Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège
CONSEIL SUPÉRIEUR
DE LA MAGISTRATURE
Conseil de discipline
des magistrats du siège
21 janvier 2015
M. X
DÉCISION
Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni le 14 janvier 2015 à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par le garde des sceaux à l’encontre de M. X, juge au tribunal de grande instance de xxxxx, sous la présidence de M. Bertrand Louvel, Premier président de la Cour de cassation, président de la formation, en présence de :
- M. Jean Pierre Machelon,
- Mme Rose-Marie Van Lerberghe,
- M. Pierre Fauchon,
- Mme Chantal Kerbec,
- M. Bertrand Mathieu,
- M. Frédéric Tiberghien,
- M. Daniel Ludet,
- M. Jean Trotel, rapporteur, présent aux débats, qui n’a pas participé au délibéré,
- M. Loïc Chauty,
- Mme Emmanuelle Perreux,
- Mme Catherine Vandier,
- M. Luc Fontaine,
membres du Conseil,
assistés de M. Peimane Ghaleh-Marzban, secrétaire général du Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu l’article 65 de la Constitution ;
Vu les articles 43 à 58 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
Vu l’article 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu la décision du 24 mai 2013 du Conseil supérieur de la magistrature interdisant temporairement à M. X l'exercice de ses fonctions ;
Vu l'acte de saisine du garde des sceaux, en date du 22 juillet 2013, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l'encontre de M. X, juge au tribunal de grande instance de xxxxx, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;
Vu l'ordonnance du 24 juillet 2013 du président de la formation désignant M. Jean Trotel en qualité de rapporteur ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, mis préalablement à sa disposition, de même qu’à celle de ses conseils ;
Vu l’ensemble des pièces jointes au cours de la procédure ;
Vu le rapport déposé le 20 novembre 2014 par M. Jean Trotel, dont M. X a reçu copie ;
Vu la décision du 18 décembre 2014 dudit Conseil renvoyant l’examen des poursuites disciplinaires engagées à l’endroit de M. X au mercredi 14 janvier 2015, à 9 heures 30, à la Cour de cassation ;
Vu les conclusions reçues au secrétariat du Conseil le 13 janvier 2015 ;
Vu le rappel, par M. le Président de la formation, des termes de l’article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels : « L’audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le conseil de discipline » et l’absence de demande spécifique formulée en ce sens par M. X, assisté de Maître A, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, et de Mme B, présidente de chambre à la cour d’appel de xxxxx conduisant à tenir l’audience publiquement ;
Attendu qu’à l’ouverture des débats, M. X, assisté de Maître A, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation et de Mme B, présidente de chambre à la cour d’appel de xxxxx, a développé la demande de sursis à statuer contenue dans les conclusions reçues au Conseil le 13 janvier 2015 ; que Mme Valérie Delnaud, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature, assistée de Mme Hélène Volant, magistrate à cette direction, ayant été entendue en ses observations tendant au rejet de la demande, M. X, assisté de ses conseils, ayant eu la parole en dernier, le Conseil en a délibéré et a décidé de joindre cette demande au fond ;
Attendu qu’à la reprise des débats, après audition de Mme Delnaud et présentation par M. Trotel de son rapport préalablement communiqué aux parties qui ont acquiescé à ce qu’il ne soit pas intégralement lu à l’audience, M. X, assisté de Maître A et Mme B, a été entendu en ses explications et moyens de défense et a répondu aux questions posées ; qu’après avoir entendu Mme Delnaud en ses observations tendant au prononcé de la sanction de la révocation, Maître A en sa plaidoirie et Mme B en ses observations, M. X ayant eu la parole en dernier, le Conseil en a délibéré ;
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- Sur la procédure
Sur la demande de sursis à statuer dans l’attente d’une décision du juge pénal ;
Attendu qu’il est demandé au Conseil supérieur de la magistrature de surseoir à statuer dans l’attente « d’une décision du juge pénal » aux motifs, d’une part, que M. X se trouve en l’état dans l’impossibilité, compte tenu de l’application des dispositions de l’article 114 du Code de procédure pénale, de disposer de pièces déterminantes pour sa défense qui se trouvent au dossier de l’instruction pénale, et partant de produire ces pièces devant le Conseil supérieur de la magistrature ;
