Avis de la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature
à Monsieur le garde des sceaux, ministre de la Justice et des Libertés
En vertu de l’article 65 de la Constitution, il a été demandé, le 22 février 2011, à la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature, de faire part de ses réflexions sur les questions soulevées par l’affaire relative à la mort d’une jeune femme à Pornic, pour ce qui concerne le fonctionnement des juridictions. Lui ont été à cet effet transmis le rapport établi par l’inspection générale des services judiciaires sur le « service de l’application des peines du tribunal de grande instance de Nantes » et le rapport de l’inspection des services pénitentiaires sur les « conditions de la prise en charge», par le service pénitentiaire d’insertion et de probation de Loire-Atlantique, d’une personne aujourd’hui mise en cause dans la mort de la jeune femme à Pornic, en souhaitant que tous les enseignements des conclusions de ces rapports puissent être tirés. La demande, qui porte sur le fonctionnement des juridictions au regard de cette affaire, distingue toutefois, de manière particulière, deux aspects : – La qualité du suivi des personnes condamnées, élément fondamental de la lutte contre la récidive. Il a été souhaité, à cet égard, de recueillir les recommandations du Conseil sur la façon de favoriser la coordination entre les juges d’application des peines, le parquet et les services de l’administration pénitentiaire. – « L’exercice par les chefs de juridiction et de cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci ».
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Avant de faire part de ses réflexions sur l’ensemble de ces questions et sans méconnaître la très profonde émotion que les circonstances dramatiques de la mort de la jeune femme à Pornic ont suscitée, le Conseil souhaite rappeler que le respect du principe de la présomption d’innocence, garanti par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et le code de procédure pénale, s’impose à l’égard de toute personne mise en cause dans une affaire criminelle tant qu’elle n’a pas été jugée.
1. – Sur le fonctionnement des juridictions et la qualité du suivi des personnes condamnées, comme élément fondamental de la lutte contre la récidive
L’analyse approfondie du rapport de l’inspection générale des services judiciaires et, tout particulièrement, de celui de l’inspection des services pénitentiaires, révèle des difficultés déjà largement mises en exergue dans des rapports antérieurs. Il n’est peut-être pas inutile, à cet égard, de rappeler la succession, au cours de la dernière décennie, des nombreux rapports sur la récidive, l’exécution et l’application des peines qui ont apporté des réflexions approfondies :
– 2002 : groupe de travail mandaté par les ministres de la Justice et de la Santé sur « la prise en charge des auteurs d’infractions sexuelles soumis à une injonction de soins dans le cadre d’une mesure de suivi socio-judiciaire » ;
– 2003 : groupe de travail mandaté par les responsables des mêmes départements ministériels sur la « santé mentale des personnes détenues – comment améliorer et articuler les dispositifs de prise en charge sanitaire et pénitentiaire ? » ;
– 2003 : rapport de M. Jean-Luc Warsmann sur « les peines alternatives à la détention, les modalités d’exécution des courtes peines et la préparation des détenus à la sortie de prison » ;
– 2004 : mission d’information no 1718 de l’Assemblée nationale « sur le traitement de la récidive des infractions pénales » ;
– 2005 : commission « santé-justice» présidée par Jean-François Burgelin, procureur général près la Cour de cassation ;
– 2006 : mission sur la «dangerosité et la prise en charge des individus dangereux » confiée à M. Jean-Paul Garraud, député ;
– 2006 : mission d’information sur « les délinquants dangereux atteints de troubles mentaux» conduite par M. Philippe Goujon, député ;
– 2007 : commission d’analyse et de suivi de la récidive ;
– 2008 : rapport au Président de la République de M. Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation, « Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux » (30 mai 2008) ;
– 2010 : rapport d’information no 1811 de l’Assemblée nationale, de M. Étienne Blanc et M. Jean-Luc Warsmann, « Juger et soigner : lutter contre les pathologies et addictions à l’origine de la récidive » ;
– 2011 : rapport no 3177 de l’Assemblée nationale de M. Étienne Blanc et M. Jean-Luc Warsmann, sur les carences de l’exécution des peines et l’évaluation de l’application Cassiopée.
Si certaines propositions de ces rapports ont été reprises notamment dans la loi d’orientation pénitentiaire n° 2009-1436 du 25 novembre 2009, comme celle consistant à inclure la prévention de la récidive dans la définition des missions des services pénitentiaires d’insertion et de probation et dans la loi n° 2010-242 du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale, la majorité des recommandations proposées n’a pas été suivie d’effet. Le Conseil, dans sa formation plénière, recommande que, préalablement à toute nouvelle analyse, une mission de suivi des propositions soit instituée. Il lui incomberait d’établir la liste complète de l’ensemble des recommandations déjà formulées et d’assurer la mise en œuvre effective de celles qui méritent d’être retenues.
