Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet
CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE
Formation compétente pour la discipline
des magistrats du parquet
Avis motivé
La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, réunie le 2 décembre 2014, à la Cour de cassation, 5 quai de l'Horloge, Paris 1er
La direction des services judiciaires étant représentée par Madame Valérie Delnaud, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature, assistée de Madame Hélène Volant, magistrate à cette direction ;
Monsieur X, vice-procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx, étant assisté de Monsieur le Bâtonnier A, avocat au barreau de xxxxx ;
Vu l'article 65 de la Constitution ;
Vu les articles 43 à 66 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
Vu l’article 19 de la loi organique n°94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu les articles 40 à 44 du décret n°94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu l’arrêté en date du 24 octobre 2012 du garde des sceaux, interdisant temporairement à Monsieur X d’exercer ses fonctions de vice-procureur près le tribunal de grande instance de xxxxx jusqu’à la décision définitive sur les poursuites disciplinaires susceptibles d’être engagées à son encontre ;
Vu la saisine du garde des sceaux du 20 décembre 2012 ;
Vu la désignation, en qualité de rapporteur, de Monsieur Christophe Ricour, membre du Conseil, par décision du Président de la formation en date du 9 janvier 2013 ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Monsieur X, mis préalablement à sa disposition, de même qu’à celle de son conseil ;
Vu l'ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;
Vu le rapport du 1er octobre 2014 déposé par Monsieur Christophe Ricour, dont Monsieur X et son conseil ont reçu copie ;
Vu la convocation adressée le 7 octobre 2014 à Monsieur X et sa notification à l'intéressé le 22 octobre 2014 ;
Vu la convocation adressée le 7 octobre 2014 à Monsieur le bâtonnier A ;
Vu le rappel, par Monsieur le Président de la formation, des termes de l’article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels : « L’audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le conseil de discipline » et l’absence de demande spécifique formulée en ce sens par Monsieur X et son conseil.
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L'affaire a été mise en délibéré au 19 décembre 2014 à l'issue des débats qui se sont déroulés publiquement dans les locaux de la Cour de cassation le 2 décembre 2014, au cours desquels Monsieur X a comparu assisté de son conseil.
A l’ouverture de la séance, le secrétaire général du Conseil a, à la demande de Monsieur le Président de la formation, donné lecture du rapport de Monsieur Ricour, empêché, puis Monsieur X, assisté de Monsieur le bâtonnier A, a été interrogé sur les faits dont le Conseil est saisi. Madame Delnaud, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature, a présenté ses observations et a demandé le prononcé du déplacement d’office à l’encontre de Monsieur X. Après avoir entendu Monsieur le bâtonnier A en sa plaidoirie, Monsieur X a eu la parole en dernier.
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Aux termes de la saisine du garde des sceaux du 20 décembre 2012, il est reproché à Monsieur X :
-D’avoir communiqué au commissaire B, ancien directeur adjoint de la police judiciaire xxxxx, des bulletins n°1 du casier judiciaire national;
-D’avoir fréquenté Monsieur C, ancien juge consulaire, mis en examen pour viols et agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans et de lui avoir remis un chèque de 3000 euros en échange de numéraires du même montant justifiant l’engagement d’une enquête pénale
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*Sur le grief d’avoir communiqué au commissaire B, ancien directeur-adjoint de la police judiciaire xxxxx, des bulletins n°1 du casier judiciaire relatifs à deux individus pour lesquels il n’était en charge d’aucune procédure
Les investigations menées au cours d’une information judiciaire suivie au tribunal de grande instance de xxxxx à l’encontre de Monsieur B et autres, des chefs, notamment, de corruption active et passive, ont permis la découverte, au cours d’une perquisition dans les locaux d’une société, du relevé intégral des fiches du casier judiciaire -appelés bulletin n°1 - de Messieurs D et E, édités les 28 mai 2010 et le 28 avril 2011 et dont le premier portait la mention « CI X ».
Le représentant de la société au sein de laquelle la perquisition avait eu lieu, expliquait que ces extraits de casier judiciaire provenaient de Monsieur B, ancien directeur adjoint de la police judiciaire xxxxx.
Les investigations menées auprès des services du casier judiciaire révélaient, par la mention « CI X » que ces extraits avaient été sollicités au nom de Monsieur X, vice-procureur près le tribunal de grande instance de xxxxx en charge de l’exécution des peines.
Après avoir évolué dans ses déclarations au cours de la procédure, Monsieur X a expliqué à l’audience que cette demande auprès du casier judiciaire national n’avait probablement pas été présentée par lui, et qu’il n’avait, en tout état de cause, jamais remis de bulletin n°1 du casier judiciaire à Monsieur B. Les investigations menées permettaient d’établir qu’aucune procédure concernant Messieurs D et E n’étaient enregistrées au parquet de xxxxx.