Attendu que M. X expose que ces pièces portent :
- sur une lettre de M. C, directeur de la clinique de la « xxxxx », en date du 31 août 2012, que M. X avait remise à Mme D, procureure de la République adjointe de xxxxx, convoquant Mme E, personne de confiance de Mme F, pour une réunion fixée au vendredi 7 septembre 2012 afin d’organiser la sortie de Mme F ;
- sur la retranscription par le SRPJ de xxxxx des enregistrements faits par Mme E de véritables appels à l’aide de Mme F qui, exprimant son désir de rentrer chez elle afin de reprendre son travail, s’estime retenue contre son gré et soumise à une médication imposée, ces appels s’étalant sur plusieurs jours entre le 3 et le 15 septembre 2012 ;
- sur les procès-verbaux d’audition de Mme E, dont la mise sous contrôle judiciaire interdisait tout contact avec M. X, et de M. G, qui a témoigné de l’accord de la clinique pour la sortie de Mme F le 30 août 2012 ;
Attendu que la demande de sursis à statuer est, d’autre part, motivée par la forte dépendance des griefs disciplinaires par rapport aux incriminations pénales ;
Attendu qu’elle se fonde enfin sur la décision du 30 décembre 2014 du Conseil d’Etat, énonçant que le juge disciplinaire « peut décider de surseoir à statuer jusqu’à la décision du juge pénal lorsque cela paraît utile à la qualité de l’instruction ou à la bonne administration de la justice » ;
Attendu que si la procédure disciplinaire est indépendante de la procédure pénale, le Conseil supérieur de la magistrature peut décider de surseoir à statuer jusqu’à la décision du juge pénal lorsque cela paraît utile à la qualité de l’instruction ou à la bonne administration de la justice ;
Attendu, d’une part, que le Conseil estime en l’espèce que les pièces figurant au dossier disciplinaire sont suffisantes pour se prononcer sur les faits reprochés à M. X ;
Attendu, d’autre part, que la bonne administration de la justice et l’intérêt du service justifient qu’il soit statué sans attendre sur les poursuites engagées contre l’intéressé en juillet 2013 ;
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Sur le fond
Attendu qu’aux termes de l’acte de saisine du garde des sceaux du 22 juillet 2013, il est reproché à M. X :
1° d’avoir fait « état de sa qualité de magistrat dans le cadre d’un litige privé pour menacer et intimider le personnel d’un établissement hospitalier et la nièce d’une personne âgée qu’il voulait abusivement faire sortir de cet établissement en dépit de son intérêt et de sa volonté » ;
2° d’avoir « multipli(é) les dénonciations mensongères relatives à la prétendue séquestration de Mme F adressées aux services de police et du parquet, à l’Ordre des médecins, à une association de défense des personnes âgées, au médecin traitant de la patiente, à un journaliste » ;
3° d’avoir « us(é) de pressions sur Mme F, dont la vulnérabilité est démontrée, pour la convaincre qu’elle était séquestrée, en la faisant sortir de l’établissement de soins pour accomplir des démarches de préparation de sa sortie », d’avoir « introdui(t) pour elle une action en justice dont elle ignorait tout et qu’elle ne souhaitait pas, au moyen d’un mandat qu’il avait lui-même rédigé » ;
4° d’avoir « abus(é) de ses fonctions de magistrat pour solliciter la délivrance de bulletins n°1 de casiers judiciaires de personnes avec lesquelles il était en litige et qui n’étaient pas concernées par des procédures dont il avait la charge » ;
5° de s’être « absten(u), de manière persistante de prévenir en temps utile de ses multiples et soudaines absences », d’avoir « quitt(é) inopinément les audiences auxquelles il participait, en ne respectant pas les périodes de congés octroyées par sa hiérarchie, et ce malgré la désorganisation durable dans le fonctionnement du tribunal et l’augmentation consécutive de la charge de travail des autres magistrats » ;
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Attendu qu’il résulte des pièces de la procédure qu’à la suite d’une chute survenue en avril 2012, Madame F, actrice française de théâtre et de cinéma connue sous le nom de H, née le 28 avril 1930 et qui est une connaissance de M. X, subissait une intervention chirurgicale, suivie d’hospitalisations, puis était admise le 30 mai 2012 dans un centre de soins de suite gériatrique à la « xxxxx », à xxxxx ;
