Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège
CONSEIL SUPÉRIEUR
DE LA MAGISTRATURE
Conseil de discipline
des magistrats du siège
25 septembre 2014
M. X
DÉCISION
Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni le 4 septembre 2014 à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par le garde des sceaux à l’encontre de M. X, vice-président au tribunal de grande instance de xxxxx, sous la présidence de M. Bertrand Louvel, Premier président de la Cour de cassation, président de la formation (...)
Vu l’article 65 de la Constitution ;
Vu les articles 43 à 58 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
Vu l’article 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu la décision du 31 octobre 2013 du Conseil supérieur de la magistrature interdisant temporairement à M. X l'exercice de ses fonctions ;
Vu l'acte de saisine du garde des sceaux, en date du 2 janvier 2014, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l'encontre de M. X, vice-président au tribunal de grande instance de xxxxx, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;
Vu l'ordonnance du 22 janvier 2014 du président de la formation désignant M. Loïc Chauty en qualité de rapporteur ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, mis préalablement à sa disposition, de même qu’à celle de son conseil ;
Vu l’ensemble des pièces jointes au cours de la procédure ;
Vu le rapport déposé le 10 juillet 2014 par M. Loïc Chauty, dont M. X a reçu copie ;
Vu la convocation adressée le 17 juillet 2014 à M. X et sa notification à l’intéressé le 22 juillet 2014 ;
Vu la convocation adressée le 17 juillet 2014 à M. A, avocat au barreau de xxxxx, reçue le 22 juillet 2014 ;
Vu le rappel, par M. le Président de la formation, des termes de l’article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels : « L’audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le conseil de discipline » et la demande formulée en ce sens par M. X et son conseil, conduisant à ce que l’audience ne se tienne pas publiquement ;
Attendu qu’après avoir entendu M. X, assisté de Maître A et de Maître B, avocats au barreau de xxxxx, au soutien de sa demande de non-publicité des débats, Mme Valérie Delnaud, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature, assistée de Mme Hélène Volant, magistrate à cette direction, en ses observations tendant au rejet de la demande, M. X, assisté de Maître A et de Maître B, ayant eu la parole en dernier, le Conseil en a délibéré ;
Attendu qu’à la reprise des débats, après audition de Mme Delnaud et présentation par M. Chauty de son rapport préalablement communiqué aux parties qui ont acquiescé à ce qu’il ne soit pas intégralement lu à l’audience, M. X, assisté de Maître A et de Maître B, a été entendu en ses explications et moyens de défense et a répondu aux questions posées ; qu’après avoir entendu Mme Delnaud en ses observations tendant au prononcé de la sanction de la révocation, Maître A en sa plaidoirie, M. X ayant eu la parole en dernier, le Conseil en a délibéré ;
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-Sur la demande de non-publicité des débats
Attendu que M. X demande que l’audience du Conseil supérieur de la magistrature ne se tienne pas publiquement aux motifs que certains des faits pour lesquels il est poursuivi sont essentiellement de nature pénale et qu’ils donnent lieu une information judiciaire en cours ;
Attendu, qu’après en avoir délibéré, le Conseil estime que ni la protection de l’ordre public, ni celle de la vie privée de M. X, ni aucune circonstance spéciale de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ne justifient en l’espèce une telle exception au principe de la publicité de l’audience du Conseil ;
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-Sur le fond
Attendu qu’aux termes de la saisine du garde des sceaux du 2 janvier 2014, il est reproché à M. X :
- D’avoir utilisé le matériel mis à sa disposition par le tribunal de grande instance de xxxxx à des fins personnelles pour consulter des sites d’annonces d’escort-girl ou des photographies érotiques de femmes ;
- D’avoir publié des photographies de son sexe en érection sur le site C, site ouvert à tout public ;
- D’être entré en contact avec une jeune fille de 14 ans, bien qu’elle ait affirmé être âgée de 17 ans, en lui demandant si elle était toujours vierge, en lui proposant de voir les photographies de son sexe nu ou de le voir nu par la web cam, d’avoir des relations sexuelles, ou sans avoir de relations sexuelles, de « s’amuser autrement… caresses, sexe oral »,
*Sur le grief de l’utilisation du matériel mis à disposition par le tribunal de grande instance de xxxxx à des fins personnelles pour consulter des sites d’annonces d’escort-girl ou des photographies érotiques de femmes
