Paris, le 26 novembre 2014
AVIS
de la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature
Dans son avis du 21 mars 2011 adressé au Garde des Sceaux et relatif au fonctionnement du service de l’application des peines du tribunal de grande instance (TGI) de Nantes (rapport d’activité 2011, p. 275 et s), le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) avait annoncé qu’il ferait connaître ultérieurement ses préconisations sur les trois questions suivantes :
- la possibilité pour le président d’une juridiction, de déléguer ses attributions en matière d’administration et de gestion ;
- les obligations incombant aux chefs de cour et de juridiction en matière de contrôle des modalités d’organisation décidées par les services de leur ressort ;
- le rôle des chefs de cour en matière d’allocation de renforts en effectifs.
Le Conseil avait également indiqué dans sa première réponse à cette demande d’avis du 22 février 2011 qu’il prolongerait sa réflexion en approfondissant les critères présidant au choix des responsables des juridictions.
Traitées dans cet ordre, ses analyses et préconisations s’appuient sur les visites d’information qu’il a conduites dans les juridictions au cours de son mandat, sur le cycle de conférences qu’il a spécifiquement organisé entre juin 2013 et avril 2014 sur « l’organisation et le fonctionnement des juridictions et le rôle des chefs de cour et de juridiction », sur les auditions auxquelles il a procédé au cours de son mandat en vue de proposer les chefs de juridiction ainsi que sur l’étude des pratiques d’organisation mises en œuvre dans les juridictions. Si les développements qui suivent concernent surtout le siège, compte tenu des questions posées par le Garde des Sceaux, le CSM a néanmoins cru opportun d’évoquer à quelques reprises la situation propre au parquet.
I Sur la possibilité, pour le président d’une juridiction, de déléguer ses attributions en matière d’administration et de gestion.
Avant de traiter de la délégation des attributions du président, il convient de remonter d’un cran pour identifier les règles et les pratiques d’organisation des TGI et pour prendre la mesure de la plus ou moins grande latitude d’action des chefs de juridiction dans la définition de cette organisation.
A- L’administration et la gestion des TGI.
1-Le code de l’organisation judiciaire (COJ) est peu disert sur les attributions des présidents de juridiction en matière d’administration et de gestion.
Le ministère de la justice ayant de longue date privilégié l’échelon régional pour organiser les services pénitentiaires et de la protection judiciaire de la jeunesse, l’organisation des juridictions a été, au cours des années 1970 à 1990, progressivement alignée sur ce modèle régional préexistant, avec une concentration des pouvoirs d’administration dans les mains des chefs de cour. En contrepartie, les attributions administratives des TGI ont été réduites, contribuant à la perte d’attractivité relative de la fonction de président de juridiction (cf. IV, 3).
Le COJ retient en effet la cour d’appel comme le principal niveau d’administration et de gestion : l’article R312-65 confie conjointement aux chefs de cour l'administration des services judiciaires du ressort, l’article R312-66 les désigne comme ordonnateurs secondaires des dépenses et recettes des juridictions du ressort, l’article R312-67 leur confère compétence conjointe pour passer les marchés et l’article R312-68 leur impose de s'assurer « de la bonne administration des services judiciaires et de l'expédition normale des affaires ». Les chefs de cours sont de ce fait l’autorité régionale de référence pour le dialogue annuel de gestion avec la chancellerie. Pour exercer ces missions d’administration, ils disposent du service administratif régional (SAR), dont les attributions et l’organisation sont précisées aux articles R312-70 et suivants du code.
Quant aux TGI, aucun article du COJ ne leur attribuait jusqu’à très récemment un quelconque rôle en matière d’administration et de gestion. Dans ces conditions, il était difficile pour un président d’articuler un système de délégation sur une organisation et des responsabilités qui n’étaient pas même définies. Paradoxalement, les attributions du juge directeur d’un tribunal d’instance (qui « dirige et administre le tribunal » selon l’article R222-1) sont plus précises que celles du président de TGI.
Si le décret n° 2014-1458 du 8 décembre 2014 vient de reconnaître explicitement aux chefs de juridiction un rôle de gestion et d’administration de leur juridiction en insérant deux nouveaux articles dans le COJ - R. 212-60 et R.212-61 – qui créent un comité de gestion composé du président du tribunal de grande instance, du procureur de la République et du directeur de greffe, ce pouvoir est partagé et reste imprécis puisqu’aucun article du COJ n’attribue expressément de pouvoirs d’administration aux chefs de juridiction. Ce comité de gestion doit se réunir au moins une fois par mois et « débat des questions de gestion et de fonctionnement de la juridiction et, éventuellement, d’autres questions proposées par ses membres ».
Ayant totalement fait l’impasse sur le rôle du TGI en matière d’administration et de gestion, le COJ ne détaille pas non plus l’articulation des prérogatives respectives des chefs de cour et des chefs de juridiction (cf. II).
2- Chambres et services : les unités organisationnelles de base au sein des TGI.
Dans le domaine juridictionnel, l'existence de «services» au sein du TGI découle d’une part des articles L121-3, Rl21-1 et Rl23-15 du COJ qui prévoient une répartition des magistrats et des fonctionnaires par services, d’autre part de ses articles régissant les fonctions particulières qui prévoient des désignations de magistrats chargés de coordonner un service (R213-9-1 pour les affaires familiales, R251-3 pour le service de la juridiction des mineurs, etc…) mais cette notion de « service », qui peut être allégé pendant la période des congés, renvoie davantage à une mission juridictionnelle (nombre, jour et nature des audiences selon l’article R2l2-6) qu'à un mode d'organisation interne de la juridiction. De fait, sont généralement identifiés au sein des TGI une pluralité de services de nature juridictionnelle (service civil, service pénal, service de la famille, service de l'instruction, service du JLD, service des référés, service de l’application des peines...), auxquels on trouve une base textuelle plus ou moins nette dans le COJ.
L’ordonnance de roulement annuelle, qui affecte les magistrats dans les services et leur attribue une activité juridictionnelle, est en tout cas primordiale pour connaître les attributions dévolues à chaque magistrat ou identifier son service particulier et pour garantir le principe du juge naturel, puisque nul magistrat ne pourra être déchargé d’une de ses activités juridictionnelles sans une modification préalable de l’ordonnance de roulement.
La nature juridictionnelle de la notion de « service » ressort également du chapitre II du titre premier du livre deuxième du COJ qui comporte une section première intitulée « Le service juridictionnel » : ses articles R212-3 et R212-6 énoncent que le TGI « comprend une ou plusieurs chambres » et que « chaque chambre connaît des affaires qui lui ont été distribuées ».
L'unité organisationnelle de base dans l'activité juridictionnelle est, pour le COJ, la chambre[1] même si le 3° de l’article R212-42 relatif à l'assemblée générale des magistrats du siège prévoit que celle-ci émet un avis sur « 3° Le projet ... de répartition dans les chambres et services de la juridiction des vice-présidents et juges dont le tribunal est composé » et l’article R212-12 que « Le procureur de la République répartit les substituts entre les chambres du tribunal et les divers services du parquet »[2].
Pour ce qui concerne le greffe, la notion de « services », utilisée aux articles R123-1 (« Le greffe des cours d'appel et des tribunaux de grande instance comprend l’ensemble des services administratifs du siège et du parquet ») et R1223-3 (« Les services du greffe sont dirigés par un greffier en chef »), renvoie plus clairement au mode coutumier d'organisation des services administratifs mais celle utilisée à l’article R123-6 (« L'affectation à l’intérieur des divers services du siège ou du parquet est fixé par le directeur de greffe, sous le contrôle des chefs de juridiction. Lorsque le directeur de greffe envisage de modifier l’affectation d'un agent exerçant ses fonctions auprès d’un magistrat spécialisé, il recueille au préalable l’avis de ce magistrat ») renvoie plutôt au service juridictionnel des magistrats.
Bref, si une juridiction est normalement composée de chambres (côté juridictionnel) et de services (côté greffe), la terminologie demeure ambigüe (puisque la notion de service vise indifféremment l’activité juridictionnelle ou le greffe selon le contexte) et l'organisation floue pour le non initié.
3- Une organisation souple et modulable mais néanmoins contrainte.
L’incomplétude du COJ, par exemple sur la notion de chef de service, sur l’étendue et le contenu de ses responsabilités, et ses ambiguïtés ont permis à l’organisation interne des juridictions, notamment des TGI, de s'adapter en fonction des nécessités pratiques (telles que la dispersion des locaux ou au contraire leur grande taille, la conduite de projets, le besoin d'harmoniser la jurisprudence entre des chambres traitant du même contentieux...).
Ces nécessités ont progressivement consolidé l’existence d'organisations de base autres que les chambres et les services -et indirectement une pratique de la délégation au sein des juridictions-: par exemple, la création de pôles au sein des plus grandes juridictions (TGI des groupes 1 et 2) s'est faite, sauf pour le pôle de l'instruction (mentionné aux articles 52-l et D15-4-5 du code de procédure pénale), sans base textuelle. C'est pourtant désormais la principale unité d'organisation des grands TGI et par voie de conséquence le pivot du système de délégation à l’intérieur de ceux-ci.