Attendu que M. X a pris plusieurs initiatives tendant à mettre fin à l’hospitalisation de Mme F, dont plusieurs déplacements au sein de l’établissement hospitalier ; que selon M. X, « les actions qu’ils avaient pu entreprendre (avec une de ses plus proches amies) avaient été menées dans un souci de protection et de défense de Madame F » ;
Attendu toutefois qu’il apparaît, malgré les explications de M. X sur ce point, que Mme F présentait, selon les déclarations du docteur I, gériatre, chef de service à « xxxxx» , « des altérations de ses fonctions cognitives », « souffr(ant) d’une démence sévère », « ce qui n’exclut pas des moments de cohérence », et, selon les précisions du docteur J, médecin responsable de l’unité de suite et de réadaptation de « xxxxx », un double handicap physique et mental, tenant à une « mémoire déficiente à court terme et des syndromes psychiatriques » ;
Attendu qu’il résulte des pièces de la procédure que dans la matinée du 28 août 2012, M. X s’est rendu à « xxxxx » avec son véhicule en compagnie de Mme E, l’auxiliaire de vie de Madame F ; que selon les déclarations du docteur J, la sortie de Mme F n’avait été autorisée que pour l’emmener au restaurant mais que M. X, avec Mme E, accompagnaient Mme F chez le coiffeur, à son agence bancaire où elle effectuait un retrait de 2000 euros, de même qu’à son domicile, où il était fait appel à un serrurier pour changer la serrure, Mme F ne disposant pas de la clef ; qu’au retour à « xxxxx », un incident opposait M. X au docteur J, ce dernier ayant rappelé que la sortie n’avait été autorisée que pour emmener Mme F au restaurant ;
Attendu que le 30 août 2012, M. X s’est de nouveau rendu à « xxxxx » en compagnie d’un ami, M. G, M. X ayant expliqué au service de l’Inspection générale des services judiciaires qu’il entendait faire sortir définitivement Mme F de l’établissement ;
Attendu que le 13 septembre 2012, M. X s’est encore rendu à « xxxxx» dans le but de rencontrer Mme F ; qu’il se voyait opposer un refus d’accéder à sa chambre par le personnel de l’accueil, la direction de l’établissement ayant donné consigne au personnel depuis les précédentes visites de M. X de ne pas lui permettre l’accès à Mme F ;
Attendu, afin de permettre la sortie de Mme F du centre hospitalier, que M. X a adressé un courrier à l’Ordre national des médecins le 29 août 2012, exprimant des doléances à l’encontre du docteur J ; que M. X a adressé un courrier le 30 août 2012, à M. C, directeur de «xxxxx », affirmant que Mme F était retenue dans cet établissement contre sa volonté et énonçant divers griefs à l’encontre de cette structure de soins et de son personnel ;
Attendu en outre que M. X a adressé, entre le 31 août et le 24 septembre 2012, près de 13 de SMS à M. C, dont le contenu apparaissait discourtois et menaçant ; que M. X, dans la note versée à la procédure au cours de l’enquête a expliqué que « le ton de ces messages s’explique en grande partie par la nervosité qui était (la sienne) » et qu’il a « reconnu a posteriori « la vanité de (son) insistance » ;
Attendu qu’il résulte encore des pièces de la procédure que M. X a fait intervenir un ami policier, M. K, auprès de l’association xxxxx, cette initiative contraignant l’avocat de « xxxxx » à adresser un courrier le 1er octobre 2012 à cette association pour expliquer la situation de Mme F ;
Attendu enfin qu’il apparaît qu’au cours du mois d’octobre 2012, M. X a adressé à Mme F plusieurs courriers, dont deux sous enveloppe du tribunal de grande instance de xxxxx, lui indiquant qu’elle était séquestrée à « xxxxx » ;
Attendu en définitive qu’il est reproché à M. X d’avoir multiplié les interventions auprès de différents interlocuteurs, parfois de manière vive et intempestive entre le 30 août 2012 et la mi-octobre 2012, alors qu’en tant que magistrat il se devait à la prudence et à la retenue ;
Attendu en effet que les devoirs de l’état de magistrat ne comportent ni ne confèrent aucune compétence d’ordre général pour s’immiscer de telle manière dans une procédure ou une affaire dont il n’est pas saisi ; que le magistrat, en dehors de l’exercice de ses fonctions et des procédures dont il a la charge, doit respecter un devoir de prudence et s’abstenir de toute intervention dans une procédure ou une affaire dont il n’a pas personnellement la charge ;
Attendu que l’ensemble des circonstances ci-dessus décrites établissent que M. X s’est, de manière réitérée, immiscé dans une affaire dont il n’avait pas la charge et dont il n’était pas saisi ;
