Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet
La commission consultative de discipline des magistrats du ministère public,
Vu le décret du 5 juin 1934, modifié par les décrets des 10 janvier 1935 et 31 octobre 1936, relatifs à la révocation des magistrats du ministère public au titre des sanctions disciplinaires ;
Vu la dépêche de M. le garde des sceaux en date du 22 mai 1958 qui a saisi la commission consultative de discipline des magistrats du ministère public instituée par lesdits décrets,
Ouï M. de Robert, procureur général, en son rapport,
Ouï Me de Sariac, avocat à la cour de Paris, admis à représenter M. X, à qui son dossier personnel avait été communiqué le 31 mai 1958, conformément à l’article 65 de la loi du 22 avril 1905 ;
Attendu que, par sa dépêche du 22 mai 1958, M. le garde des sceaux a saisi la commission consultative de discipline des magistrats du ministère public d’une procédure disciplinaire en vue de la révocation de M. X, substitut du procureur général près la cour d’appel de V, à l’occasion des faits révélés contre ce dernier au cours d’une information ouverte au tribunal de ... des chefs d’excitation de mineurs à la débauche, d’exploitation et de rémunération de la débauche et d’actes impudiques ou contre nature sur un mineur de 21 ans, par application des articles 331, paragraphe 3, et 334, paragraphes 4 et 5, du code pénal ;
Attendu qu’il en résulte que M. X a reçu à son domicile à V, puis hébergé du 19 au 31 mars 1958, quatre mineurs dont trois de moins de 18 ans et un de 19 ans : Y, 16 ans, Z, 17 ans, A, 18 ans, et B, 19 ans, qui se livraient habituellement à la pédérastie passive et qui avaient, le 8 mars précédent, quitté le domicile de leurs parents à W, sans leur autorisation ;
Attendu que pendant leur séjour chez M. X, les jeunes gens se livrèrent devant lui à des danses lascives après s’être affublés de vêtements féminins achetés par ce magistrat ; qu’ils s’exhibèrent dans la même tenue en présence d’amis de M. X et que deux de ces derniers eurent ensuite des rapports sexuels contre nature avec Y et B ; que le jeune Y a affirmé que M. X le faisait venir dans son lit presque chaque nuit et se livrait sur lui à des actes contre nature ;
Attendu que le 31 mars 1958, profitant des vacances de Pâques, M. X reconduisit à ... les quatre mineurs qui furent arrêtés le jour même de leur arrivée ;
Attendu que M. X, entendu comme témoin par le juge d’instruction, a reconnu avoir été mis au courant par les mineurs de leur situation irrégulière et que, pour donner le change, il avait fait mettre à la poste de W les lettres adressées par les jeunes gens à leur famille ; qu’il n’a pas contesté avoir assisté à leurs exhibitions en travesti et avoir eu des gestes déplacés à leur égard ;
Attendu qu’il soutient, il est vrai, qu’il n’a pas eu de rapports sexuels contre nature avec le jeune Y et que, lorsque ce dernier venait le rejoindre dans sa chambre, il se serait borné à bavarder avec lui, à l’embrasser et à le caresser ;
Attendu qu’il convient, en outre, de remarquer que M. X vivait en compagnie du nommé C, âgé de 19 ans, son chauffeur, qui se faisait passer pour son neveu sous le nom d’Alain X ; que ce jeune musulman qui avait mis en rapport les mineurs susnommés avec son « oncle », s’est livré à des actes impudiques avec certains d’entre eux ;
Attendu qu’à s’en tenir aux seuls faits reconnus devant le magistrat instructeur, ces derniers seraient de nature à révéler l’indignité de la conduite de M. X, mais qu’il y a lieu de considérer comme suffisamment établi l’ensemble des faits ci-dessus spécifiés et qui portent gravement atteinte à la dignité et à la considération de ce magistrat et constituent des manquements incontestables aux devoirs de son état ; qu’enfin il ressort du dossier personnel de M. X que celui-ci se livre à son vice depuis de très nombreuses années ; qu’à la suite de faits relatés dans un rapport du 19 décembre 1945, adressé à M. le directeur du personnel de la chancellerie par M. l’inspecteur général des services judiciaires, il est fait état d’agissements analogues qui ont obligé M. X à accepter une mutation par équivalence en ..., alors qu’il était juge au tribunal de E ;
Attendu que M. X, qui ne comparaît pas, s’est fait représenter par Me D, aux termes d’une lettre adressée à son défenseur le 2 janvier 1959 ;
Attendu que ce dernier sollicite une expertise mentale afin d’établir si son client doit ou non être tenu pour responsable des actes qui lui sont reprochés ; qu’à l’appui de cette demande, la défense produit plusieurs certificats médicaux établissant que M. X serait atteint d’affection nerveuse grave de nature à atténuer sinon à faire disparaître sa responsabilité ;
Mais attendu que ces certificats sont tous postérieurs à la première manifestation de ses instincts pervers, ce qui paraît de nature à réduire sensiblement leur portée ;
Attendu qu’il n’y a pas lieu, en conséquence, d’ordonner l’expertise médicale sollicitée ;
Par ces motifs,
La commission propose la sanction de la révocation.