Le principe d’indépendance des magistrats du siège dans leur activité juridictionnelle, pilier du fonctionnement des juridictions, oblige toutefois les chefs de juridiction à s’inscrire dans une organisation qui tout à la fois garantit cette indépendance et assure un fonctionnement des services à la hauteur des attentes des justiciables. Ainsi, l’indépendance juridictionnelle ne peut pas aboutir à une gestion autonome des différents services car l’État est comptable du bon fonctionnement d’ensemble de la juridiction, qui peut notamment être sanctionnée par l’éventuelle mise en cause de sa responsabilité.
4-Les outils de pilotage et d’animation du TGI.
La pratique, instituée par la plupart des chefs de juridiction, de réunions régulières des services manifeste le besoin d'une coordination et d'une animation entre les différents pôles et services pour assurer ce bon fonctionnement d’ensemble.
Le développement de projets de service ou de juridiction, d’ailleurs heureusement encouragé par l’administration centrale dans sa circulaire du 19 juin 2014 relative au dialogue de gestion[3], est, pour les chefs de juridiction, l’outil le mieux adapté pour dépasser les clivages habituels résultant de l’éclatement des tâches juridictionnelles entre chambres et services. Le champ d’application de ces projets est entièrement modulable : il peut être limité au domaine juridictionnel comme par exemple la politique mise en œuvre au service des affaires familiales en matière d’audition de l’enfant ou de médiation familiale ou porter sur des aspects fonctionnels comme l’accueil du public, l’implantation géographique des services, etc…
La mise en place de ce type de projet suppose une mobilisation des magistrats et fonctionnaires en sus de leurs sujétions professionnelles habituelles. Les chefs de juridiction ont donc à convaincre la communauté de travail que le bénéfice résultant de l’aboutissement du projet et de sa mise en œuvre mérite l’investissement supplémentaire qui est demandé. En pratique, il est recommandé de faire approuver ces projets en assemblée générale ou à tout le moins par les commissions restreintes et/ou permanentes.
Les réunions thématiques constituent également un levier pour décloisonner les différents services. Par exemple, nombre de juridictions ont mis en place un groupe pénal réunissant les différents acteurs de la chaîne pénale allant du parquet jusqu’à l’administration pénitentiaire. L’ordre du jour peut être très divers, allant de problématiques très techniques comme la circulation des dossiers jusqu’à la mise en œuvre de réformes législatives et à leurs conséquences sur le fonctionnement de chaque service de la juridiction. Elles permettent de lever des malentendus, de prendre en compte les contraintes de chacun et de définir des bonnes pratiques auxquelles chacun adhère.
Ce mode de travail « en équipe » doit être encouragé et mériterait d’être développé, notamment en matière civile ou de droit de la famille avec des réunions rassemblant juges des enfants, juges des tutelles mineurs et juges aux affaires familiales.
5-Les leviers d’optimisation de l’administration et de la gestion des TGI.
L’administration et l’organisation des juridictions n’ont pas encore atteint, pour le CSM, un degré de perfection qui les mettrait à l’abri de toute critique. Il est donc essentiel que chefs de cour et chefs de juridiction aient en permanence le souci de les améliorer, en fonction des moyens qui sont mis à leur disposition.
Pour ce qui concerne le siège, au-delà de l’élaboration de l’ordonnance de roulement, le président peut utiliser deux leviers principaux pour optimiser l’organisation des services et répartir au mieux entre les différents services les effectifs dont il dispose, tout en respectant, sauf exception réglementée par le COJ, l’affectation des magistrats spécialisés au service dans lequel ils ont été nommés par décret.
En théorie, la répartition des effectifs entre les différents services juridictionnels devrait tenir compte de la charge de travail réelle des magistrats mais le CSM constate qu’il n’existe aucune norme officielle et nationale permettant d’évaluer ou d’étalonner la charge de travail d’un magistrat alors que le greffe dispose à cet effet d’un outil, certes toujours perfectible, le référentiel « outil greffe »[4].
Des travaux ont été conduits en cette matière, comme récemment au TGI ou à la cour d’appel de Paris pour tenter de fixer des « normes » de charge de travail, notamment dans des services spécialisés comme l’instruction. Certaines juridictions ont également lancé -et continuent de le faire- des expériences d’auto-évaluation par service permettant de dégager des consensus sur la charge de travail moyenne pouvant être confiée à un magistrat mais ces initiatives locales restent encore trop isolées. Elles reprennent souvent les préconisations d’un groupe de travail mis en place à l’école nationale de la magistrature (ENM) en 2007[5] et piloté par Didier Marshall sur la charge de travail comparative de juridictions de tailles différentes, fondées notamment sur l’auto-déclaration. Il est regrettable que ces préconisations ne soient pas exploitées de manière plus homogène et plus large.
Au niveau national, plusieurs chantiers ont été conduits dont quelques-uns méritent d’être rappelés.
D’abord en 1997, l’Ecole des mines a rendu un rapport[6] commandé par la direction des services judiciaires afin « de mettre au point des outils d’évaluation de la charge de travail des magistrats » mais le modèle d’évaluation ainsi construit méritait, selon les auteurs du rapport, une confrontation au réel sur plusieurs années et une déclinaison régionale. Il ne semble pas que ces travaux aient été exploités plus avant.
Ensuite, la chancellerie a créé, notamment après l’affaire de Pornic, différents groupes de travail. Un groupe sur la charge de travail des juges de l’application des peines (JAP) a débouché sur une circulaire du 7 octobre 2011[7] qui a fixé entre 700 et 800 par an le nombre de dossiers devant être traités par un JAP (1 ETPT).
Le groupe de travail sur la « justice des mineurs » a quant à lui déposé son rapport le 10 mai 2012 et a proposé des critères d’évaluation de la charge de travail des juges des enfants[8].
En revanche, le groupe présidé par M. DEGRANDI et M. LE BRAS, constitué en mars 2011 et chargé de définir des indicateurs et des méthodes d’évaluation de la charge de travail des magistrats pour les fonctions civiles et pénales, n’a pas abouti. Si un pré-rapport a été transmis à la chancellerie, aucune suite ne semble y avoir été donnée.
Ainsi, pour le CSM, l’évaluation de la charge de travail reste un chantier que la chancellerie doit impérativement mener à son terme, délicat certes mais indispensable pour assurer une répartition équitable du travail au sein des juridictions[9] et dégager des marges de manœuvre pour adapter les organisations internes. Le Garde des Sceaux restera en effet mal placé pour reprocher la mauvaise organisation des services au sein d’un TGI tant que les juridictions ne seront pas dotées d’un outil robuste en la matière.
Un tel chantier ne saurait être mené sans l’adhésion de ses acteurs car, faute d’accord suffisant sur la conception et le mode d’utilisation de cet outil, une « norme » nationale imposée à toutes les juridictions serait vécue comme injuste et déconnectée des réalités de terrain ou des spécificités locales.
En attendant, le système d’auto-évaluation, résultant de constats partagés et débattus contradictoirement, peut apparaître comme l’outil le moins approximatif et peut être utilisé de manière déconcentrée dans le cadre, par exemple, d’un projet de juridiction.
Pour optimiser l’organisation de leur juridiction, ses chefs doivent aussi disposer des informations suffisantes pour analyser le fonctionnement des différents services et mettre en évidence les freins ou les difficultés auxquelles se heurtent les magistrats et fonctionnaires qui les composent. A cet égard, si les tableaux de bord sont utiles, ils ne sont pas suffisants pour fonder des analyses et doivent être complétés grâce à quelques bonnes pratiques. Il en va ainsi, par exemple, des réunions régulières des chefs de services et/ou avec le barreau, des réunions de services associant tous ceux qui les composent en présence du chef de juridiction ou de la réunion régulière des commissions restreintes ou de la commission permanente sur des thématiques particulières. De cette manière, le chef de juridiction peut être amené à dégager, avec les services juridictionnels concernés, d’éventuelles priorités à donner au traitement judiciaire de tel ou tel contentieux[10] et à envisager des réorganisations susceptibles d’améliorer le service rendu au justiciable.
En matière d’application des peines, par exemple, il n’est pas indifférent de savoir combien de juges de l’application des peines interviennent en milieu ouvert et en milieu fermé pour déterminer s’il vaut mieux privilégier la spécialisation ou au contraire la sectorisation. De l’analyse fine de telles situations dépend la bonne organisation d’un service devenu particulièrement sensible.
B- La délégation des attributions du président de TGI.
Afin de dissiper toute ambiguïté, le CSM tient à souligner d’emblée, même dans le silence du COJ, qu’il estime normal et souhaitable qu'un président de juridiction puisse déléguer une partie de ses attributions, sans exclusive en matière d’administration et de gestion. Trois raisons essentielles le justifient :
- l’ampleur et la diversité des tâches incombant au président de juridiction (cf. IV, 2), à qui l’on ne peut pas demander de maîtriser tous les domaines et toutes les spécialités;
- l’impérieuse nécessité pour ce dernier de rester disponible et accessible tant aux membres de la juridiction et à son personnel qu’aux auxiliaires et collaborateurs de la justice, ce qui suppose de recourir au mécanisme de la délégation au profit de la hiérarchie intermédiaire;
- la circulaire de localisation des emplois prévoit en effet l’affectation dans les juridictions, selon leur taille, d'une hiérarchie intermédiaire plus ou moins consistante, en particulier sur des postes de premier vice-président B bis (1er VP B bis) ou de vice-président (VP)[11], qui a vocation à exercer des responsabilités prévues par les textes et/ou déléguées par l’un des chefs de juridiction.