Attendu que cette immixtion caractérise de la part de M. X un manquement au devoir de prudence, un manquement au devoir de délicatesse à l’endroit de toutes les personnes ayant eu à subir ses interventions et un manquement aux devoirs de l’état de magistrat ;
Attendu, de manière particulière, qu’il est reproché à M. X, les trois griefs suivants articulés autour des tentatives de M. X de faire sortir Mme F de l’établissement où elle séjournait :
1° Sur le fait d’avoir fait « état de sa qualité de magistrat dans le cadre d’un litige privé pour menacer et intimider le personnel d’un établissement hospitalier et la nièce d’une personne âgée qu’il voulait abusivement faire sortir de cet établissement en dépit de son intérêt et de sa volonté »
Attendu, s’agissant de l’altercation survenue le 28 août 2012 entre M. X et le docteur J, au retour à « xxxxx » de Mme F, que selon le médecin, M. X lui avait présenté une carte avec la mention « République française » et lui avait fait part de sa qualité de magistrat ; que M. X, tant devant les services de l’Inspection générale des services judiciaires qu’à l’audience du Conseil, a expliqué n’avoir, ni présenté sa carte professionnelle de magistrat mais une carte d’identité ni davantage fait état de sa qualité de magistrat ;
Attendu qu’au regard de ces deux déclarations divergentes et alors que Mme E a confirmé les dires de M. X, il n’est pas suffisamment établi que, le 28 août 2012, M. X ait abusé de ses fonctions en faisant valoir sa qualité de magistrat ;
Attendu, s’agissant de la visite de M. X le 30 août 2012, à « xxxxx » que M. C, directeur de l’établissement, a précisé au service de l’Inspection générale des services judiciaires que « le 30, l’accueil (lui avait) signal(é) qu’un magistrat exige(ait) d’être reçu immédiatement » ; que selon lui, « M. X a fait valoir sa qualité de magistrat », «qu’il a « présenté sa carte professionnelle avec des traits bleu, blanc, rouge » ; qu’il précisait au demeurant que M. X était accompagné par M. G, présenté comme « IG », ce qui avait donné à penser à M. C qu’il s’agissait d’un « inspecteur général » ;
Attendu que M. X a contesté avoir fait usage de l’appellation « IG » et avoir présenté sa carte professionnelle ;
Attendu en conséquence que les seules déclarations de M. C sont insuffisantes, à elles-seules, à établir la matérialité du grief pour la journée du 30 août ;
Attendu que le 13 septembre 2012, alors que M. X se voyait opposer un refus d’accéder à la chambre de Mme F, il sollicitait de rencontrer un membre de la direction ; qu’il était reçu par la directrice adjointe de « xxxxx », Mme L, de même que par un autre cadre de l’établissement, Mme M, chargée des ressources humaines et membre de la commission des relations avec les usagers ;
Attendu que selon Mme L, M. X avait «dit qu’il était magistrat et connaissait le droit mieux qu(‘ elles) » ; qu’elle précisait lui avoir « appris que Mme F était sous sauvegarde de justice », ce à quoi il lui répondait « qu’elle était séquestrée », et que « c’était pire que le Goulag et qu’il ferait une procédure contre l’hôpital pour séquestration et déposerait une plainte au conseil de l’ordre » ;
Attendu que M. X indiquait à Mme L qu’elle était « responsable personnellement » et « qu’il pouvait (la) faire comparaître pour séquestration » ; que Mme L précisait avoir été sur le moment inquiète et choquée ;
Attendu que les déclarations de Mme L sont confirmées par celles de de Mme M, selon lesquelles, M. X s’était présenté comme « magistrat », apparaissant très énervé et « menaçant » ;
Attendu que Mme M indiquait avoir « rarement eu des entretiens aussi déstabilisants », le fait que M. X soit magistrat « y (…) contribu(ant) car comme tel il est une autorité alors qu’«elles n’étaient » là que pour l’entendre et non pour (se) faire maltraiter » ;
Attendu, au regard de l’ensemble de ces déclarations, que le grief pour la journée du 13 septembre 2012 est établi ;
Attendu que le fait d’avoir invoqué sa qualité de magistrat, en dehors même de l’exercice de ses fonctions, pour s’immiscer dans une situation dont il n’avait pas la charge, n’est pas compatible avec les devoirs de son état ; que ce comportement caractérise un manquement au devoir de prudence, à la dignité et à la délicatesse et a porté atteinte à l’image de la justice et à son crédit ;