En outre, la lutte efficace contre la récidive nécessite une stabilité législative. L’appropriation des réformes par les juridictions et leurs partenaires suppose qu’elle s’inscrive dans la longue durée, ce qui n’est plus le cas, avec la succession trop rapide des textes. Sur ce point, le rapport de l’inspection générale des services judiciaires de février 2011 souligne la nécessité de prendre en compte la mise en place de nouveaux dispositifs liés aux réformes législatives successives dans l’évaluation de la charge de travail du service de l’application des peines et fait écho au rapport du 30 mai 2008 qualifiant l’arsenal législatif de «dispositif d’ensemble complexe ».
Parmi les orientations proposées dans les différents rapports précités, la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature en relève cinq qui lui paraissent particulièrement importantes. – La formation à la recherche en criminologie Le rapport précité du 30 mai 2008 soulignait (p. 16) que « la dangerosité criminologique ne se réduit pas à la seule dangerosité psychiatrique. C’est une notion complexe qui met en œuvre une 278 Annexes du rapport d’activité série de critères d’appréciation prenant en compte l’ensemble des facteurs, psychologiques, environnementaux et situationnels, de nature à favoriser la commission d’une infraction», recommandant de «promouvoir non seulement une politique d’encouragement et de soutien à la recherche criminologique, mais encore le développement de l’enseignement de la criminologie clinique ».
À cet égard, le décret n° 2005-445 du 6 mai 2005 et la circulaire de référence du 19 mars 2008 relèvent que les deux composantes de la prévention de la récidive sont constituées par la dimension criminologique et la dimension sociale. Or, le rapport de l’inspection des services pénitentiaires (p. 20) rappelle que la Cour des comptes, dans son rapport de 2010, soulignait «les limites de la formation théorique [des CPIP (conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation)] en matière de sociologie et de criminologie», ce qui peut affecter la prise en charge la plus pertinente des personnes suivies. – La nature du suivi par une équipe pluridisciplinaire
Dans le rapport précité du 30 mai 2008 (p. 30), il était indiqué que « la dimension thérapeutique […] ne se limite pas aux remèdes de la médecine. Elle s’élargit à un ensemble de soins délivrés par une équipe pluridisciplinaire, dont la composition doit pouvoir varier selon les cas, en faisant appel aux compétences d’un psychiatre, d’un psychologue, d’un criminologue clinicien, d’un éducateur, d’un assistant social et d’un infirmier psychiatrique ». Cette recommandation trouve son prolongement dans l’organisation du suivi médical du détenu après sa libération.
Sur ce point, le rapport de l’inspection des services pénitentiaires a relevé l’absence de partage d’informations opérationnelles entre les acteurs pénitentiaires et les acteurs de santé intervenant au centre pénitentiaire de Nantes, rappelant les termes du rapport de l’inspection générale des services judiciaires de 2006 qui soulignait la nécessité de décloisonner les différents services et de favoriser leur travail en commun. – Les moyens humains du suivi des personnes condamnées.
Il ressort du rapport de l’inspection des services pénitentiaires que le suivi d’une personne condamnée doit être complet et régulier. Cet élément renvoie à la nécessité d’effectifs suffisants pour les services de l’exécution et de l’application des peines de la juridiction, ainsi que pour le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), au titre du suivi des personnes condamnées.
La question des moyens est centrale pour permettre d’adapter l’intensité du suivi, afin de donner toute sa portée au premier alinéa de l’article D. 577 du code de procédure pénale qui dispose que « le juge de l’application des peines et les autres magistrats concernés communiquent, le cas échéant, pour chaque dossier dont ils saisissent le service, des instructions particulières pour le suivi de la mesure ». Le rapport précité du 28 avril 2003 de M. Jean-Luc Warsmann pré- conisait de créer 3000 postes équivalents temps plein d’agents de probation pour renforcer massivement le dispositif. De même, le rapport précité de 2008 soulignait que le nombre des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation devait être sensiblement augmenté, de façon à permettre aux SPIP de spécialiser une partie de leurs effectifs dans les suivis renforcés, avec le soutien d’équipes pluridisciplinaires départementales ou interdépartementales.
