Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
09/07/2014
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des tiers, Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice)
Décision
Non-lieu à transmission de la QPC
Mots-clés
Question prioritaire de constitutionnalité
Caractère sérieux (absence manifeste)
Fonction
Juge au tribunal de grande instance
Résumé
Non-lieu à transmission au Conseil d'État de la question prioritaire de constitutionnalité faisant grief aux articles 43 alinéa premier, 45 alinéa premier et 46 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature de porter atteinte aux articles premier, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, à l’article 34 de la Constitution, au principe de légalité des délits et des peines, à la présomption d’innocence, au principe de nécessité, au principe de proportionnalité, au principe d’individualisation de la peine, au principe selon lequel nul n’est responsable que de son propre fait, au droit à un procès équitable et aux droits de la défense en tant que droits fondamentaux à caractère constitutionnel résultant de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, ainsi qu’aux principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique.

CONSEIL SUPÉRIEUR
DE LA MAGISTRATURE

Conseil de discipline
des magistrats du siège

9 juillet 2014

M. X

DÉCISION

Le Conseil supérieur de la magistrature, siégeant comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur une question prioritaire de constitutionnalité déposée par M. X, juge au tribunal de grande instance de xxxx, sous la présidence de M. Daniel Ludet, Conseiller à la Cour de cassation suppléant le Président de la formation,

Vu les articles 43 à 58 de l'ordonnance n? 58 1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu l’article 19 de la loi organique n? 94 100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n? 94 199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu l’acte de saisine du garde des sceaux, en date du 20 février 2013, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X, actuellement interdit temporairement d’exercice des fonctions ;

Vu l'ordonnance du 1er mars 2013 désignant M. Luc Fontaine en qualité de rapporteur ;

Vu les conclusions déposées le 8 juillet 2014 ;

***

Attendu qu’après avoir entendu M. X, assisté de Maître A au soutien d’une question prioritaire de constitutionnalité, Mme Valérie Delnaud, sous directrice des ressources humaines de la magistrature, assistée de Mme Hélène Volant, magistrate à cette direction, en ses observations tendant au rejet de la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat, M. X, assisté de Maître A ayant eu la parole en dernier, le Conseil en a délibéré ;

***

*Sur la question prioritaire de constitutionnalité

Attendu qu’en application de l’article 61 1 de la Constitution, « lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; qu’en application de l’article 23 1 de l’ordonnance n?58 1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, « devant les juridictions relevant du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé»;

Attendu qu’en l’espèce, aux termes des conclusions versées aux débats le 8 juillet 2014, M. X demande que soit adressée la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

«Les articles 43 alinéa premier, 45 alinéa premier et 46 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, qui respectivement disposent que : « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire », exposent « les sanctions disciplinaires applicables aux magistrats » et disposent que « si un magistrat est poursuivi en même temps pour plusieurs faits, il ne peut être prononcé contre lui que l’une des sanctions prévues à l’article précédent. Une faute disciplinaire ne peut donner lieu qu’à une seule de ces peines », sont-ils contraires aux articles premier, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, à l’article 34 de la Constitution, au principe de légalité des délits et des peines, à la présomption d’innocence, au principe de nécessité, au principe de proportionnalité, au principe d’individualisation de la peine, au principe selon lequel nul n’est responsable que de son propre fait, au droit à un procès équitable et aux droits de la défense en tant que droits fondamentaux à caractère constitutionnel résultant de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, ainsi qu’aux principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique dès lors qu’ils permettent qu’une faute disciplinaire soit prononcée sans établir le caractère intentionnel de la faute disciplinaire, qu’ils permettent qu’une sanction disciplinaire soit prononcée nonobstant la cause d’atténuation ou d’absence de responsabilité devant résulter de l’altération ou de l’abolition du discernement lors des faits, qu’ils ne définissent pas les éléments constitutifs de la faute disciplinaire, qu’ils permettent qu’une sanction disciplinaire soit prononcée à l’égard des faits qui donnent également lieu à des poursuites pénales sans que ceux-ci aient été préalablement établis par une décision pénale antérieure et définitive, qu’ils permettent qu’une sanction disciplinaire soit prononcée cumulativement avec une sanction pénale sans que cette dernière ait été préalablement prononcée par une décision antérieure définitive, et qu’ils permettent qu’une sanction disciplinaire de révocation soit prononcée cumulativement avec une sanction pénale sans que soit assuré le respect effectif du principe de proportionnalité ?»;