2° Sur le fait d’avoir « multipli(é) les dénonciations mensongères relatives à la prétendue séquestration de Mme F adressées aux services de police et du parquet, à l’Ordre des médecins, à une association de défense des personnes âgées, au médecin traitant de la patiente, à un journaliste »
Attendu, ainsi qu’il a été rappelé précédemment, que M. X a adressé un courrier à l’Ordre national des médecins le 29 août 2012, de même qu’un courrier à M. C le 30 août 2012 ; qu’il a en outre fait intervenir un ami policier afin qu’il mobilise l’association xxxxx pour qu’elle intervienne à son tour contre la clinique, ce qu’elle a d’ailleurs fait ainsi qu’il est indiqué ci-dessus ;
Attendu qu’il résulte des déclarations de Mme D, procureur de la République adjoint près le tribunal de grande instance de xxxxx, que M. X était venu la voir à différentes reprises tôt le matin le 5 ou le 6 septembre 2012, lui parlant d’une « amie « artiste peintre » séquestrée » ; que Mme D déclarait avoir demandé au substitut de permanence de signaler cette affaire au commissariat de xxxxx ;
Attendu que les premières vérifications ne confirmaient pas la séquestration ;
Attendu qu’il résulte des mêmes déclarations de Mme D que M. X revenait quelques jours après pour insister sur le caractère préoccupant de la situation de cette dame ; que Mme D demandait qu’un médecin du Centre médico-judiciaire examine Mme F et apprécie son état de santé ;
Attendu que le certificat médical dressé par ce médecin faisait apparaître la nécessité de l’hospitalisation ;
Attendu en outre qu’il résulte d’un rapport administratif du procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx en date du 21 mai 2013 que « le 3 septembre 2012, (…), Monsieur K, major de police affecté à la DCRI, alertait le commissariat de xxxxx sur de possibles maltraitances de F. Il expliquait avoir été saisi par son voisin, X, juge au TGI de xxxxx » ; que selon le même rapport, «entendu dans le cadre de l’enquête diligentée par la DRPJ (DRPJ37), M. K expliquait que c’était bien l’ « homme de loi » (son voisin) dans lequel il avait une totale confiance, qui, en état de quasi affolement, lui avait indiqué que c’était une question de vie ou de mort et qu’il y avait urgence. K avait donc alerté, dans les mêmes termes, le commissariat » ;
Attendu que selon les termes de ce rapport, entendue par les services de police, Mme F « confirmait que le personnel de la maison de retraite lui interdisait de sortir librement car elle devait se rééduquer après une chute grave », admettant « qu’en fait elle pouvait sortir mais comme elle se trouvait obligée de se mouvoir en fauteuil roulant cela lui était impossible sans aide » ; qu’au final, ce rapport précisait que Mme F « se refusait à déposer plainte pour séquestration » ;
Attendu qu’il résulte de l’ensemble de ces constatations que dès lors que M. X a alerté le parquet et les services de police, entre le 3 au 6 septembre et que les vérifications effectuées avaient permis d’établir que Mme F, entendue dès le 3 septembre, n’était pas séquestrée, il ne pouvait, de bonne foi, penser que Mme F était victime d’une infraction pénale ; qu’il est ainsi établi que l’ensemble des interventions, postérieures à ces vérifications, ont été diligentées sur la base d’informations inexactes ;
Attendu, en cet état, qu’il y a lieu de retenir comme fautives les dénonciations de M. X, postérieures au 6 septembre 2012 ; qu’ainsi, M. X a alerté le 5 octobre 2012 le docteur N, médecin traitant de Mme F, sur sa situation, présentée comme alarmante ; que cette alerte entraînait une demande d’explications au docteur J ;
Attendu au surplus, qu’il résulte des pièces de la procédure que le docteur N, après avoir reçu les explications du docteur J, était convaincu que le séjour et le traitement de Mme F étaient justifiés ;
Attendu que les autres interventions apparaissent avoir été effectuées antérieurement aux vérifications effectuées par les services de police et ne peuvent donc être retenues contre M. X ;
Attendu enfin que le grief tiré de l’intervention d’un journaliste à « xxxxx » qui aurait été directement téléguidé par M. X, n’apparaît pas suffisamment établi ;
Attendu en conséquence que la dénonciation effectuée auprès du médecin traitant de Mme F constitue un manquement aux devoirs de dignité et de délicatesse à l’égard de ce médecin et, ce faisant, un manquement au devoir de prudence et aux devoirs de l’état de magistrat ;