Il résulte de l’enquête diligentée par les services de l’Inspection générale des services judiciaires, que pour les demandes de bulletins n°1 effectuées au parquet de xxxxx et notamment au sein du service de l’exécution des peines où était affecté Monsieur X, un identifiant et un mot de passe uniques étaient utilisés par l’ensemble des magistrats et fonctionnaires du service. Chaque utilisateur pouvait toutefois mentionner les références de son choix, l’ensemble des extraits de casiers judiciaires étant en outre réceptionnés sur un seul télécopieur accessible à tous.
S’agissant de ses relations avec Monsieur B, Monsieur X a expliqué à l’audience avoir entretenu « des relations professionnelles teintées d’amitié », indiquant qu’il aurait été normal de son point de vue, au regard de ses fonctions de magistrats du parquet, de renseigner Monsieur B sur la situation de personnes susceptibles de faire l’objet d’une enquête d’un service de police.
Malgré l’indication « CI X » sur une des demandes de bulletin n°1 du casier judiciaire et la relation privilégiée existant entre Monsieur X et Monsieur B, le Conseil estime ne pas disposer d'éléments suffisants pour établir que Monsieur X a été à l’origine de ces demandes de bulletin n°1 du casier judiciaire, ni davantage qu’il les a remis à Monsieur B.
Dans ces conditions, la matérialité du premier grief n’est pas établi ;
Au surplus, en application de l’article 774 du code de procédure pénale, le bulletin n°1 n’est délivré qu’aux autorités judiciaires et aux greffes des établissements pénitentiaires dans le cadre de l’examen des mesures d’aménagement de peine. Il importe pour le Conseil de rappeler qu’en tout état de cause, cette restriction dans la délivrance de ces informations, justifiée par la nécessaire garantie des libertés individuelles, impose à tout magistrat de s’assurer que les demandes de bulletin n°1 ne sont présentées et que les bulletins obtenus ne sont remis que dans le strict cadre de l’exercice de ses fonctions et à la seule destination des membres de l’autorité judiciaire.
*Sur le grief tiré de la fréquentation par Monsieur X d’un ancien juge consulaire de xxxxx, mis en examen pour viols et agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans et de la remise d’un chèque de 3000 euros en échange de numéraires du même montant justifiant l’engagement d’une enquête pénale
Il est fait grief à Monsieur X d’avoir fréquenté Monsieur C, ancien juge consulaire, mis en examen le 20 janvier 2012 pour des faits de viols et d’agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans dans le cadre d’une information ouverte au tribunal de grande instance de xxxxx.
Entendu par les services de l’Inspection générale des services judiciaires, Monsieur F, procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx, a indiqué que postérieurement à cette mise en examen, il a « convoqué (…) M. X dans (s)on bureau pour lui dire d’abord qu(‘il) connaissait sa fréquentation de M. C, ensuite qu’un magistrat ne devait pas fréquenter une personne mise en examen pour des faits criminels », précisant que « (s)on avertissement solennel a eu lieu lors d’un entretien spécifique dans (s)on bureau où (ils étaient) seuls en tête à tête et les yeux dans les yeux ».
Monsieur X a relativisé la portée de cet entretien, précisant devant les services de l’Inspection générale des services judiciaires, ainsi qu’à l’audience, qu’il s’agissait d’un « simple conseil rapide entre deux portes ». Monsieur X a indiqué cependant avoir cessé toute fréquentation à partir de ce moment.
Il résulte cependant de l’enquête diligentée par les services de l’Inspection générale des services judiciaires que postérieurement à la mise en examen de Monsieur C le 20 janvier 2012, Monsieur X a rencontré Monsieur C à trois reprises, la première fois dans une file d'attente devant un cinéma, la deuxième fois lors d'un déjeuner dans le restaurant « H » situé en face du tribunal de grande instance de xxxxx et la troisième fois, lors de la remise, le 29 août 2012, par Monsieur X à Monsieur C, d’un chèque d'un montant de 3000 euros en échange d’une somme en espèces composée de billets de 10 ou 20 euros ;
Monsieur X n’a pas contesté avoir rencontré Monsieur C à trois reprises, expliquant devant les services de l’Inspection générale avoir « tout fait pour éviter de le rencontrer dans (s)a vie quotidienne mais (que) ceci n’a pas toujours été possible ». Il justifiait ainsi, à l’audience, avoir échangé des propos avec Monsieur C, en présence de son épouse dans une file d’attente devant un cinéma, et, devant les services de l’Inspection générale des services judiciaires, d’avoir déjeuné à la même table au restaurant l’H, précisant qu’agir différemment était « humainement et matériellement difficile ».