Attendu qu’à l’appui de cette question prioritaire de constitutionnalité, M. X expose que « ces textes permettent qu’une sanction disciplinaire soit prononcée sans établir le caractère intentionnel de la faute disciplinaire », que «ces textes permettent qu’une sanction disciplinaire soit prononcée nonobstant la cause d’atténuation ou d’absence de responsabilité devant résulter de l’altération ou de l’abolition du discernement lors des faits », que « ces textes ne définissent pas les éléments constitutifs de la faute disciplinaire », que « ces textes permettent qu’une sanction disciplinaire soit prononcée à l’égard de faits qui donnent également lieu à des poursuites pénales sans que ceux-ci aient été préalablement établis par une décision pénale antérieure et définitive », que « ces textes permettent qu’une sanction disciplinaire soit prononcée cumulativement avec une sanction pénale sans que cette dernière ait été préalablement prononcée par une décision antérieure définitive », et que « ces textes permettent qu’une sanction disciplinaire de révocation soit prononcée cumulativement avec une sanction pénale sans que soit assuré le respect effectif du principe de proportionnalité ? »;

Sur l’existence d’un écrit distinct et motivé

Attendu que le Conseil constate que les moyens tirés de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ont été présentés dans des conclusions déposées le 8 juillet 2014, dans un écrit distinct et motivé et qu’il est en conséquence recevable.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat

Attendu que l’article 23 2 de l’ordonnance précitée du 7 novembre 1958 prévoit que la juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat si les conditions suivantes sont remplies :

- La disposition contestée est applicable au litige et à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

- Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

- La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

1°Sur l’applicabilité au litige

Attendu que les dispositions critiquées du premier alinéa de l’article 43, du premier alinéa de l’article 45 et l’article 46 sont applicables au litige ;

2° Sur l’absence de déclaration de conformité par le Conseil constitutionnel des dispositions contestées

-Sur le premier alinéa de l’article 43

Attendu d’une part que le premier alinéa de l’article 43 de l’ordonnance précité du 23 décembre 1958 dispose que « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire » ;

Attendu que l’article 21 de la loi organique n°2010-830 du 22 juillet 2010 a modifié l’article 43 précité en insérant, notamment, un deuxième alinéa ainsi rédigé : « Constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d'une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, commise dans le cadre d'une instance close par une décision de justice devenue définitive. »

Attendu que dans sa décision n°2010-611 DC du 19 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a jugé : « Considérant que l’article 21 modifie l’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 qui définit la faute disciplinaire comme « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, la délicatesse ou à la dignité » ; que le 1er de cet article 43 précise que « constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties constatée par une décision de justice devenue définitive » ; que cette précision est conforme aux exigences constitutionnelles rappelées au considérant 7 de la décision du Conseil constitutionnel du 1er mars 2007 susvisée » ; que ce considérant 7 a énoncé « que l’indépendance de l’autorité judiciaire garantie par l’article 64 de la Constitution, et le principe de la séparation des pouvoirs, proclamé par l’article 16 de la Déclaration de 1789, n’interdisent pas au législateur organique d’étendre la responsabilité disciplinaire des magistrats à leur activité juridictionnelle en prévoyant qu’un violation grave et délibérée d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties puissent engager une telle responsabilité ; que, toutefois, ces mêmes principes font obstacle à l’engagement de poursuites disciplinaires lorsque cette violation n’a pas été préalablement constatée par une décision de Justice devenue définitive » ;

Attendu que les dispositions issues de l’article 21 de la loi organique du 22 juillet 2010 ont expressément été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision ;

-Sur le premier alinéa de l’article 45

Attendu que le premier alinéa de l’article 45 de l’ordonnance précitée du 23 décembre 1958 dispose que « les sanctions disciplinaires applicables aux magistrats sont : » ;