3° Sur le fait d’avoir « us(é) de pressions sur Mme F, dont la vulnérabilité est démontrée, pour la convaincre qu’elle était séquestrée, en la faisant sortir de l’établissement de soins pour accomplir des démarches de préparation de sa sortie », d’avoir « introdui(t) pour elle une action en justice dont elle ignorait tout et qu’elle ne souhaitait pas, au moyen d’un mandat qu’il avait lui-même rédigé »
Attendu, d’une part, qu’il résulte des pièces de la procédure qu’au cours du mois d’octobre 2012, M. X a adressé à Mme F plusieurs courriers dont deux sous enveloppe du tribunal de grande instance de xxxxx, lui indiquant qu’elle était séquestrée à « xxxxx » et l’invitant à prendre diverses initiatives pour sortir de l’établissement en contactant un avocat ou en envoyant des messages par l’intermédiaire d’un prêtre ; que dans le courrier que M. X a adressé le 3 octobre 2012 à Mme F, il lui a demandé de ne pas « se laisser abuser par l’amélioration toute relative de (son) régime carcéral, décidé par O et exécuté par C » ;
Attendu que dans la note versée à la procédure, M. X « n’a pas contesté ces faits » et les « a justifiés par le fait qu’il n’arrivait pas à joindre madame F et par son manque de temps » ;
Attendu que la matérialité de ce grief est établie ;
Attendu, d’autre part, que l’établissement « xxxxx » a été assigné en référé d’heure à heure le 19 octobre 2012 au tribunal de grande instance de xxxxx par Mme F ; qu’il a été principalement demandé au juge de faire défense à « xxxxx » d’empêcher Mme F de quitter les lieux, de désigner un huissier de justice pour l’accompagner lors de son départ en compagnie de la personne de confiance désignée, Mme E ; qu’au soutien de ces demandes, l’assignation faisait principalement état de la séquestration de Mme F, de sa mise à l’isolement ainsi que des traitements inhumains et dégradants qui lui étaient infligés ; qu’à l’audience de référé, l’avocat de Mme F produisait le mandat dont il disposait pour introduire cette action en justice, s’agissant d’une note manuscrite, datée du 17 septembre 2012, par laquelle Mme F donnait mandat à Maître P, avocat « pour obtenir en référé qu’il soit mis fin à mon maintien contre mon gré à xxxxx» ; qu’à l’audience, Maître P indiquait n’avoir jamais rencontré Mme F et avoir reçu le mandat des mains de M. X ;
Attendu que les vérifications entreprises par le juge des référés, lors d’un transport sur les lieux le 25 octobre 2012, amenaient Mme F à réagir en indiquant : « Je n’ai pas dicté ce document dont j’ignorais les termes avant que vous m’en donniez connaissance. Je tombe des nues et je ne connais pas Maître P » ;
Attendu que ces déclarations contredisent celles de M. X, qui, s’il a reconnu devant les services de l’Inspection générale des services judiciaires avoir remis le mandat litigieux à Maître P, a précisé l’avoir établi lui-même, à la demande de Mme F qui l’avait signé ;
Attendu qu’il apparaît que le juge des tutelles du tribunal d’instance du xxxxx arrondissement avait désigné, le 15 septembre 2012, soit deux jours avant l’établissement du mandat donné à Maître P, Mme Q comme mandataire spéciale de Mme F et que, selon les déclarations non contestées de Mme L en date du 13 septembre 2012 citées ci-dessous, celle-ci avait appris à M. X que Mme F était sous sauvegarde de justice ;
Attendu que M. R, premier vice-président au tribunal de grande instance de xxxxx, ayant statué en référé, écrivait le 25 octobre 2012 au président du tribunal que « Mme F m’a notamment déclaré qu’elle n’avait jamais entendu engager d’action en référé à l’encontre de cet hôpital privé dans lequel elle est hospitalisée et que, contrairement à ce qui est indiqué dans l’assignation qui a été délivrée en son nom, elle n’y a pas été placée contre son gré et n’y est pas séquestrée. Elle a précisé qu’elle n’avait mandaté aucune personne pour diligenter cette procédure en son nom » ; que l’ordonnance de référé rendue le 30 octobre 2012 a constaté l’extinction de l’instance aux motifs que Maître P a indiqué ne plus intervenir au nom de Mme F depuis la nomination par le juge des tutelles d’un mandataire spécial, lequel a indiqué se désister de la demande introduite au nom de Mme F ;
Attendu que la matérialité du grief est établie ; que ce comportement est d’autant plus inadmissible que M. X a fait signer le 17 septembre 2012 un mandat à Mme F alors qu’il n’ignorait plus que depuis le 13 septembre 2012 que l’intéressée était sous sauvegarde de justice ;