1-Le recours à la délégation est une pratique courante dans la gestion des grandes organisations, notamment dans l’administration où l’on distingue traditionnellement la délégation de signature et la délégation de pouvoir.
2-Le COJ comporte quelques dispositions sur les délégations au sein des juridictions, mais aucune dans le domaine de l’administration et de la gestion.
Centré sur l'exercice juridictionnel des fonctions, ce code traite surtout de la délégation de magistrats (Ll21-4 et Rl21-3) et des délégations juridictionnelles données par le président (R2l2-9, R2l3-6, R213-10 pour le juge de l'exécution etc…) ; s’il règle aussi la suppléance du président (R2l2-4 et R2l2-5), du procureur (R2l2-14) ou du directeur de greffe (Rl23-8), il n'encadre pas du tout les délégations données par le président en dehors du domaine juridictionnel.
De ce fait, l’organisation interne d'une juridiction et la cascade des délégations qui l’accompagnent en matière d’administration et de gestion relèvent très largement d'une prérogative laissée à l’initiative des chefs de juridiction en leur qualité de chef d'une administration et de responsable de l’organisation des services placés sous leur autorité.
Le principe d’autonomie des juridictions fait aussi du président pour le siège et du procureur de la République pour le parquet les véritables responsables de l’organisation du travail dans leur juridiction. Ils sont, bien sûr, secondés par le directeur du greffe en ce qui concerne l’organisation des services du greffe. Et les instances de dialogue social, comme les commissions restreintes et permanente et les assemblées générales, sont également associées à sa définition, chacune selon ses compétences, clairement définies par le COJ.
3-Le choix des délégataires par le président.
Pour assurer le bon fonctionnement et la cohésion d’ensemble au sein du TGI, le choix des chefs de service, titulaires d’une délégation, apparaît également déterminant. Si le COJ prévoit la désignation par le président de coordonnateurs pour les services des affaires familiales ou pour la juridiction des mineurs (cf. I, A, 2), il n’en va pas de même pour les différentes chambres civiles ou pénales. Pourtant, la désignation d’un responsable pour chaque chambre apparaît essentielle.
A l’organisation traditionnelle en chambres et services, se superpose, on l’a vu, le responsable de « pôle » civil ou pénal. Si dans les TGI des groupes 1 et 2, ce rôle est naturellement dévolu à un 1er VP, rien n’est défini pour les autres TGI. En théorie, le président a toute latitude pour désigner le magistrat qui lui paraît le plus motivé et le plus intéressé par l’exercice de responsabilités qui dépassent le cadre juridictionnel habituel et à qui il pourra déléguer certaines attributions en toute confiance.
En pratique, cette désignation doit revêtir un caractère consensuel pour être acceptée par la communauté de travail : elle résulte à l’heure actuelle de critères disparates, qui vont de l’appétence pour ce type de responsabilité à l’ancienneté dans la juridiction.
La mise en œuvre de ce système de délégations sur le terrain n'est pas non plus exempte de flou car il faut aussi combiner les délégations aux 1ers VP avec celles consenties au secrétaire général (SG), lorsqu'il en existe un, ou aux VP. Et la plus ou moins grande légitimité des acteurs conditionne souvent l’effectivité de la délégation.
4-Les bonnes pratiques en matière de délégation.
Pour toutes les raisons indiquées ci-dessus mais aussi à cause de la double incertitude portant d’une part sur les conséquences qu’aura à terme sur l’organisation du ministère de la justice le redécoupage des régions administratives, d’autre part sur la création éventuelle de tribunaux de première instance[12], une grande souplesse doit continuer à présider à l’organisation interne des TGI et le CSM ne recommande pas, à ce stade, de solidifier les textes malgré quelques suggestions qui lui ont été faites en ce sens. En revanche, il recommande de mieux respecter quelques bonnes pratiques en matière de délégation.
Après avoir vérifié la qualité de l’encadrement intermédiaire de la juridiction et son aptitude à recevoir une délégation, le président qui délègue devrait :
- formaliser l'étendue et le contenu de chaque délégation dans une lettre de mission afin de fournir un cadre clair et précis au délégataire, cette lettre devant également mentionner les moyens mis à la disposition du délégataire pour exercer les responsabilités déléguées ainsi que les modalités de rapportage sur leur exercice ;
- contrôler périodiquement les résultats, l'existence de tableaux de bord de service ou de pôle définis en commun pouvant utilement faciliter ce contrôle par la diffusion d'une information fiable et suffisante.
5-Deux dilemmes à trancher par la chancellerie.
Tout système de délégation au sein des juridictions restera néanmoins fragile tant que leurs chefs n'auront pas directement autorité sur les services administratifs du greffe (articles R123-3, R123-15 et R123-16), lesquels sont actuellement dirigés par un directeur sur lequel ils exercent seulement une autorité et un contrôle hiérarchique. Or, les moyens nécessaires à l’atteinte des objectifs par les délégataires placés à la tête des différents pôles ou services d'une juridiction dépendent, pour partie, du directeur de greffe. Le rapport Marshall (proposition 23.1, p. 64) ayant proposé de placer le directeur de greffe sous l’autorité des chefs de juridiction, cette clarification du COJ paraît nécessaire au CSM si l'on veut conforter le système des délégations et réduire, pour les délégataires, le risque de grand écart entre les objectifs à atteindre, fixés par le délégant, et la maîtrise des moyens pour y parvenir, qui échappe pour partie au délégataire. Chacun peut comprendre que de tels choix posent de délicats problèmes d'équilibre entre les différentes familles du corps judiciaire et qu'ils soient donc différés[13] mais le Garde des Sceaux ne doit pas s'étonner, dans ces conditions, que le système actuel de délégations ne brille pas par sa clarté et ne produise pas toujours les résultats escomptés.
Il faudra aussi se demander qui doit choisir les délégataires (chef de pôle ou de service, cf. I, 3 ci-dessus) : le président de juridiction, l’assemblée générale, une combinaison des deux comme c’est actuellement le cas (art. R212-37 du COJ) ou les magistrats du pôle ou du service. Si chaque formule présente des avantages et des inconvénients, le critère de choix entre ces différentes options dépend des objectifs recherchés à travers le recours à la délégation.
Il va de soi, enfin, que pour rendre ce système plus robuste, il faudra aussi améliorer, au profit des chefs de cour et de juridiction, la prévisibilité et la visibilité à long terme sur le niveau des effectifs de magistrats et de fonctionnaires et, peut-être, établir à cet effet un lien direct entre les TGI et la DSJ en matière d'expression des besoins. A l’heure actuelle, cette visibilité est faible ou nulle, même à court terme : chefs de cour et chefs de juridictions dépendent tous, pour ce qui concerne la maîtrise de leurs ressources humaines, du calendrier des commissions administratives paritaires pour les fonctionnaires et de celui des transparences pour les magistrats. Le système des délégations en place dans chaque juridiction a donc une espérance de vie courte et doit être remis périodiquement à plat, en fonction de mutations qui ne sont guère prévisibles.
II Sur les obligations incombant aux chefs de cour et de juridiction en matière de contrôle des modalités d’organisation décidées par les services de leur ressort.
Comme le COJ ne définit pas clairement l’articulation des prérogatives respectives des chefs de cour et des chefs de juridiction en matière d’administration et de gestion des TGI (cf. I, A, 1), cette articulation découle autant de la pratique que des textes.
1-Des relations étroites et suivies entre chefs de cour et chefs de juridiction.
Si théoriquement, ils n’ont pas la faculté de s’ingérer dans l’organisation des services juridictionnels du 1er degré pour les raisons évoquées ci-dessus (cf. I, A, 3), au travers des rapports de performance, des demandes d’allocations de moyens et des contrôles de fonctionnement, les chefs de cour entretiennent un dialogue quasi quotidien avec les chefs de juridiction sur les mesures à mettre en œuvre pour améliorer la performance qualitative et quantitative de tel ou tel service d’un TGI ou de celui-ci dans son ensemble.
La qualité des relations entre les chefs de cour et les chefs de juridiction comme la conception plus ou moins interventionniste que les premiers peuvent avoir de leur mission contribuent à façonner cette répartition des rôles entre chacun d’eux. Idéalement, pour le chef de juridiction, le chef de cour doit être perçu comme un soutien et une personne ressource, nonobstant son rôle d’évaluateur et de responsable hiérarchique sur le plan administratif.
A cet égard, les réunions des chefs de juridictions, organisées par le chef de cour, selon une périodicité connue et régulière sur un ordre du jour déterminé facilite les échanges d’information et le croisement des analyses.