Attendu que l’article 16 de la loi organique n°2001-539 du 25 juin 2001 a inséré à l’article 45 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 un alinéa créant au 4° bis de cet article la sanction disciplinaire d’exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximum d’un an, avec privation totale ou partielle du traitement ;

Attendu que cette disposition a expressément été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision n°2001-445 DC du 19 juin 2001;

Attendu que le 3° bis de l’article 45 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, résulte de l’article 15 de la loi organique n°2007-287 du 5 mars 2007, qui a inséré la sanction d’interdiction d’être nommé ou désigné dans des fonctions de juge unique pendant une durée maximum de cinq ans ;

Attendu que, pour ce qui concerne le contrôle qu’il exerce sur les lois organiques, le Conseil constitutionnel doit être regardé comme s’étant prononcé sur la conformité à la Constitution de chacune des dispositions de la loi organique qui lui est soumise ; que dès lors, sauf changement des circonstances, lequel n’est pas invoqué par M. X, les lois organiques promulguées doivent être regardées, dans leur intégralité, comme conformes à la Constitution, alors même que la décision du Conseil constitutionnel qui les a examinées ne mentionne pas expressément les dispositions critiquées dans ses motifs ;

Attendu que la décision n°2007-551 DC du 1er mars 2007 doit être regardée comme ayant déclaré conforme à la Constitution l’article 15 de la loi organique précitée du 5 mars 2007 ;

-Sur l’article 46
Attendu enfin que l’article 46 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 dispose que : « Si un magistrat est poursuivi en même temps pour plusieurs faits, il ne peut être prononcé contre lui que l'une des sanctions prévues à l'article précédent. » et que « Une faute disciplinaire ne peut donner lieu qu'à une seule de ces peines. Toutefois, les sanctions prévues aux 3°, 3° bis, 4°, 4° bis et 5° de l'article 45 peuvent être assorties du déplacement d'office. La mise à la retraite d'office emporte interdiction de se prévaloir de l'honorariat des fonctions prévu au premier alinéa de l'article 77 »
Attendu que l’article 16 de la loi organique n°2007-287 du 5 mars 2007 a modifié l’article 46 de l’ordonnance précité du 22 décembre 1958, d’une part remplaçant au premier alinéa, le mot : « pourra », par le mot : « peut », et, d’autre part, en modifiant la rédaction du second alinéa, tel que rappelé précédemment ;
Attendu que si l’article 16 de la loi du 5 mars 2007 n’a pas été expressément mentionné dans la décision du Conseil constitutionnel n°2007-551 DC du 1er mars 2007, il doit être regardé, s’agissant d’une loi organique, comme ayant été déclaré conforme à la Constitution.

Attendu, en définitive, que les dispositions critiquées du premier alinéa de l’article 43, du premier alinéa de l’article 45 et de l’article 46 n’ont pas été, en tant que telles, déclarées conformes à la Constitution, au sens de l’article 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 ;

3° Sur le caractère sérieux

Attendu cependant que la validation par le Conseil constitutionnel des modifications apportées à l’article 43 par l’article 21 de la loi organique n°2010-830 du 22 juillet 2010, à l’article 45 par les articles 16 de la loi organique n°2001-539 du 25 juin 2001 et 15 de la loi organique n°2007-287 du 5 mars 2007 et à l’article 46 par l’article 15 de la loi organique n°2007-287 du 5 mars 2007, implique nécessairement que le Conseil constitutionnel a considéré, à l’occasion de leurs modifications, les dispositions initiales conformes à la Constitution ;

Attendu en conséquence que la question prioritaire de constitutionnalité déposée par M. X est manifestement dépourvue de caractère sérieux ;

Attendu que l’une des conditions prévue à l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 faisant ainsi défaut, la demande de transmission au Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité ne peut qu’être rejetée.

***

PAR CES MOTIFS,

Le Conseil, statuant le 9 juillet 2014, et après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur ;

Rejette la demande de transmission au Conseil d’Etat de la question prioritaire de constitutionnalité soumise au Conseil ;

Dit que copie est remise immédiatement à M. X et à son conseil.