Attendu que ces deux griefs caractérisent un manquement aux devoirs de probité, de dignité et de délicatesse à l’endroit de toutes les personnes ayant eu à subir les interventions réitérées de M. X et un manquement au devoir de prudence et aux devoirs de l’état de magistrat ;
- Sur le fait d’avoir sollicité la délivrance de bulletins n°1 de casiers judiciaires de personnes avec lesquelles M. X était en litige et qui n’étaient pas concernées par des procédures dont il avait la charge
Attendu qu’il est reproché à M. X d’avoir, au cours des mois d’octobre et novembre 2012, sollicité la communication des bulletins n°1 du casier judiciaire de Mme O, nièce de Mme F, et de M. C, qui n’étaient pas concernées par des procédures dont il avait la charge ;
Attendu que M. X a formellement contesté, au cours de la procédure et à l’audience, avoir sollicité ces casiers, précisant s’être borné à remettre à Mme D, l’ensemble des éléments utiles afin qu’une enquête soit diligentée ; qu’il précisait à l’audience que ce devait être par « suite d’une erreur » que les demandes de communication des bulletins n°1 du casier judiciaire mentionnaient qu’elles émanaient de M. X ;
Attendu cependant qu’il résulte de l’audition de Mme S, alors en poste au service de l’audiencement du tribunal de grande instance de xxxxx, que M. X était venu la voir dans son bureau « pour avoir le casier judiciaire de Mme O » ; qu’elle précisait qu’il « avait un papier dans la main sur lequel était écrit « O » et la date de naissance » ; qu’il résulte de l’audition, par les services de l’Inspection générale des services judiciaires, de Mme T, adjointe administrative au service de l’audiencement des 11ème et 13ème chambre du tribunal de grande instance de xxxxx, que Mme S lui avait demandé « un casier pour M. X » ;
Attendu que Mme T précisait avoir obtenu le bulletin du casier judiciaire par le réseau informatique et l’avoir porté directement à M. X ; que sur ce point, Mme S confirmait que sa collègue était venue dans le courant de la semaine suivante lui dire « qu’elle avait descendu le B1 dans le bureau de M. X » ;
Attendu en outre que, selon les mêmes déclarations de Mme T, M. X lui avait demandé, quelque temps après, un second bulletin n°1 de casier judiciaire, lui remettant une feuille sur laquelle « il y avait un nom et un numéro de portable » ; que Mme T a expliqué avoir sollicité le bulletin sollicité tout en se demandant si elle avait « le droit de le faire » ; qu’elle précisait avoir été surprise de cette demande, les bulletins n°1 qu’elle sollicitait correspondant à des audiences, ce qui n’était pas le cas pour la personne concernée ; qu’elle rendait compte de cette demande au greffier en chef du parquet ; qu’elle précisait enfin, s’agissant de ces deux demandes de casier que, « par prudence », elle avait indiqué, sur ces demandes, qu’il s’agissait de « casier demandé par M. X » ;
Attendu que Mme U, greffière en chef au parquet du tribunal de grande instance de xxxxx, confirmait les déclarations de Mme T, précisant avoir « été mise au courant des deux demandes le jeudi 22 novembre vers 18 h par Mme T (…) » qu’« elle (était) venue (la) voir pour (lui) dire que M. X lui avait demandé le B1 de « M. C », qu’ « elle (lui avait) indiqu(é) avoir fait des recherches et que cette personne n’était concernée par aucun dossier de la 11ème chambre » ;
Attendu que Mme T lui indiquait « que ce n’était pas la 1ère fois » et qu’elle lui avait « évoqué la demande de M. X au sujet du B1 de Mme O » ; que Mme U en informait par message électronique la secrétaire général du parquet, Madame V, le 22 novembre 2012 à 18H12, de même qu’elle établissait un rapport écrit en date du 27 novembre 2012 à l’attention du directeur de greffe ;
Attendu, s’agissant des explications de M. X à l’audience selon lesquelles il s’était borné à remettre des documents à Mme D, procureur de la République adjoint, que cette magistrate a déclaré aux services de l’Inspection générale des services judiciaires « qu’à aucun moment, (elle) n’(avait) formé de demande d’extraits de casier judiciaire ni pour Mme O ni pour M. C » et qu’ « à (s)a connaissance, aucun casier judiciaire n’a été demandé dans le cadre du traitement de cette affaire » ;
