Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet
CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE
Formation compétente pour la discipline
des magistrats du parquet
Avis motivé
de la formation compétente pour la discipline des magistrats du parquet
sur les poursuites engagées contre Madame X,
substitut du procureur de la République près le
tribunal de grande instance de xxxxx
La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, composée de :
Monsieur Jean-Claude Marin,
Procureur général près la Cour de cassation, président,
Monsieur Jean Danet,
Madame Soraya Amrani Mekki,
Madame Dominique Pouyaud,
Monsieur Guillaume Tusseau,
Madame Paule Aboudaram,
Monsieur Yves Robineau,
Monsieur Didier Boccon-Gibod,
Monsieur Jean-Marie Huet,
Monsieur Vincent Lesclous,
Monsieur Raphaël Grandfils,
Monsieur Richard Samas-Santafé,
Madame Virginie Valton,
Membres du Conseil,
Assistés de Monsieur Daniel Barlow, secrétaire général du Conseil supérieur de la magistrature ;
La direction des services judiciaires étant représentée par Monsieur Ludovic André, sous-directeur des ressources humaines de la magistrature, assisté de Madame Perrine Vermont, magistrat à l’administration centrale du ministère de la justice ;
Madame X, substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx, étant assistée de Monsieur A, vice-procureur près le tribunal de grande instance de xxxxx ;
Vu l’article 65 de la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 66 ;
Vu la loi organique n°94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;
Vu le décret n°94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;
Vu la dépêche du garde des Sceaux du 3 août 2016 et les pièces annexées, saisissant le Conseil supérieur de la magistrature pour avis sur les poursuites disciplinaires diligentées à l’encontre de Madame X ;
Vu la décision du 30 août 2016 désignant Madame Soraya Amrani Mekki, membre du Conseil, en qualité de rapporteur ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Madame X, préalablement mis à sa disposition ainsi qu’à celle de son conseil ;
Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure, que Madame X et son conseil ont pu consulter ;
Vu le rapport du 1er mars 2017 déposé par Madame Amrani Mekki, dont Madame X a reçu copie ;
Vu la convocation adressée à Madame X le 2 mai 2017 et sa notification du 16 mai 2017 ;
*
Les débats se sont déroulés en audience publique, dans les locaux de la Cour de cassation, 5 quai de l’Horloge à Paris (1er), le 4 juillet 2017.
A l’ouverture de la séance, le président de la formation a rappelé les termes de l’article 65 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels : «L'audience de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature est publique. Toutefois, si la protection de l'ordre public ou de la vie privée l'exigent, ou s'il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l'accès de la salle d'audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l'audience, au besoin d'office, par la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature ».
Madame X, comparante, n’a formulé aucune demande en ce sens.
Madame Amrani-Mekki a été entendue en son rapport, puis Madame X a été interrogée sur les faits dont le Conseil est saisi et a fourni ses explications.
Monsieur André a présenté ses observations et demandé le prononcé d’un avis tendant à une sanction de blâme avec inscription au dossier.
Madame X a été entendue en ses explications et moyens de défense.
Monsieur A a été entendu en ses observations.
Madame X a eu la parole en dernier.
L'affaire a été mise en délibéré au 13 juillet 2017.
*
1. Le garde des Sceaux reproche à Madame X d’avoir manqué aux devoirs de son état de magistrat, et plus particulièrement aux devoirs de rigueur et de prudence, en portant sur la feuille de liaison qui assure la transmission des informations entre le tribunal correctionnel et la maison d’arrêt, la mention du maintien en détention d’un condamné, alors que cette mesure n’avait pas été prononcée par le tribunal.
Il lui reproche plus particulièrement de s’être fiée, pour ce faire, aux déclarations verbales de la présidente de l’audience correctionnelle, sans prendre le temps de la réflexion et de la distance vis-à-vis de la démarche de l’agent pénitentiaire du greffe de la maison d’arrêt, venu se renseigner sur l’absence de cette mention, et sans procéder aux vérifications qui s’imposaient auprès du greffier d’audience quant au prononcé du maintien en détention, prenant ainsi le risque de commettre une erreur sur une question fondamentale liée à la protection de la liberté individuelle constitutionnellement garantie, sur laquelle elle se devait d’exercer un contrôle vigilant.