2-La coordination de l’activité des magistrats par la cour d’appel.
Le COJ confie à la cour d’appel un rôle de coordination de l’activité des magistrats spécialisés du ressort. Ses articles R312-13-1 et suivants prévoient en effet la désignation par le premier président de conseillers chargés de la coordination de l’activité des services spécialisés de première instance (JAP, JAF, JE).
De même, chacun dans leur spécialité, les présidents de chambre peuvent réunir les juges chargés du même contentieux pour échanger sur leur jurisprudence ou sur des réformes législatives et leurs conséquences.
Ce rôle de coordination, qui touche à l’activité juridictionnelle des juges de première instance, peut constituer un levier d’intervention sur les politiques de services mises en place en premier ressort. Favorisant le partage d’informations et de pratiques innovantes, à la frontière entre le juridictionnel et l’organisationnel, cette coordination ne peut avoir pour objet ou pour effet d’influer sur des décisions juridictionnelles mais doit être encouragée et développée comme une bonne pratique susceptible d’améliorer le service rendu aux justiciables.
Parallèlement à cette mission de coordination exercée par la cour d’appel, les juridictions de première instance peuvent définir des politiques judiciaires, souvent appelées politiques de juridiction, qui n’ont pas pour objet d’influer sur les décisions juridictionnelles mais d’exprimer des choix quant à l’organisation ou au traitement de contentieux (cf. I, A, 5°). L’ordonnance de roulement peut constituer un des marqueurs de cette politique judiciaire de même que l’organisation en pôles ou en services au sein de la juridiction.
3-Les chefs de cour exercent néanmoins un pouvoir de contrôle du fonctionnement des juridictions.
Si, aux termes de l’article R312-68 du COJ, les chefs de cour « procèdent à l'inspection des juridictions de leur ressort. Ils s'assurent, chacun en ce qui le concerne, de la bonne administration des services judiciaires et de l'expédition normale des affaires. Ils rendent compte chaque année au Garde des Sceaux, ministre de la justice, des constatations qu'ils ont faites», ce pouvoir n’a pas été clairement organisé par les textes.
Depuis le décret de 29 décembre 2010 relatif aux attributions et à l’organisation de l’inspection générale des services judiciaires (IGSJ), l’inspecteur général est cependant devenu le coordonnateur des inspections menées par les chefs de cour[14]. C’est ainsi que, chaque année, l’IGSJ consulte les chefs de cour pour connaître tout à la fois les juridictions qu’ils comptent inspecter eux-mêmes et celles qu’ils souhaitent voir inspectées par l’IGSJ. De cette manière, sont évitées d’inutiles duplications. L’inspecteur général peut également demander aux chefs de cour de contrôler spécifiquement telle ou telle juridiction, en fonction de l’actualité[15].
En pratique, s’est instauré un partage de la tâche, laissant à l’inspection le contrôle de fonctionnement des juridictions de taille importante et celui des plus petites aux chefs de cour.
Si un tel partage peut trouver de solides justifications dans le fait que l’inspection constitue un métier en soi et suppose d’appliquer, au cours de missions nécessairement longues, une méthodologie rigoureuse, il aboutit à ce que les chefs de cour sont partiellement dépossédés de leurs prérogatives au profit exclusif de l’inspection, donc du ministre, pour les grandes juridictions. Le TGI de Nantes relevant de cette dernière catégorie, le Garde des Sceaux ne devait donc pas s’attendre, après la publication du décret du 29 décembre 2010 dont il a été contresignataire, à ce qu’il fût inspecté par les chefs de cour.
Quoiqu’il en soit, le référentiel utilisé dans ces deux types de contrôle est en principe celui de l’inspection[16] et la procédure suivie très proche : un pré-rapport est notifié par les chefs de cour à la juridiction qui formule des observations auxquelles il est répondu.
Ces contrôles de fonctionnement sont une charge lourde pour les chefs de cour, qui ne sont pas forcément formés à l’exercice et ne disposent pas des moyens humains et matériels pour effectuer de telles inspections sur une large échelle. Beaucoup les effectuent d’ailleurs par eux-mêmes, ensemble ou séparément.
En 2013, une cellule a été mise en place au sein de l’inspection pour assurer le suivi des recommandations formulées. Si, grâce à celui-ci, la plupart des recommandations sont suivies d’effets, il n’est pas indifférent de relever que 4 à 6 % des recommandations émises à l’issue des inspections conduites par les chefs de cour ou par l’IGSJ ne sont pas mises en œuvre par les juridictions et qu’une bonne part de ces dernières porte sur la réorganisation des services. Ce pourcentage étant modique, le CSM ne croît pas devoir s’en inquiéter dans la mesure où il vient lui-même de rappeler que l'organisation des juridictions relève très largement de pouvoirs propres des chefs de juridiction (cf. I, B, 2). En outre, le débat entre chefs de cour et chefs de juridiction (cf. II, 1) prend ici tout son sens : s’ils ne sont pas en situation de pouvoir imposer leurs vues en matière d’organisation des juridictions, les chefs de cour peuvent conseiller ou recommander.
En définitive, un pilotage très centralisé a été récemment mis en place, dont les chefs de cour n’ont plus la totale maîtrise, contrairement à ce que l’article R312-68 du COJ a prévu et laisse encore supposer. Pourtant, sur le terrain, une inspection diligentée par les chefs de cour, responsables de proximité, n’est pas vécue de la même manière qu’un contrôle conduit par l’inspection générale. Dans le premier cas, elle s’inscrit plutôt dans la fonction de soutien qui permet aux chefs de cour de conseiller les chefs de juridiction et de dégager ensemble, si nécessaire, les voies et moyens d’une amélioration du fonctionnement de la juridiction.
Elle constitue aussi une source précieuse d’informations pour le pilotage du ressort puisque, sur site, les chefs de cour rencontrent les chefs de services et leurs équipes et échangent directement avec elles.
Le devoir de vigilance du chef de cour quant à la bonne administration des services judiciaires et à l’expédition normale des affaires suppose que les informations sur le fonctionnement et donc l’organisation des juridictions de leur ressort et de leurs différents services lui remontent ponctuellement et régulièrement.
Outre les indications tirées du rapportage des chefs de juridiction et des réunions tenues avec eux, les données fournies par le SAR, les chefs de cour peuvent porter une attention particulière aux « alertes » venant soit des auxiliaires de justice, soit de la société civile et portant sur tel ou tel dysfonctionnement qui serait signalé. Il ne s’agit pas de créer un climat de surveillance ou de suspicion mais d’organiser un traitement des courriers de réclamation qui permette d’attirer l’attention sur des difficultés réelles qui méritent d’être résolues.
Pour clarifier l’articulation entre les pouvoirs d’inspection des juridictions incombant respectivement aux chefs de cour et à l’IGSJ, le CSM suggère que les premiers se concentrent sur des contrôles de fonctionnement thématiques, par exemple une année donnée sur les services du JAF puis l’année suivante sur l’utilisation de la médiation ou de la conciliation comme mode alternatif de règlement des conflits... Ceci permettrait de dégager régulièrement une photographie nationale par grande catégorie de contentieux, de mettre en valeur et d'exploiter les éventuelles pratiques innovantes qui pourraient ensuite être recommandées et étendues à l'ensemble du territoire.
Pour que les chefs de cour s’approprient cette manière de procéder, la conférence des premiers présidents pourrait, notamment en fonction de l’actualité, proposer à l’IGSJ la liste des contrôles thématiques qui lui semblent s’imposer.
III. Sur le rôle des chefs de cours en matière d’allocation de renforts en effectifs.
Les chefs de cour peuvent jouer sur trois leviers pour allouer temporairement des effectifs supplémentaires à certaines juridictions du ressort.
A. L’emploi de vacataires.
L’emploi d’agents contractuels non titulaires -de vacataires- est le premier des moyens à la disposition des chefs de cour pour « faire face à un accroissement temporaire ou saisonnier d’activité lorsque cette charge ne peut être assurée par des fonctionnaires » (art. 6 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée par la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012-art. 37). La durée totale du contrat et de ses renouvellements éventuels est plafonnée[17].
Le recours aux vacataires[18] est même devenu une variable d’ajustement-clé dans la gestion des ressources humaines des juridictions. Les chefs de cour, qui bénéficient depuis plusieurs années de crédits relativement importants à ce titre, utilisent cette ressource afin de faire face aux emplois vacants de fonctionnaires ou de renforcer certains services en difficulté. Son utilisation est cependant soumise à deux contraintes.
En premier lieu, l’emploi des ETPT vacataires attribués est parfois fléché par l’administration centrale en fonction d’orientations nationales (par exemple, pour renforcer le service d’exécution des peines ou celui des tutelles). Si ces objectifs nationaux sont parfaitement légitimes, les chefs de cour restent néanmoins très attachés à la souplesse d’affectation et à la libre disposition de ces « crédits vacataires » qu’ils peuvent engager sur les secteurs d’activité les plus en difficulté de leur ressort.