En outre, Monsieur X a reconnu, au cours de la procédure et à l’audience, avoir reçu, le 29 août 2012 vers 22H00, Monsieur C à son domicile et lui avoir, à sa demande, remis un chèque de 3000 euros en échange d’espèces. Il a justifié devant le rapporteur du caractère licite de cette transaction, précisant que l’information judiciaire ouverte des chefs de blanchiment s’était clôturée par un non-lieu en date du 29 janvier 2014. Il expliquait ainsi qu’il s’agissait d’un « dépannage ponctuel », tant pour Monsieur C que pour lui-même, devant la difficulté où il se trouvait à obtenir des espèces à xxxxx.
Le fait pour Monsieur X, magistrat au parquet de xxxxx, au mépris de la mise en garde de son supérieur hiérarchique, d’avoir maintenu des relations avec Monsieur C, alors mis en examen pour des faits d’une particulière gravité dans le ressort où il exerce ses fonctions, en échangeant publiquement des propos avec lui, en déjeunant à la même table dans un restaurant et en le recevant à son domicile un soir à 22H00 et, tout particulièrement, en acceptant de lui remettre un chèque tiré sur son compte contre des espèces, révèle chez ce magistrat un singulier manque de discernement dans le choix de ses relations personnelles, alors qu’il ne pouvait ignorer que sa qualité de magistrat allait renforcer la portée de cette remise.
Ces faits caractérisent un manquement au devoir de prudence, et ont porté atteinte à l’image d’intégrité que tout justiciable doit avoir de la justice et de ses représentants.
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*Sur l'exercice par Monsieur X d’une activité professionnelle au sein d’un cabinet d'avocat pendant la période d’interdiction temporaire d’exercice
Il résulte des pièces versées à la procédure au cours de l'enquête que Monsieur X a travaillé, du 1er octobre 2013 au 1er janvier 2014, en qualité d'assistant juridique dans le cadre d'un contrat de travail à temps partiel au sein du cabinet de Maître G, avocat pénaliste au barreau de xxxxx et vice-présidente du conseil régional, moyennant une rémunération mensuelle nette de 1200 à 1300 euros.
Monsieur X a expliqué à l’audience avoir accepté cette activité professionnelle invoquant une jurisprudence administrative applicable aux fonctionnaires qui permettait un tel exercice. Il précisait ainsi avoir voulu faire face aux difficultés financières engendrées par la baisse de son traitement en raison de la suspension de diverses primes corrélative à son interdiction temporaire d’exercice.
Le procureur général près la Cour d’appel de xxxxx, à la demande de la direction des services judiciaires, a notifié, le 13 janvier 2014, à Monsieur X de ce qu’aucune jurisprudence ne l’autorisait à exercer une telle activité, en application de l’article 8 de l’ordonnance statutaire, qui dispose que l’exercice des fonctions de magistrat est incompatible avec l’exercice de toutes fonctions publiques et de toute autre activité professionnelle ou salariée, sauf dérogation. A cette occasion, Monsieur X a indiqué avoir démissionné de ce cabinet d’avocats depuis le 2 janvier 2014.
Lorsqu’il se prononce en matière disciplinaire, le Conseil supérieur de la magistrature peut légalement, sous réserve que soient respectés les droits de la défense, connaître de l’ensemble du comportement du magistrat concerné et n’est pas tenu de limiter son examen aux seuls faits qui ont été initialement portés à sa connaissance.
La méconnaissance des règles régissant le statut de la magistrature aurait pu être palliée par Monsieur X en s’assurant auprès de son supérieur hiérarchique ou de la direction des services judiciaires de la compatibilité de cette activité professionnelle avec ses fonctions de magistrat.
Monsieur X a manqué de prudence, et ce faisant, a manqué à son devoir d’impartialité et aux devoirs de son état de magistrat, par la violation des règles relatives aux incompatibilités professionnelles, alors même qu’il a reconnu avoir traité au sein du cabinet d’avocats des dossiers pénaux dans le ressort même où il exerçait ses fonctions de magistrat du parquet.
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Attendu que l’ensemble des agissements retenus par le Conseil, par les manquements réitérés au devoir de prudence, rendent incompatibles la poursuite de l’exercice professionnelle de Monsieur X dans le ressort du tribunal de grande instance de xxxxx. Dans ces conditions, le Conseil émet l’avis de prononcer à l’encontre de Monsieur X la sanction du déplacement d’office.
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PAR CES MOTIFS,
Après en avoir délibéré à huis clos ;
Emet l’avis de prononcer à l’encontre de Monsieur X la sanction prévue à l’article 45, 2° de l’ordonnance du 22 décembre 1958 précitée, du déplacement d'office.
Dit que le présent avis sera transmis au garde des sceaux et notifié à Monsieur X par les soins du secrétaire soussigné.