2. Il résulte des débats et des pièces versées au dossier que M. C a été condamné, le 12 juin 2015, à une peine de vingt-quatre mois d’emprisonnement dont six avec sursis et mise à l’épreuve pendant trois ans, sans que le tribunal correctionnel prononce son maintien en détention, qui n’avait pas été requis.
Madame X, qui représentait le ministère public lors de cette audience, a dans un premier temps inscrit cette peine sur la feuille de liaison destinée à l’établissement pénitentiaire.
Elle a ultérieurement ajouté sur ce document la mention du maintien en détention de l’intéressé.
Cette modification est intervenue après que l’agent pénitentiaire chargé du greffe de la maison d’arrêt eut pris l’initiative de se rendre au palais de justice pour interroger Madame X sur l’absence de maintien en détention du condamné, alors que cette dernière s’entretenait d’un autre dossier avec la présidente d’audience, en présence de tiers.
Si les circonstances ayant présidé à la modification de la feuille de liaison demeurent confuses, pour ce qui concerne notamment les propos exacts échangés avec la présidente d’audience quant au maintien en détention de M. C, il est constant que Madame X a alors agi dans la précipitation, sans prendre le temps de procéder à des vérifications approfondies sur la teneur exacte de la décision rendue, alors même qu’elle indique avoir eu un doute à ce sujet à la suite de l’interpellation de l’agent chargé du greffe de la maison d’arrêt.
4. Au-delà des difficultés suscitées par la pratique de la feuille de liaison, dont le statut et le régime ne sont précisés par aucun texte légal ou réglementaire, mais dont Madame X connaissait l’importance, cette attitude caractérise un manquement aux devoirs de prudence et de rigueur dans le contrôle de l’existence d’une mesure qui, parce qu’elle affectait la liberté d’un individu, devait justifier de la part de Madame X une vigilance toute particulière.
Le Conseil relève que l’omission ainsi caractérisée est intervenue à l’issue d’une audience au cours de laquelle la procédure ayant conduit à la condamnation de M. C était seule appelée et dont le déroulé n’a pas révélé de difficultés particulières.
Il n’est, à cet égard, pas démontré que les conditions du prononcé de la décision aient été de nature à perturber la bonne compréhension par Madame X de son énoncé, circonstance qui aurait dû la conduire à être d’autant plus circonspecte quant à une modification des notes qu’ele avait alors portées sur la feuille de liaison, sur une question touchant la protection de la liberté individuelle, dont tout magistrat est le gardien.
Il y a lieu, en conséquence, de regarder ce manquement comme fautif.
5. Le Conseil relève toutefois que les faits à l’origine de la saisine présentent un caractère isolé dans le parcours d’un très jeune magistrat, qui ne disposait alors que d’une faible expérience et dont chacun s’accorde à reconnaître les grandes qualités personnelles et professionnelles.
Ils sont en outre intervenus dans un contexte propre à interroger sur l’attitude et le positionnement d’autres acteurs de la procédure.
Ayant eu des conséquences dramatiques, du fait du suicide du condamné, ils ont enfin été à l’origine d’une forte remise en cause personnelle et professionnelle de Madame X, qui en a été durablement affectée.
En considération de ces éléments, le Conseil estime que le prononcé d’une sanction disciplinaire n’apparaît ni justifié, ni opportun.
PAR CES MOTIFS,
Après en avoir délibéré à huis clos, hors la présence de Madame Soraya Amrani-Mekki, rapporteur désigné,
Emet l’avis que, nonobstant l’existence d’une faute disciplinaire, n’y a pas lieu à sanction à l’encontre de Madame X ;
Dit que le présent avis sera transmis au garde des Sceaux et notifié à Madame X par les soins du secrétaire soussigné.
Fait et délibéré à Paris, le 13 juillet 2017.