En deuxième lieu, l’importance de ces emplois est devenue telle qu’elle influe désormais sur les durées d’affectation de ces agents : la situation du marché du travail permettant de recruter des personnes ayant un niveau élevé de formation générale, celles-ci assimilent rapidement les spécificités du poste d’affectation et, dans la plupart des cas, deviennent très vite opérationnelles. Aussi, là où, pour des considérations tenant souvent à des conséquences financières (paiement d’indemnités de chômage), prédominaient des contrats courts (trois mois), le souci d’efficacité tend, le plus souvent et notamment dans des situations peu ou prou assimilables à des comblements de postes de titulaires, à privilégier l’allongement de la durée des contrats (entre six et dix mois) plutôt que d’émietter sur la même durée de multiples contrats de courte durée.
S’agissant de recrutements temporaires et sans perspective de renouvellement d’une année sur l’autre, le recours aux vacataires ne saurait constituer une solution pérenne, même si cela tend à le devenir du fait de la pratique actuelle au sein du ministère de la justice : les chefs de juridiction et les directeurs de greffe restent en attente de ces affectations afin de maintenir le niveau d’activité des juridictions.
B. L’affectation de magistrats ou fonctionnaires placés.
1-Les magistrats placés sont appelés à remplacer temporairement les magistrats de leur grade des tribunaux de première instance et de la cour d'appel qui se trouvent empêchés d'exercer leurs fonctions du fait de congés de maladie, de longue maladie, pour maternité ou adoption ou du fait de leur participation à des stages de formation, ou admis à prendre leur congé annuel.
Ils peuvent, en outre, être temporairement affectés dans ces juridictions pour exercer, pendant une durée qui n'est pas renouvelable et qui ne peut excéder huit mois, les fonctions afférentes à un emploi vacant de leur grade.
Ils peuvent enfin, pour une durée qui n'est pas renouvelable et qui ne peut excéder huit mois, être temporairement affectés dans un tribunal de première instance, ainsi qu'à la cour d'appel pour les magistrats du premier grade, pour renforcer l'effectif d'une juridiction afin d'assurer le traitement du contentieux dans un délai raisonnable.
S'il s'agit de magistrats du siège et sauf consentement de leur part à un changement d'affectation, ils demeurent en fonctions jusqu'au retour du magistrat dont ils assurent le remplacement, ou jusqu'au terme fixé à leur affectation temporaire par l'ordonnance du premier président. A défaut d'assurer un remplacement ou d'être temporairement affectés dans les conditions ci-dessus, ces magistrats exercent des fonctions du siège ou du parquet du niveau hiérarchique auquel ils appartiennent au TGI du siège de la cour d'appel à laquelle ils sont rattachés ou au TGI le plus important du département où est située cette cour.
Ces magistrats ne peuvent en aucun cas exercer les fonctions de « placés » pendant une durée supérieure à six ans. A l’issue d’une période de deux ans[19], ils peuvent demander à être « assis » et, à l'issue des six ans, ils le sont automatiquement[20].
2-Les magistrats et fonctionnaires placés sont des ressources à la disposition des chefs de cour pour soutenir, après qu’un diagnostic partagé a été posé avec les chefs de juridiction, des projets susceptibles d’assurer une amélioration de l’organisation ou du fonctionnement des services par l’apport de personnels supplémentaires, en quantité ou en qualité.
La gestion des placés doit, pour les chefs de juridiction mais aussi pour les magistrats, s'appuyer sur une bonne connaissance par les chefs de cour de l'état des juridictions du premier degré et s’effectuer dans la transparence, ne serait-ce que pour vérifier que la cour d’appel n’est pas privilégiée au détriment des TGI. L'objectif de la délégation doit être précisé par le chef de cour, au besoin dans un contrat d'objectif, et prévoir un compte-rendu et une évaluation au terme de la mission, en particulier pour les magistrats.
Lorsqu’ils sont en partie non pourvus, ce qui est souvent le cas depuis quelques années, le comblement de ces postes « placés » doit absolument être retenu comme une priorité par la chancellerie. Le renforcement des moyens en fonctionnaires placés (essentiellement des catégories A et B) au maximum de la circulaire de localisation des emplois (CLE) nécessite aussi une négociation constante des chefs de cour avec l’administration centrale.
Pour les magistrats, ce seul objectif n’est pas simple à atteindre. La difficulté est plus grande encore au parquet, en raison de la structure actuelle du corps et des servitudes attachées à la fonction. Ici encore, les marges de manœuvre sont contraintes dans un contexte où il existe un déficit de près de 400 postes de magistrats par rapport à la CLE 2013. Aussi, le rythme bisannuel des mouvements oblige-t-il bien souvent les chefs de cour à passer par des scénarios intermédiaires consistant à privilégier le renforcement des « placés » au niveau régional, en acceptant en contrepartie une marge temporaire de postes vacants plus importante sur l’ensemble des juridictions du ressort.
En effet, ce n’est qu’au prix de cet effort de négociation qu’ils peuvent espérer, épisodiquement et dans les séquences temporelles les plus favorables, disposer d’un volant en magistrats placés et en greffiers susceptible d’être spécifiquement dédié à des contrats d’objectifs régionaux. Ces derniers ont essentiellement pour objet d’allouer un surnombre temporaire dans un service en difficulté afin de résorber les stocks et, dans le même temps, de définir les contours d’une organisation pérenne, une fois les moyens supplémentaires retirés. La signature de tels contrats n’est toutefois possible qu’en deçà d’un certain niveau de vacances constaté sur l’ensemble des juridictions du ressort.
3-Des ressources humaines peuvent également être mutualisées dans certaines circonstances.
S’agissant des remplacements de courte durée, il est fréquent, dans un contexte où le nombre de postes vacants, auxquels s’ajoutent les absences pour maladie ou congés de maternité ou encore parentaux, excède largement le nombre des magistrats placés, que des absences inférieures à trois mois, notamment sur des postes spécialisés (JI, JE, JAP) ne soient pas compensées dès lors que parmi les affaires en cours les urgences pourront être traitées par d’autres cabinets, sans accumuler de retards trop importants.
D’autres mesures, comme la verticalisation des tâches[21], là aussi accompagnée de résorptions transitoires de stocks accompagnées par l’affectation de fonctionnaires placés, ont été mises en œuvre dans des services comme l’exécution des peines mais aussi et surtout dans les bureaux d’aide juridictionnelle.
4-La gestion des placés laissée à l'initiative des chefs de cour apparaît souvent comme un exercice frustrant à la fois aux chefs de cour et aux chefs de juridiction car affecter les placés consiste à arbitrer en permanence entre des demandes le plus souvent d'importance identique ou d’urgence égale.
Définir de manière concertée et transparente avec les chefs de juridiction une politique d'affectation des placés est indispensable pour les chefs de cour mais cette politique est difficile à mettre en œuvre lorsque le nombre des postes vacants, aussi bien d'ailleurs au sein des juridictions que dans les équipes de magistrats placés, est tel qu'il s'agit en réalité de répartir aussi équitablement que possible une pénurie généralisée.
Compte tenu de la raréfaction du volant de placés, notamment du fait que ces fonctions attirent de moins en moins de magistrats et sont surtout attribuées aux auditeurs de justice sortant d’école -sauf pour les vice-présidents placés, pour qui elles fournissent l’opportunité de passer au premier grade-, le CSM suggère de les revaloriser pour tenir compte des contraintes qu’elles imposent, en termes de capacités d’adaptation ou d’autonomie dans l’organisation. Les primes actuellement attribuées à ces magistrats s’élèvent à 39 %, identiques à celles des magistrats du parquet. Il faudrait aller plus loin, peut-être en re-pyramidant ces postes en « Bbis placés» dans les cours peu attractives et en étendant au ressort de toute la cour le choix géographique du poste de sortie[22]. Il conviendrait également de développer, comme l’expérience de la cour d’appel de Rennes y invite, une politique de sectorisation géographique des placés, chacun des placés se voyant confier une « portion du ressort », déterminée en fonction de son lieu de résidence.
C. La délégation de magistrats ou de fonctionnaires.
1-Selon l’article L121-4 du COJ, en cas de vacance d'emploi ou d'empêchement d'un ou plusieurs magistrats ou lorsque le renforcement temporaire et immédiat des juridictions du premier degré apparaît indispensable pour assurer le traitement du contentieux dans un délai raisonnable, le premier président peut déléguer les présidents de chambre et les conseillers de la cour d'appel, les juges des tribunaux d'instance et de grande instance pour exercer des fonctions judiciaires dans les tribunaux du ressort de la cour d'appel dont le service est assuré par des magistrats du corps judiciaire. Un magistrat ne peut être délégué plus de cinq fois au cours de la même année judiciaire. Ses délégations ne peuvent excéder une durée totale de trois mois[23].
Il en va de même pour les agents du greffe, qui peuvent, en vertu de l’article R123-17 du COJ et selon les besoins du service, être délégués dans les services d’une autre juridiction du ressort de la même cour d’appel[24].
2-Des délégations de magistrats du siège des TGI vers les tribunaux d’instance (Tl) ont, à titre d’illustration, été mises en œuvre à une échelle significative lors de la révision des mesures de protection des majeurs impliquée par la loi du 5 mars 2007.
