceaux, le 20 mars 1986, sauf le cas où un fait commis avant cette date aurait continué de l’être après ;

Sur le grief de méconnaissance de l’obligation hiérarchique

Considérant que M. X a, à plusieurs reprises, prétendu diligenter des procédures dont il n’avait pas à se saisir ;

Considérant en effet que ce magistrat est intervenu dans les procédures judiciaires consécutives aux plaintes des époux Y contre M. Z, ancien syndic ; qu’agissant à l’encontre des instructions formelles que le procureur de la République, en vertu de son pouvoir hiérarchique, lui avait notifiées, tant verbalement que par écrit et à plusieurs reprises, M. X a pris différentes initiatives intempestives à l’encontre de M. Z ; qu’ainsi, le 20 mars 1986, à l’occasion d’un acte d’instruction dont Mme A, juge d’instruction à V , avait été chargée par un arrêt de la chambre d’accusation ordonnant un supplément d’information dans une procédure suivie contre M. Z des chefs de violation de domicile et vol, M. X prétendait procéder à l’arrestation de M. Z et provoquait un incident sérieux qui contraignait un autre magistrat du parquet à intervenir pour protéger les droits de l’inculpé ; que le 29 septembre 1986, M. X, alors interdit de ses fonctions depuis le 22 mai 1986, intervenait à nouveau dans la procédure suivie contre M. Z, en adressant des réquisitions au juge d’instruction qui refusait d’y donner suite, puis en décernant mandat d’amener contre ce magistrat à qui il reprochait son comportement professionnel en termes véhéments ; qu’il y a lieu de remarquer que, s’agissant d’actes d’instruction accomplis dans le cadre d’un supplément d’information ordonné par la chambre d’accusation, le parquet de V était incompétent pour y prendre part (article 205 du code de procédure pénale) ;

Considérant que M. X, à l’occasion d’une procédure consécutive au décès d’un jeune homme et classée sans suite par décision du procureur de la République, a enfreint les instructions expresses qui lui avaient été données de se dessaisir de cette affaire en conservant le dossier par devers lui ;

Considérant que le 26 septembre 1986, M. X, alors interdit de ses fonctions, a adressé, sous le timbre du parquet de V, au ministre de la défense un document prétendant mettre en mouvement l’action publique contre X du chef d’attentat à la Constitution aux fins, dans un premier temps, de se transporter au siège de la DGSE à Paris pour y saisir des documents d’archives se rapportant à la Gestapo et à la Wehrmacht ;

Considérant que le 29 septembre 1986, M. X transmettait à un huissier de justice, pour qu’il le signifie, un mandement, établi sous le timbre du parquet de V, à M. B lui enjoignant de faire cesser le rappel quotidien sur Antenne 2 de la détention arbitraire d’otages français au Liban ;

Considérant que ces faits, commis pour certains d’entre eux alors que l’exercice de ses fonctions lui avait été interdit, caractérisent à la charge de M. X, magistrat du parquet, une méconnaissance délibérée de l’obligation hiérarchique, et des manquements graves et répétés aux devoirs de son état ;

Sur le grief de refus de service

Considérant que le procureur de la République, s’il ne peut retirer toutes fonctions à un magistrat de son parquet, peut, à tout moment, conformément à l’intérêt du service, modifier les attributions de ses substituts ainsi que le prévoient les articles R. 311-34 et R. 311-35 du code de l’organisation judiciaire ;

Considérant qu’en octobre 1985, M. X, tant par ses paroles que par actes, a refusé de remplir dans les conditions de la loi les attributions qui lui étaient confiées ; que c’est ainsi par exemple qu’il a refusé d’occuper le siège du ministère public à l’audience du 8 octobre 1985, invoquant des menaces que lui aurait adressées le président du Conseil supérieur de la magistrature ; qu’il a ensuite transmis au président du Conseil supérieur de la magistrature des dossiers d’instruction qu’il était chargé de régler, avec un document établi à en-tête du tribunal aux termes duquel : « l’action publique devant les juridictions relevant du tribunal de grande instance de V fait l’objet, de la part de ceux là même qui devraient veiller à son libre et légal exercice, des sabotages les plus cyniques pour les lois concernées et les plus méprisants pour les justiciables concernés » ;

Qu’en remettant les attributions de M. X à d’autres magistrats, le procureur n’a fait que prendre acte de cette attitude et en tirer les conséquences dans le souci d’un fonctionnement normal de son parquet ; que M. X n’ayant pas modifié son comportement, aucune attribution ne pouvait lui être confiée jusqu’au 22 mai 1986, date à laquelle le garde des sceaux lui interdisait ses fonctions ;

Considérant que M. X, en refusant tout service à partir d’octobre 1985, a commis une faute qui ne peut qu’être sanctionnée disciplinairement ;