Le redimensionnement des moyens humains alloués à ces services est enfin lié au mode de prise en charge qui se doit d’être concret et « multidirectionnel» et à la nécessité, relevée dans le rapport précité de 2008, de fixer un « référentiel » indicatif des normes minimales de suivi des condamnés, afin de donner toute leur portée aux instructions du juge de l’application des peines. – Le nombre des médecins coordonnateurs Les réformes successives résultant des lois du 12 décembre 2005, du 5 mars 2007, du 10 août 2007 et du 25 février 2008 ont profondément accru le rôle et les missions des médecins coordonnateurs. Ainsi que cela a pu être souligné à de multiples reprises dans les différents rapports, et tout particulièrement dans celui du 30 mai 2008, l’augmentation des effectifs de médecins coordonnateurs et les moyens dont sont dotés les services médico-psychologiques régionaux constituent un enjeu d’importance au titre de la lutte contre la récidive.
Ce point apparaît d’autant plus crucial à la lumière du rapport de l’inspection des services pénitentiaires, qui souligne que, si le viceprésident référent du service de l’application des peines du tribunal de grande instance de Nantes a fait un travail considérable pour recruter des médecins coordonnateurs et assurer le fonctionnement satisfaisant des mesures, le chiffre de huit médecins coordonnateurs ainsi recrutés, relativement important par rapport à la situation qui prévaut ailleurs, était cependant déjà insuffisant.
Ainsi, malgré les récents efforts portant sur la création d’une formation de cent heures en 2009 et l’amélioration de la rémunération 280 Annexes du rapport d’activité de ces praticiens (rapport no 257 du 3 février 2010 du Sénat de M. Jean-René Lecerf, sénateur), l’ensemble reste sous-dimensionné et repose trop lourdement sur les initiatives locales. – Les moyens matériels Les différents rapports ne cessent de souligner l’insuffisance des moyens matériels et tout particulièrement informatiques. Ce point a été particulièrement relevé par l’inspection générale des services judiciaires dans son rapport de 2006, relatif à la « mission sur le fonctionnement des services pénitentiaires d’insertion et de probation ».
Elle y relevait que les dispositifs informatiques, s’agissant de l’application APPI, n’étaient pas encore utilisés de façon optimale. La Cour des comptes a fait le même constat en juillet 2010. Le rapport précité du 30 mai 2008 considérait comme prioritaire de dématérialiser l’entier dossier d’un condamné en le numérisant, pour faciliter une prise en charge immédiate. Il apparaît qu’à ce jour demeure entière la nécessité de rendre effective une communication fluide et rapide entre le SPIP et les juges de l’application des peines, d’une part, et entre le milieu ouvert et le milieu fermé, d’autre part.
De plus, il est indispensable, pour le Conseil, dans sa formation plénière, d’établir une interface entre les applications Cassiopée et APPI pour permettre une prise en charge rapide et effective des condamnations prononcées. Pour le Conseil, dans sa formation plénière, les cinq orientations qui viennent d’être mentionnées intéressent et impactent, directement ou indirectement, le fonctionnement des juridictions.
2. – Sur le fonctionnement des juridictions et l’exercice par les premiers présidents et les procureurs généraux, par les présidents et les procureurs de la République, de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci
Il est sollicité du Conseil supérieur de la magistrature, dans sa formation plénière, qu’il fasse connaître ses préconisations :
– sur le rôle des premiers présidents et des procureurs généraux, au regard de leur faculté de recourir à l’emploi de vacataires, à l’affectation de magistrats placés ou à la délégation de magistrats de leur cour,
– sur les obligations incombant aux premiers présidents et aux procureurs généraux ainsi qu’aux présidents et aux procureurs de la République, en matière de contrôle des modalités d’organisation 281 Avis de la formation plenière décidées par les services de leur ressort, ainsi que la possibilité, pour le président d’une juridiction, de déléguer ses attributions en matière d’administration et de gestion.
Le Conseil, dans sa formation plénière, observe que l’ensemble de ces questions porte sur le rôle et les missions des premiers pré- sidents de cour d’appel, en matière d’administration, de gestion, d’organisation et de fonctionnement des juridictions, ainsi que sur les compétences respectives du premier président et du président. Le Conseil est sensible à la confiance qui lui est ainsi accordée et se félicite que cette mission puisse trouver son prolongement dans l’approfondissement des critères présidant au choix des responsables des juridictions. Cette réflexion ne peut être conduite qu’à la suite d’études approfondies, de visites d’information dans les cours d’appel et d’auditions de personnalités qualifiées.
Le Conseil, dans sa formation plénière, estime que ces questions sont d’une telle importance qu’elles méritent qu’un futur rapport annuel du Conseil leur soit consacré.