3-Des mutualisations internes aux greffes sont également intervenues en recourant à la délégation, notamment lorsque plusieurs juridictions ont été regroupées sur des sites uniques dans le cadre de la refonte de la carte judiciaire. Il s’agissait essentiellement de délégations de fonctionnaires de TI vers des conseils de prud’hommes (notamment pour occuper des postes de chefs de greffe vacants) ou de conseils de prud’hommes vers des TGI ou des TI.
Cette mutualisation semble davantage utilisée au parquet, dans deux hypothèses surtout :
- en jouant sur la solidarité entre second et premier degré, en déléguant des magistrats du parquet général pour soulager les parquets en difficulté (régler des dossiers d'information ; tenir les assises) ou pour prendre toutes les affaires en appel ;
- en mutualisant les astreintes des permanences de week-end entre deux parquets géographiquement proches.
4-Même si elles ne peuvent qu’être encouragées, les délégations et mutualisations restent peu employées et risquent de le demeurer à l’avenir : elles sont délicates à mettre en œuvre compte-tenu de l’état général des effectifs dans les juridictions (la juridiction « délégante » risque à son tour de se mettre en difficulté), de la forte réticence des personnes concernées à accepter ces mobilités géographiques imposées (contraintes familiales ; enfants en bas âge ; disponibilité ou non du conjoint….) et d’un défraiement qui n’est pas perçu comme incitatif[25]. Le recours aux délégations ou à la mutualisation des ressources humaines entre juridictions n’est de ce fait possible et acceptable par les agents qu’entre sites rapprochés.
Trois conclusions ayant valeur de préconisations peuvent, selon le CSM, être tirées de cette analyse :
- les juridictions du premier degré ont périodiquement besoin de recevoir des renforts provisoires pour les raisons évoquées ci-dessus. En qualité de responsables de l’affectation des moyens entre les juridictions du ressort et en situation d’arbitres, les chefs de cour doivent disposer d’un volant adéquat de ressources humaines temporaires et les allouer dans la transparence et avec équité ; les trois dispositifs ci-dessus s’avèrent actuellement insuffisants pour répondre aux besoins, compte tenu du niveau élevé de vacances en magistrats ;
- la chancellerie doit, dans ce but, pourvoir en priorité les emplois de placés, qui sont le principal facteur de souplesse pour les chefs de cour et la meilleure ressource en termes de formation et de réponse aux besoins ;
- ces ressources permettent de régler des difficultés conjoncturelles mais ne permettent pas de résoudre les problèmes structurels découlant notamment des insuffisances de recrutement des années 2009 à 2011[26] ou des missions nouvelles confiées aux juges à moyens humains constants, sans toujours tenir compte des conclusions des études d’impact des réformes législatives ainsi mises en œuvre.
De ce point de vue, le CSM fait part au Garde des Sceaux de son souhait que les recrutements de magistrats soient stables et prévisibles dans la durée.
IV Les critères présidant au choix par le CSM des chefs de juridictions.
Les réflexions ci-dessus conduisent le CSM à revenir sur ses critères de choix des chefs de juridiction, après avoir rappelé le contenu des fonctions qu'ils exercent et leur ressenti à cet égard.
1-Les critères de sélection des chefs de juridiction, s'ils ne sont pas strictement détaillés dans les rapports annuels du CSM, transparaissent néanmoins nettement lorsqu'il est rendu compte du parcours préalable des présidents proposés (rapport d'activité 2012, p. 40 ; rapport d'activité 2013, p. 56-58) et parfois au détour d'un développement spécifique (rapport d’activité 2012, p. 40-41 au sujet des auditions).
Il en ressort qu'il n'existe pas, pour le CSM, de filière privilégiée d'accès aux fonctions de chef de juridiction, même si, de fait, l’exercice de fonctions telles que celles de 1er vice- président, de conseiller de cour d'appel, de juge directeur de tribunal d'instance, de responsable de pôle, de secrétaire général de cour d'appel y prédispose plus que d’autres.
2-Les fonctions exercées par un président de TGI sont très variées.
Le président de juridiction, primus inter pares, est d'abord un juge, investi par le COJ de fonctions juridictionnelles spécifiques. Le poids de cette activité dans l’emploi du temps du président décroît avec la taille de la juridiction : très important dans les petites juridictions, il diminue dans les plus grandes, au profit des tâches d'administration, de gestion et d'animation. La quantité et la qualité de l’activité juridictionnelle du président contribue à asseoir sa légitimité tant à l’égard de ses collègues qu'à l'égard des auxiliaires de justice.
Par voie de conséquence, le président de juridiction est, pour le CSM, l’autorité de proximité chargée de veiller au respect de l’indépendance de la magistrature par rapport aux attaques ou mises en cause qui, de l’extérieur, pourraient être dirigées contre les magistrats du ressort (fonction de « paratonnerre », voir en ce sens l’avis délibéré par le CSM le 26 novembre 2014, sur saisine du Garde des Sceaux du 25 mars 2013). Il est aussi chargé de veiller au respect des règles déontologiques par les magistrats du ressort.
Le chef de juridiction est responsable de l’administration et de la gestion de son tribunal. A ce titre, il arrête l’ordonnance de roulement et répartit les effectifs entre les différents services (cf. I, A, 2), pilote l’activité de la juridiction (par exemple, juger en priorité les affaires les plus anciennes) et en rend compte au chef de cour, veille à l’entretien des locaux et au bon accueil du public, est responsable de la sécurité des bâtiments en sa qualité de chef d'établissement, prépare les demandes budgétaires de la juridiction et garantit le respect des enveloppes budgétaires attribuées, etc…
Il exerce également une fonction d'animation, qui revêt une importance croissante. A l’interne, il doit réunir et animer des organes de concertation avec les magistrats et les fonctionnaires (assemblées générales, commission permanente, commission restreinte) et des instances de dialogue social (CHSCT-D...). Son implication est également déterminante pour l’élaboration et la mise en œuvre de tout projet de service ou de juridiction. Il préside aussi, on l’a vu, les réunions des différents services de la juridiction (cf. I, A, 4 et 5) et participe aux réunions qui associent soit fréquemment le président et le procureur (dyarchie), soit ces deux derniers et le directeur de greffe (triarchie). Tout ceci prend du temps, car il faut expliquer, convaincre et chercher à établir le consensus le plus large avant de décider. Cette fonction d'animation est tout aussi cruciale lorsqu'il s'agit de mobiliser les énergies internes pour appliquer les réformes législatives (révision de la carte judiciaire ; hospitalisation d'office avec intervention obligatoire du juge des libertés et de la détention ; réforme des tutelles ; expérimentation de l’association de citoyens au jugement des affaires correctionnelles...), qui se surajoutent, souvent à moyens constants, aux charges ordinaires des juridictions.
Avec l’extérieur, il doit entretenir des relations confiantes et constructives avec les auxiliaires de justice, notamment le barreau, et la plupart des professions juridiques (notaires, huissiers, mandataires de justice...), avec les autorités de police, avec les experts, les associations qui gravitent autour des juridictions (victimes, PJJ etc…).
Il est aussi chargé de l’animation du ressort (chambres détachées, tribunaux d’instance, juridictions de proximité, maisons de la justice et du droit…) et entretient à ce titre des relations institutionnelles avec les juridictions spécialisées (tribunal de commerce, conseil des prud’hommes...).
On rappellera pour mémoire les fonctions de représentation de l’institution judiciaire dans le ressort, notamment auprès des autorités élues et des autorités administratives, des médias, des établissements d’enseignement du droit... Des magistrats qu’il faut désigner participent également à un nombre élevé de commissions administratives en tout genre (commissions locales de sécurité…), dont il faut suivre l’activité. Même si ces fonctions de représentation sont de facto largement assurées par les procureurs, les présidents de juridiction ne peuvent pas totalement s’en désintéresser, surtout lorsque ils ont défini une politique de juridiction (cf. II, 2).
Tout ceci implique de la part du chef de juridiction, juge administrateur, une grande disponibilité et une accessibilité aisée pour tous. Et requiert de sa part une polyvalence certaine, accompagnée d’une solide maîtrise juridique. Cette exigence de polyvalence croît d’ailleurs avec la taille de la juridiction.
3-Le ressenti sur l’exercice des fonctions de chef de juridiction.
Les fonctions de président de juridiction continuent à attirer un nombre significatif de magistrats qui souhaitent, à un moment donné de leur carrière, ne pas s’enfermer dans la seule expertise juridique et s’ouvrir à d’autres horizons, notamment celui de l’animation d’équipes et du management d’organisations complexes.
