Par décision du 13 juin 2024, le Conseil supérieur de la magistrature saisi par un justiciable a prononcé à l’encontre d’un magistrat la sanction disciplinaire de blâme avec inscription au dossier en raison de son comportement alors que celui-ci était juge d’instruction dans un tribunal judiciaire entre 2019 et 2022. C’est la première fois, depuis l’instauration de la saisine directe du Conseil supérieur de la magistrature par un justiciable en vertu de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 que la procédure aboutit au prononcé d’une sanction disciplinaire.
- Les faits
M. X, a exercé en qualité de juge d’instruction dans un tribunal judiciaire entre le 2 septembre 2019 et le 1er juin 2022. Dans une procédure ouverte dans son cabinet depuis le 25 mai 2010, M. Y a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire par les prédécesseurs de M. X. Les investigations s’étant achevées, le procureur de la République a, par réquisitoire définitif du 19 juin 2019, requis le renvoi de M. Y devant le tribunal correctionnel de cinq chefs de prévention. Il incombait alors à M. X de rendre une ordonnance de règlement de l’information judiciaire. Toutefois, pendant les presque trois années où il a exercé en tant que magistrat instructeur, M. X n’a pas réalisé cet acte en dépit de plusieurs alertes de sa hiérarchie et d’engagements oraux et écrits de sa part en ce sens, alors même que son chef de service avait veillé à ce que son cabinet soit moins saisi de nouvelles procédures que ceux de ses collègues.
Le Conseil supérieur de la magistrature a considéré qu’en s’abstenant de rendre l’ordonnance de clôture de l’information judiciaire ouverte contre M. Y durant toute la période où il était juge d’instruction, M. X avait manqué à son devoir de diligence. Il a également estimé qu’à cette occasion, M. X avait manqué, d’une part, à son devoir de loyauté vis-à-vis du coordonnateur du service de l’instruction du tribunal et de la présidente de la chambre de l’instruction de la cour d’appel, d’autre part, à son devoir de délicatesse à l’égard de M. Y.
- Le contexte
Depuis une loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 entrée en vigueur le 1er février 2011, tout justiciable qui estime que, à l’occasion d’une procédure judiciaire le concernant, le comportement adopté par un magistrat du siège ou du parquet dans l’exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire peut saisir le Conseil supérieur de la magistrature.
Le Conseil supérieur de la magistrature reçoit chaque année entre 1 200 et 1 300 plaintes. Ces plaintes donnent lieu à l’ouverture de 300 à 350 dossiers par an. Depuis l’instauration de cette procédure, huit dossiers ont donné lieu à un renvoi devant la formation disciplinaire. Jusqu’alors, aucun d’eux n’avait abouti à une condamnation.
Ainsi que le Conseil l’indique régulièrement dans ses rapports d’activité, la plupart des demandes sont mal orientées et outrepassent ses pouvoirs (demandes de conseils juridiques, demandes d’intervention dans des procédures en cours, etc.) ou mettent en cause des personnes à l’égard desquelles il n’est pas matériellement compétent (avocat, notaire, etc.). Par ailleurs, le conseil relève fréquemment une confusion entre la dénonciation du comportement fautif d’un magistrat et la contestation du contenu d’une décision de justice, cette seconde hypothèse relevant du droit d’appel et non d’une procédure disciplinaire.
Pour autant, dans certaines situations, le Conseil a regretté de ne pas disposer de pouvoirs d’investigations, la loi organique faisant reposer sur le justiciable la preuve des manquements disciplinaires dénoncés. Si, dans la procédure ayant abouti à la sanction disciplinaire de M. X, il a été possible d’objectiver les faits qui étaient reprochés à ce magistrat au regard des pièces fournies par le plaignant et des auditions réalisées par le rapporteur du conseil de discipline, il doit être rappelé que la loi organique du 23 novembre 2023 est venue modifier les prérogatives du Conseil en matière de saisine directe des justiciables. En effet, le Conseil pourra désormais saisir le ministère de la justice aux fins d’enquête administrative conduite par l’Inspection générale de la justice lorsque cela lui semble nécessaire au regard des faits dénoncés.