Sur le grief de manquements au devoir de réserve

Considérant qu’assigné à comparaître le 29 mai 1986 devant le tribunal d’instance de C par M. Z, pour y répondre d’injures non publiques, M. X, déjà condamné à des réparations civiles envers M. Z pour des faits analogues, d’une part tentait d’assigner son adversaire devant le tribunal correctionnel de V, d’autre part, annonçait à un magistrat du parquet de C. sa décision de venir à l’audience pour procéder, avec l’aide des forces de police ou au besoin « l’aide des citoyens », à l’arrestation de M. Z ; que cette réaction déterminait le garde des sceaux à interdire à M. X l’exercice de ses fonctions ; que le 29 mai 1986, M. X se présentait à l’audience accompagné d’une vingtaine de personnes ; qu’il annonçait publiquement sa volonté d’arrêter M. Z mais y renonçait à la suite de l’intervention d’un fonctionnaire de police ;

Que si le garde des sceaux a pu à bon droit retenir à la charge de M. X les menaces d’arrestation formulées directement ou indirectement contre M. Z, il y a lieu de relever que le tribunal d’instance de C a débouté M. Z de ses demandes en dommages-intérêts pour injures non publiques, retenant que M. X avait agi dans l’exercice de ses fonctions et bénéficiait de l’immunité qui s’attache aux actes du ministère public ;

Considérant que la commission n’a pas retenu comme faute disciplinaire le grief fait à M. X d’avoir pris part, le 28 juillet 1986, près de D, à une manifestation de la Mutuelle d’action et de défense des artisans et commerçants destinée à soutenir les revendications d’une entreprise de sous-traitance qui n’avait pas été rémunérée pour son travail, dès lors qu’il n’est pas établi qu’il a contribué au blocage de la voie publique réalisé à cette occasion ;

Considérant que la commission n’a pas retenu non plus comme faute disciplinaire la lettre adressée le 3 septembre 1986 par M. X à M. B, syndic, appelé à comparaître devant le tribunal correctionnel de E ;

Sur le grief d’avoir adressé à différentes autorités des écrits contenant des insultes, des propos outranciers et des invectives

Considérant que M. X, en diverses occasions, a adressé au procureur de la République de V des écrits lui reprochant, en termes injurieux, méprisants et parfois menaçants, d’avoir renoncé aux devoirs de sa fonction comme au respect de la loi et « d’être entré en voie de délinquance et de parjure » ; qu’en outre certaines lettres écrites au procureur général près la cour d’appel de W contiennent des allégations et imputations de même nature à l’encontre du chef du parquet de V ;

Considérant que de nombreuses correspondances adressées après le 22 mai 1986 par M. X soit au garde des sceaux, soit à différents directeurs de l’administration centrale, soit à un magistrat du parquet de V, renferment des attaques grossières, des imputations injurieuses et des invectives violentes à l’encontre des destinataires ; qu’ainsi, par exemple, M. X écrivait le 25 octobre 1986 au directeur des services judiciaires : « Vous êtes donc prêt [...] à couvrir ou obéir à n’importe quoi, à commettre le plus odieux, et le déploiement des forces de police pour m’interdire l’accès d’un couloir du palais de justice de V ne trouble ni votre âme de républicain, ni votre conscience de magistrat » ; que le 5 août 1986, il écrivait au directeur des affaires criminelles et des grâces : « ... déjà 75 jours d’arbitraire triomphant de la médiocrité sans scrupule qui règne à la chancellerie [...] la dépravation délibérément organisée de l’institution judiciaire [...] les assignations scandaleuses de l’ex-syndic Z. – dont vous continuez tout aussi scandaleusement de couvrir l’activité délinquante... » ; que le 27 octobre 1986, il apostrophait par écrit le garde des sceaux en ces termes : « Est-ce que vous vous rendez compte, M. le garde des sceaux, de la portée de ce que vous venez d’écrire ? » ;

Considérant que ces correspondances caractérisent autant de fautes disciplinaires à la charge de M. X qui a ainsi manqué aux devoirs de son état ;

Considérant que M. X a développé pour sa défense une conception personnelle des missions du ministère public, des attributions et pouvoirs respectifs des substituts et des procureurs de la République, ainsi que les principes d’une stratégie faisant du conflit le moyen de promouvoir certaines idées ;

Considérant que la commission ne saurait retenir ces idées et ces principes comme pouvant justifier les faits relevés à la charge de M. X ;

Qu’elle remarque cependant qu’aucun de ceux-ci ne révèle chez leur auteur la moindre trace de malhonnêteté ;

Considérant qu’ainsi la commission retient à la charge de M. X les fautes disciplinaires susvisées qui caractérisent des manquements graves, répétés ou continus aux obligations résultant de l’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, ainsi rédigé : « Tout, manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire. Cette faute s’apprécie pour un membre du parquet [...] compte tenu des obligations qui découlent de sa subordination hiérarchique » ;

Par ces motifs,

La commission, après en avoir délibéré à huis clos, émet l’avis que soit prononcée à l’encontre de M. X la sanction de la mise à la retraite d’office prévue par l’article 45, 6°, de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

Dit que le présent avis sera transmis à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, par les soins du procureur général près la Cour de cassation, président de la commission de discipline du parquet.