Elles sont néanmoins considérées comme de plus en plus difficiles à exercer et de moins en moins gratifiantes, pour des raisons bien identifiées :
- la prise de fonctions est souvent délicate car le prédécesseur est parti depuis longtemps[27] et n'a pas nécessairement laissé ses consignes ou une documentation en ordre sur la juridiction, dont la mémoire n’est pas toujours organisée ;
- les tensions sur les effectifs de magistrats et de fonctionnaires (vacances de postes) ; la rotation très élevée des effectifs dans les juridictions du Nord et de l’Est du pays ; des conditions de travail difficiles (surcharge des audiences et audiences tardives; permanences et travail durant le weekend ; problématiques de harcèlement moral et de burn-out…) ;
- l’absence de maîtrise sur l'essentiel des moyens (personnel, budget, locaux, informatique...) ;
- des marges de manœuvre budgétaires en réduction constante ;
- la perte des symboles associés à l’exercice de responsabilités (logement de fonction etc…), comparativement à d'autres administrations de l’État ;
- le sentiment que les responsabilités associées aux fonctions augmentent alors que les moyens pour les exercer se réduisent (le « syndrome de Pornic »).
Ces éléments expliquent sans doute la baisse relative du nombre des candidats pour exercer les fonctions de président de juridiction, spécialement dans certaines parties du territoire. Le CSM s'est plus d'une fois trouvé en difficulté pour pourvoir une présidence, compte tenu du faible nombre de candidats et a donc dû procéder à des appels à candidatures, qui n’ont pas toujours eu beaucoup d’écho. Sans que ces éléments ne remettent fondamentalement en cause les critères de sélection des chefs de juridiction, cette situation nouvelle a eu un impact sur les critères de choix par le CSM des chefs de juridiction.
4-L'exercice des fonctions de président de juridiction dans le contexte rappelé ci-dessus suppose que le candidat réunisse un nombre élevé de qualités ou d'aptitudes, que le CSM s'efforce d'apprécier au mieux lors du processus de sélection.
Il est d'abord attendu du candidat qu'il soit un « bon juge », maîtrisant le droit civil et pénal. Il est également attendu de lui qu'il ait réfléchi au rôle du juge et de la justice dans la société et à l'importance à cet égard de la déontologie des magistrats, domaine dans lequel il doit être personnellement irréprochable[28].
Le candidat doit également démontrer un intérêt pour les questions d'organisation et de gestion. Comme un chef de juridiction doit en permanence identifier les leviers d'amélioration de la productivité et de la qualité, toute expérience en la matière est bienvenue.
L'importance des fonctions d'animation incombant au président de juridiction a conduit le CSM à accorder davantage d'attention au pouvoir de conviction, aux capacités d'entraînement, au leadership et au style de management des candidats. En effet, au-delà des qualités généralement attendues des chefs (sens des responsabilités et de l’organisation ; autorité naturelle ; esprit d'initiative ; capacité à s'adapter à l’environnement socio-économique et culturel ; capacité à impulser et à conduire des projets ; capacité à écouter, à expliquer et à communiquer ; capacité à déléguer, à fixer des objectifs et à évaluer leur atteinte..), il ne reste en dernier ressort au chef de juridiction que sa capacité d'entrainement pour animer la juridiction et dégager des marges de manœuvre lorsque les moyens sont très contraints.
Toutes ces qualités ou aptitudes, hormis celles qui sont relatives aux fondamentaux du métier de juge, n'ont pas nécessairement à être maîtrisées dans leur entièreté : le CSM s'attache, surtout pour les premières nominations aux fonctions de président, au potentiel des candidats (rapport d'activité 2011, p. 49) et à leurs motivations.
5-Le CSM tire les conséquences suivantes des réflexions ci-dessus.
- Les chefs de juridiction portent une responsabilité éminente dans le bon fonctionnement de leur juridiction et de la justice au quotidien ainsi qu'en témoigne la jurisprudence disciplinaire du CSM (voir à ce sujet le rapport d'activité 2012, p. 145 à 158). La qualité de leur choix par le CSM est donc cruciale pour l’image de la justice dans notre pays.
-La nature essentiellement juridictionnelle de la fonction de président et l’étroite imbrication entre gestion d'un tribunal et exercice de la fonction juridictionnelle emportent qu'un TGI ne pourra jamais, selon le CSM, être présidé par un non-magistrat, alors que d'autres administrations peuvent faire appel à des personnalités extérieures pour diriger un service ou un établissement (hôpitaux…). Le vivier des futurs présidents de juridiction est donc définitivement limité au corps de la magistrature.
-Comme les compétences, notamment dans les domaines des ressources humaines et du management, s'acquièrent sur le terrain et dans la durée, le CSM estime que la durée optimale d'un mandat de président se situe entre 3 et 5 ans. C'est le sens qu'il faut donner à la « règle des trois ans » appliquée avec constance par le CSM, avec quelques rares dérogations.
-Il serait relativement aisé de faciliter leur prise de fonctions par les nouveaux présidents de TGI en formalisant davantage la passation de pouvoir entre président sortant et entrant, notamment en ce qui concerne la documentation à laisser à la disposition du successeur (derniers audits et rapport de fonctionnement sur la juridiction ; compte-rendu des réunions ; rapports adressés aux chefs de cour ; statistiques d'activité ; organigramme et notes d'organisation des services ; dernières évaluations des charges de travail…).
-Cette situation pourrait s'avérer préoccupante si devait se développer un phénomène, déjà amorcé, d'effet de ciseau entre des exigences de plus en plus élevées de la part du CSM (cf. IV, 4) et un déclin du nombre de candidats (cf. IV, 3).
Pour briser ce cercle vicieux et alimenter ce vivier de candidats, plusieurs actions doivent être impérativement poursuivies.
La première consiste à promouvoir les candidatures de magistrats au sein des juridictions. Cette responsabilité incombe spécialement aux chefs de cour et de juridiction, notamment à travers les évaluations auxquelles ils procèdent.
De manière particulière, il y a lieu de promouvoir les candidatures de magistrates pour que soit brisé le « plafond de verre » qui empêchait nombre d'entre elles de pouvoir prétendre à ces fonctions (rapport d'activité 2012, étude « La parité dans la magistrature », p. 279 et s). Si les statistiques récentes marquent une inflexion dans cette situation (rapport d'activité 2013, p. 52 et s), l’effort doit être poursuivi.
La deuxième consiste pour les chefs de juridiction, dans leur fonction d'encadrement et d'évaluation des ressources humaines dont ils ont la responsabilité, à faire naître des vocations, à les encourager (cf. rapport d'activité 2012, p. 297) et à « flécher » les candidats potentiels.
La troisième consiste à mieux préparer les candidats à l'exercice des responsabilités de chef de juridiction. De ce point de vue, si le lancement du CSAJ s’était effectué dans de mauvaises conditions (rapport d’activité 2011, p. 95 et p. 163), sa transformation en CADEJ, sous l’égide de l’ENM, a permis de rectifier le tir (rapport d’activité 2013, p. 175 et s ; p. 298 et s). Le CSM a indiqué à cette occasion qu’il trouvait légitime que soit organisé au sein de la magistrature un processus permettant d’identifier les magistrats souhaitant exercer des fonctions d'encadrement et de chef de juridiction et de leur donner l’occasion de s’y préparer par une formation générale favorable au développement d’une réflexion sur leur métier et la place de la justice dans la société. Suivre ou avoir suivi la formation du CADEJ constitue donc un élément important à l’appui d'une motivation, même si le CSM n’a jamais considéré que ce cycle délivrait un passeport pour l'accès automatique aux responsabilités de chef de juridiction.
Par ailleurs, la formation des chefs de juridiction mise en place par l’ENM au profit de ceux qui vont prendre leurs fonctions est très bien perçue par les intéressés.
6-Les inflexions relevées ci-dessus dans la nature et l’étendue des fonctions exercées par les chefs de juridiction et, par voie de conséquence, dans les critères de leur sélection doivent-elles trouver un prolongement dans les critères de choix des premiers présidents de cour d’appel ?
Le rôle d’inspection et de contrôle confié aux chefs de cour (cf. II, 3) de même que le dialogue étroit et constant entre chefs de juridiction et chefs de cour sur l’amélioration de la performance quantitative et qualitative des différents services juridictionnels du ressort (cf. II, 1) ont à l’évidence des répercussions sur les attentes des chefs de juridiction à l’égard des chefs de cour. Leur rôle d’audit interne (cf. II, 3), l’évaluation qui leur incombe de la performance des juridictions du ressort, leur implication dans le dialogue de gestion avec la chancellerie et la présentation du budget de la cour d’appel auprès de la DSJ (cf. I, A, 1) impliquent de leur part de maîtriser les grands paramètres de l’organisation et de la gestion administrative et financière des juridictions.
Il serait donc hautement souhaitable que le CSM formalise la fiche de poste ou la description de fonctions des chefs de cour et de préciser davantage les compétences requises pour occuper ces fonctions, d’une nature différente de celle de chef de juridiction.
Le CSM sortant n’a pas eu l’occasion de conduire ce travail durant son mandat. Il souligne que l’absence d’une évaluation adaptée aux chefs de cour pose aussi une difficulté sérieuse pour gérer les carrières de ces magistrats et que si, pour devenir chef de cour, il n’est pas impératif d’avoir déjà exercé des fonctions de chef de juridiction (rapport d’activité 2013, p. 51), il est néanmoins indispensable d’avoir exercé des fonctions d’animation et de gestion.
Délibéré et adopté le 26 novembre 2014.
[1] Il en va de même dans les cours d'appel (art. R312-1) pour lesquelles le COJ distingue bien entre les chambres et les services administratifs du greffe.