Attendu en conséquence qu’il résulte des demandes de bulletin n°1 de casier judiciaire mentionnant qu’elles ont été établies pour M. X et des témoignages précités de Mme S, Mme T, Mme U et de Mme D qu’il est établi que M. X a sollicité la délivrance de bulletins n°1 de casiers judiciaires de personnes avec lesquelles il était en litige et qui n’étaient pas concernées par des procédures dont il avait la charge ;
Attendu que M. X a manqué aux devoirs de l’état de magistrat et notamment aux devoirs de prudence et probité ; qu’en sollicitant des fonctionnaires de la juridiction, lesquelles ont été troublées par ce type de demande, s’agissant tout particulièrement de Mme T, qui selon Mme U, lui avait « paru ennuyée et perturbée », M. X a en outre manqué au devoir de délicatesse à l’égard des fonctionnaires de la juridiction ;
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5° Sur le fait de s’être « absten(u), de manière persistante de prévenir en temps utile de ses multiples et soudaines absences », d’avoir « quitt(é) inopinément les audiences auxquelles il participait, en ne respectant pas les périodes de congés octroyés par sa hiérarchie, et ce malgré la désorganisation durable dans le fonctionnement du tribunal et l’augmentation consécutive de la charge de travail des autres magistrats »
Attendu qu’il résulte des auditions diligentées par les services de l’Inspection générale des services judiciaires auprès de M. W, précédemment président du tribunal de grande instance de xxxxx, de Mme Y, première vice-présidente, et de Mme Z, vice-présidente, que M. X n’alertait pas le secrétariat général de la présidence lors de ses absences pour maladie, préférant envoyer des SMS aux greffières d’audience au dernier moment, malgré les remarques qui lui avaient été faites à ce sujet ;
Attendu sur ce point qu’il résulte des pièces de la procédure que M. W avait dû également réclamer à M. X, par courrier du 23 janvier 2013, un certificat d’arrêt de travail, ce dernier étant absent depuis le 17 janvier 2013 ;
Attendu que devant les services de l’inspection générale des services judiciaires, M. X a expliqué ne pas parvenir à joindre le secrétariat de la présidence, alors qu’il résulte de l’audition de M. W qu’il « l’avai(t) pourtant autorisé à (lui) envoyé des SMS le week-end pour (l’)informer s’il ne pouvait siéger le lundi matin », qu’ « il ne l’a jamais fait même s’il ne s’est pas privé de (lui) envoyer des SMS sur d’autres sujets » ;
Attendu qu’il résulte de l’audition de Mme Z que « lors d’une semaine de l’été 2011, il (était) parti au cours d’une audience qu’(elle) présidai(t), ce qui (l)’a contrai(gnait) de désigner un avocat pour compléter la formation », que « la même semaine, il (avait) répété ce comportement avec une autre collègue » et qu’enfin, M. X était « quelqu’un qui trouvait parfaitement normal qu’on le remplace » ;
Attendu que l’attitude de M. X au tribunal de grande instance de xxxxx a été de nature à désorganiser la juridiction, M. W ayant précisé que « l’attitude (de M. X) était très perturbatrice pour le service » ;
Attendu que la matérialité du grief est établie, M. X ayant manqué au devoir de loyauté envers sa hiérarchie et de délicatesse à l’égard de ses collègues, des fonctionnaires et des justiciables ;
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Attendu que les comportements sus-analysés de M. X rendent impossible la poursuite de l’exercice des fonctions de magistrat ;
Attendu que M. X a fait état dans ses écritures et à l’audience de « la complexité de (s)a situation personnelle et de (son) état de santé », qui ont pu, selon lui, causer un « certain absentéisme », ainsi que de la situation de santé de sa femme et de sa fille ;
Attendu qu’il y a lieu pour le Conseil de tenir compte de cette situation particulière, en ne prononçant pas la sanction proposée par la Direction des services judiciaires de la révocation ;
Attendu en conséquence qu’il y a lieu de prononcer la sanction d’admission à cesser ses fonctions ;
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PAR CES MOTIFS,
Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos, hors la présence de M. Jean Trotel, rapporteur ;
Statuant en audience publique le 14 janvier 2015 pour les débats et le 21 janvier 2015 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;
Rejette la demande de sursis à statuer ;
Prononce à l’encontre de M. X la sanction d’admission à cesser ses fonctions, prévue à l’article 45, 6° de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 ;
Dit que copie de la présente décision sera adressée au premier président de la cour d’appel de xxxxx.