Attendu qu’il résulte des pièces de la procédure, qu’au cours d’une enquête pénale pour des faits de corruption de mineur de 15 ans, exhibition sexuelle, diffusion de messages pornographiques accessibles à un mineur, proposition sexuelle à mineur de 15 ans par un majeur utilisant un moyen de communication électronique, diligentée à l’encontre de M. X, nommé par décret du 15 avril 2013 vice-président au tribunal de grande instance de xxxxx et effectuant préalablement à son installation une période de formation de six mois au sein du tribunal de grande instance de xxxxx, l’analyse de l’ordinateur et de la clé USB utilisés par M. X, saisis le 18 octobre 2013, dans le bureau des auditeurs de justice du tribunal de grande instance de xxxxx, permettait de découvrir dix-sept images érotiques de femmes, ainsi que des consultations du site internet « D » dont certaines correspondant à des recherches d’annonces d’escort-girl ou de photographies érotiques de femmes ;
Attendu que M. X a indiqué au rapporteur que s’il avait effectivement accédé au site « D» afin de rechercher une location, il n’avait pas, pour autant, utilisé l’ordinateur du tribunal pour aller sur des sites érotiques ou pornographiques, précisant au demeurant qu’il n’était pas possible d’accéder à des sites de cette nature en raison des systèmes de protection informatique ; qu’il expliquait la provenance des photos érotiques retrouvées sur l’ordinateur par le fait de s’être branché sur celui-ci pour recharger son « Iphone » ce qui aurait pu, selon lui, entraîner un transfert de fichiers, n’excluant pas avoir actionné la fonction de synchronisation des fichiers ; que devant le Conseil, il a, de nouveau, confirmé ne pas avoir utilisé l’ordinateur du tribunal pour accéder à des sites de nature sexuelle ;
Attendu que, sur ces éléments d’ordre technique, le secrétaire général du ministère, en charge de la gestion du réseau informatique, a précisé qu’il existe un système de protection géré par une société privée qui l’informe régulièrement des sites internet pouvant mettre en danger le réseau privé virtuel de la justice (RPVJ) et qu’il existe ainsi une « liste noire » des sites internet jugés dangereux et dont l’accès est bloqué ; qu’il a indiqué en outre que le transfert automatique de données photographiques d’un « Iphone » vers un ordinateur de bureau, lors du rechargement de cet appareil est techniquement possible si un logiciel permettant une telle synchronisation est mis en place par un agent possédant des droits suffisants sur le poste « ou en se connectant préalablement sur E » ; que sur ce dernier point, M. X n’a pas exclu qu’un logiciel ait pu être présent avant son arrivée à xxxxx, sans qu’il le sache ;
Attendu que M. X a versé à la procédure un rapport d’expertise informatique établi au cours de la procédure d’instruction ; que celui-ci mentionnait que l’examen des artefacts de l’ordinateur du tribunal, s’agissant des traces laissées sur l’ordinateur lors de la consultation de sites, permettait d’établir les recherches effectuées sur le moteur de recherche Google de la manière suivante :
- « massage érotique xxxxx », le 1er octobre 2013 ;
- une connexion sur le site « D » le 18 octobre 2013 dans la rubrique « escort gay xxxxx » ;
- une connexion sur le site « D » le 1er octobre 2013 dans la rubrique « escort girl boy xxxxx » ;
Attendu que M. X a toutefois expliqué avoir été placé en garde à vue le 18 octobre 2013, et n’avoir pu ainsi être à l’origine de la recherche effectuée à cette date, précisant, en outre, que l’ordinateur, placé dans le bureau des auditeurs et dont le code d’accès était accessible à tous, avait pu être utilisé par une autre personne ;
Attendu que si le Conseil relève, pour la journée du 1er octobre 2013, une connexion dans la rubrique «escort girl boy xxxxx » et une recherche sur le moteur de recherche Google, « massage érotique xxxxx », sur l’ordinateur utilisé par M. X au tribunal de grande instance de xxxxx, l’existence d’une connexion sur cet ordinateur le jour du placement en garde à vue de M. X et le fait que le code d’accès de l’ordinateur était accessible à d’autres personnes, ne permettent pas au Conseil, en cet état des éléments soumis à son appréciation, d’établir avec certitude qu’il en est l’auteur ;
Attendu en conséquence que la matérialité du grief n’est pas suffisamment établi ;
*Sur le grief d’avoir publié des photographies de son sexe en érection sur le site C, site ouvert à tout public
Attendu que M. X a expliqué avoir, sur le site C, publié de nombreuses photographies sur des sujets très variés, mettant en avant leur aspect artistique ; qu’il a reconnu avoir mis sur ce site des photos qu’il avait prises de son sexe en érection, sous plusieurs angles, dans la rubrique « érotique » de ce site accessible à tout public ; qu’il a indiqué au rapporteur ne « pas (avoir) d’explications rationnelles par rapport à cela », précisant avoir lui-même pris ces photos et s’être « fait prendre au jeu avec d’autres personnes qui publiaient des photos érotiques » ; que devant le rapporteur, il a indiqué ressentir qu’ « avoir mis des photos de (lui) nu avec (s)on sexe en érection sur un site public comme une atteinte à l’image de la Justice » et le « regrette(r) profondément » ;
Attendu qu’au regard de ces éléments, le grief reproché à M. X d’avoir publié des photographies de son sexe en érection sur le site C, site ouvert à tout public, n’est pas contesté ;