[2] La délégation au sein du parquet présente quelques spécificités du fait de l‘unicité du ministère public et de son organisation hiérarchique.
[3] Note du Garde des Sceaux sur la rénovation du calendrier et des modalités du dialogue de gestion du programme « justice judiciaire », p. 3.
[4] La base de données Pharos sur l’activité des juridictions permet de chiffrer la production moyenne par magistrat au sein de chaque TGI et d’opérer des comparaisons à l’intérieur de chaque cour d’appel. En l’absence de toute norme nationale, ces moyennes ne permettent pas d’étalonner chaque juridiction par rapport à un standard.
[5] Quels outils pour la qualité de la justice ? Le projet, la méthodologie et les résultats. Session de formation 2007-2008. Directeur de session : Didier Marshall, premier président de la Cour d’appel de Caen.
[6] Rapport intitulé « Le jugement et la norme : l’évaluation de la charge de travail des magistrats dans les tribunaux de grande instance » de F Engel et F Pallez (novembre 1997).
[7] Circulaire du Garde des Sceaux du 7 octobre 2011 relative à la mise en œuvre des recommandations du groupe de travail sur le service de l’application des peines. Cette norme statistique comprend les interventions en milieu ouvert et fermé ainsi que les décisions prises en application de l’article 723-15 du code de procédure pénale.
[8] 350 dossiers d’assistance éducative (AE) pour les cabinets dont l’activité pénale est inférieure à 40% de leur activité juridictionnelle et 290 dossiers d’AE si l’activité pénale est supérieure à ce seuil.
[9] Le caractère équitable de la répartition de la charge de travail au sein du TGI a également un impact fort sur le climat social et la cohésion interne entre magistrats et fonctionnaires.
[10] Une des marges d’adaptation des TGI en cas d’insuffisances de moyens consiste à privilégier le traitement de certains contentieux (affaires familiales etc.) au détriment d’autres. Pour le CSM, ces priorités doivent être fixées de manière réfléchie sur le long terme et transparentes ; après avoir été débattues en assemblée générale, elles doivent également être communiquées aux chefs de cour afin qu’elles soient clairement assumées par la hiérarchie.
[11] Le CSM aurait aimé pouvoir citer à cet égard un extrait de la description de fonction de 1VP ou de VP. Mais ces descriptions de fonctions n’ont pas encore été diffusées dans la magistrature.
[12] Fortement recommandée par le rapport du groupe de travail dit Marshall (proposition 4, p. 34), cette création a, pour le moment, été écartée par la Garde des Sceaux et par la grande majorité des assemblées générales lors de leur consultation sur « La justice du XXIème siècle ». Elle modifierait notamment la donne en ce qui concerne la mutualisation des moyens de l’ensemble des greffes de l’arrondissement judiciaire (cf. III, C) et donnerait davantage de flexibilité aux organisations.
[13] En ayant créé un comité de gestion réunissant le président du TGI, le procureur de la République et le directeur de greffe, l’article R. 212-60 du COJ, inséré dans ce code par le décret n° 2014-1458 du 8 décembre 2014 (cf. p. 2-3), a institutionnalisé la triarchie au sein des TGI (cf. p. 21) et renforcé la position du directeur de greffe.
[14] L’article 4 du décret n° 2010-1668 dispose que « L'inspecteur général des services judiciaires assure la coordination des inspections des chefs de cour prévues par les articles R. 312-68 du code de l'organisation judiciaire et R. 1423-30 du code du travail et centralise leurs rapports en vue de leur exploitation.
Il communique au secrétaire général du ministère de la justice et aux directeurs de l'administration centrale ces rapports ou les éléments de ces rapports qui relèvent de leur compétence.
Il peut demander aux chefs de cour d'user de leur pouvoir d'inspection à l'égard d'une juridiction déterminée. »
[15] En pratique l’inspecteur général n’a utilisé cette prérogative que six fois en 2013, pour des inspections de conseils de prud’hommes.
[16] Un référentiel spécifique aux inspections des chefs de cour a existé dans le passé mais n’a pas été réactualisé, de sorte qu’il n’est plus utilisé.
[17] Elle ne peut excéder six mois au cours d’une période de douze mois consécutifs pour faire face à un besoin lié à un accroissement saisonnier d’activités ou douze mois au cours d’une période de dix-huit mois consécutifs pour faire face à un besoin lié à un accroissement temporaire d’activités (Décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 modifié par le décret n° 2014-364 du 21 mars 2014 - art. 8).
[18] Recrutés directement par les directeurs de greffe sur la base de demandes d’emplois spontanées ou par l’intermédiaire des services de Pôle-emploi, ils sont soumis au secret professionnel dans le cadre des règles instituées par le code pénal et sont tenus à l’obligation de discrétion professionnelle pour tout ce qui concerne les faits et informations dont ils ont connaissance dans l’exercice de leurs fonctions. Ils sont également tenus aux devoirs de réserve, d’intégrité, de loyauté et de moralité selon la circulaire du 26 novembre 2007 du ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique.
[19] Après deux ans d'exercice dans leurs fonctions et sur leur demande, ces magistrats sont nommés au TGI du siège de la cour d'appel à laquelle ils sont rattachés ou au TGI le plus important du département où est située ladite cour. La nomination intervient sur le premier emploi vacant respectivement du siège ou du parquet du niveau hiérarchique auquel ces magistrats appartiennent et pour lequel ils se sont portés candidats, à l'exception des emplois de chef de juridiction, premier vice-président, premier vice-président adjoint, procureur de la République adjoint ou premier vice-procureur de la République des TGI.
[20] Respectivement en qualité de magistrat du siège ou du parquet du niveau hiérarchique auquel ils appartiennent dans celui des deux TGI visés ci-dessus où, au plus tard quatre mois avant la fin de la sixième année de leurs fonctions, ils ont demandé à être affectés. A défaut d'avoir effectué un choix, ils sont nommés au TGI le plus important du département où est située la cour d'appel à laquelle ils sont rattachés. Les nominations sont prononcées, le cas échéant, en surnombre de l'effectif budgétaire du niveau hiérarchique auquel ils appartiennent et, s'il y a lieu, en surnombre de l'effectif organique de la juridiction. Les surnombres sont résorbés à la première vacance utile intervenant dans la juridiction considérée (article 3-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature modifiée par la LO n° 2012-208 du 13 février 2012 - art. 2).
[21] La verticalisation, qu’on rencontre surtout dans le domaine pénal, désigne la situation dans laquelle le greffe assume la totalité du processus judiciaire, de l’enregistrement jusqu’à l’exécution des décisions.
[22] Un projet de loi organique modifiant le statut de la magistrature, en cours de préparation par la Garde des Sceaux, le prévoira.
[23] Les articles R 122-2, R 122-3 du COJ prévient des dispositions analogues, dans les mêmes circonstances, pour les magistrats du parquet : le procureur général peut déléguer, pour remplir les fonctions du ministère public près les tribunaux du ressort de la cour d'appel, un magistrat du parquet général ou un magistrat du parquet d'un TGI du ressort de cette cour pour une durée ne pouvant excéder trois mois. Il peut aussi déléguer, pour remplir les fonctions du ministère public près la cour d'appel, un procureur de la République adjoint ou un vice-procureur du parquet d'un TGI du ressort de cette cour avec la même limitation de durée.
[24] Cette délégation est prononcée par décision du premier président de la cour d’appel et du procureur général près cette cour. Elle ne peut excéder une durée de deux mois. Toutefois, le Garde des Sceaux, ministre de la justice peut la renouveler dans la limite d’une durée totale de huit mois. Dans les départements d’outre-mer, elle peut excéder une durée de six mois. Toutefois, le Garde des Sceaux, ministre de la justice, peut la renouveler ou lui assigner une durée supérieure.
[25]Le barème national des frais de déplacement et de logement applicable aux magistrats et aux fonctionnaires ne couvre pas toujours les frais réellement exposés. Par ailleurs, si certains premiers présidents tiennent compte des délégations pour fixer le taux de prime modulable attribué aux magistrats ayant fait l’objet d’une délégation, ce n’est pas toujours le cas.
[26] Au cours de ces années, le volume des effectifs recrutés par l’ENM lors des concours 2008 à 2010 est passé de 250 par an à 130, alors que 300 départs par an étaient annoncés. Cette insuffisance de recrutement a privé la magistrature d’environ 400 magistrats, ceux qui manquent cruellement aujourd’hui. Depuis lors, le recrutement des magistrats a de nouveau été relevé à une moyenne, sur 3 ans, de 247 (212 en 2011, correspondant à la promotion 2012, 256 en 2012 pour la promotion 2013 et 275 en 2013 pour la promotion 2014).
[27] Pour cette raison, le CSM rend régulièrement compte du délai de nomination des chefs de juridiction décompté à compter de la vacance du poste à pourvoir et essaie de raccourcir ce délai au mieux de ses possibilités.
[28] Dans une décision du 20 septembre 2012 (S200), le CSM Siège a rappelé que le président « doit, en tout, donner une image exemplaire de l’institution qu’il représente dans son ressort ».