*Sur le grief d’être entré en contact avec une jeune fille de 14 ans, bien qu’elle ait affirmé être âgée de 17 ans, en lui demandant si elle était toujours vierge, en lui proposant de voir les photographies de son sexe nu ou de le voir nu par la web cam, d’avoir des relations sexuelles, ou sans avoir de relations sexuelles, de « s’amuser autrement… caresses, sexe oral »,
Attendu que, le 7 septembre 2013, le commissariat de xxxxx a reçu la plainte du civilement responsable d’F, âgée de 14 ans, comme étant née le 31 juillet 1999, demeurant à xxxxx ; qu’F a expliqué avoir publié deux portraits d’elle, de même que des paysages, sur le site de partage public de photographies C et avoir été contactée au cours du mois de juin 2013 par internet sur ce site, puis sur son compte G, par une personne, qui, après l’avoir complimentée sur les photographies qu’elle avait publiées, lui demandait si elle était mineure, ce à quoi elle répondait positivement ;
Attendu que, selon elle, l’homme lui demandait si elle souhaitait prendre un café avec lui et faire plus ample connaissance et si elle souhaitait voir son sexe en photo ou en vidéo ; qu’elle refusait puis mettait un terme à leurs échanges ; qu’elle constatait, en outre, que cette personne publiait régulièrement sur son profil C de nombreuses photographies à caractère pornographique, principalement des clichés d’un sexe masculin accompagnés de commentaires laissant supposer que ces photographies le représentaient, tels que : « un petit bout de moi » ;
Attendu, selon les déclarations de M. X devant le rapporteur que c’est à la suite d’un « like » d’F qu’il a dialogué avec elle, son « idée éta(nt) d’établir des relations mais sur un plan purement d’amitié et notamment peut-être d’échanger sur des domaines artistiques » ; que selon lui, « dès lors qu’elle va (lui) dire qu’elle a 17 ans, (il s)’excuse d’avoir mis des photos de (lui) nu », mais qu’il va continuer « à parler de choses et d’autres mais pas à caractère sexuel » ;
Attendu toutefois qu’il résulte d’un rapport administratif du parquet de xxxxx en date du 12 février 2014, versé à la procédure disciplinaire, que les exploitations techniques du matériel informatique permettent d’établir que, postérieurement à la déclaration d’F selon laquelle elle avait 17 ans, M. X a continué à avoir des conversations de nature sexuelle avec l’adolescente qu’il appelait « princesse » ou « lolipop », lui déclarant à ce titre, être « sous son charme », l’interrogeant notamment sur le point de savoir si elle était toujours vierge, lui proposant de mettre la caméra pour le voir nu, lui demandant si elle avait envie d’avoir des relations sexuelles et lui déclarant que sans avoir de relations sexuelles, elle aurait pu « s’amuser autrement… caresses, sexe oral », ou encore lui demandait si elle avait envie de « s’amuser avec lui » ;
Attendu que M. X a indiqué à l’audience que c’était F qui était revenue vers lui et qu’il avait voulu savoir qui elle était ; qu’il admettait toutefois que le plus judicieux aurait dû être de cesser toute conversation ;
Attendu, au regard des constatations effectuées par les services d’enquête, contredisant les déclarations de M. X, que la matérialité du grief est établie ;
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Attendu que les agissements de M. X, contraires à l’honneur, constituent des manquements particulièrement graves à la dignité et à la délicatesse et sont incompatibles avec les devoirs de l’état de magistrat ; que, par leur nature, ils ont porté une atteinte grave à l’image de l’institution judiciaire ;
Attendu que M. X a expliqué à l’audience s’être trouvé «isolé socialement, culturellement » et que « le soir, après le travail », il s’est « enfermé dans (un) monde virtuel sans la capacité critique de voir que ce qu’(il) faisai(t) était contraire à (s)es principes de fonctionnement », précisant ne pas avoir conscience de ce qu’il faisait, étant dans un état dépressif ;
Attendu que le rapport du docteur H, psychiatre traitant de M. X, versé à la procédure disciplinaire, relève qu’il « a manifestement été mu, au plan psychopathologique, dans un contexte réactionnel plurifactoriel (de stress, d’ennui et de dépression), par des défenses maniaques » ; que « c’est précisément le recours inconscient à ces défenses maniaques, pour lutter contre la dépression qui explique l’altération de son discernement au moment des faits » ;
Attendu que les agissements de M. X imposent néanmoins de l’écarter définitivement de l’exercice de toute fonction judiciaire ; qu’au regard des éléments de contexte et du rapport médical, il y a lieu de prononcer à son encontre non la sanction de la révocation mais celle la sanction d’admission à cesser ses fonctions.
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PAR CES MOTIFS,
Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos, hors la présence de M. Loïc Chauty, rapporteur ;
Statuant en audience publique le 4 septembre 2014 pour les débats et le 25 septembre 2014 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;
Prononce à l’encontre de M. X la sanction d’admission à cesser ses fonctions, prévue à l’article 45 6° de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 ;
Dit que copie de la présente décision sera adressée au premier président de la cour d’appel de xxxxx.