Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
03/03/2006
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des collègues, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des auxiliaires de justice, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des justiciables, Manquement au devoir de légalité (obligation de diligence), Manquement au devoir de légalité (obligation de rédaction des décisions), Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat (obligation d’assumer ses fonctions), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Déplacement d'office
Mots-clés
Poursuites disciplinaires (droits de la défense)
Poursuites disciplinaires (non cumul des sanctions)
Avancement
Poursuites disciplinaires (saisine du CSM)
Poursuites disciplinaires (impartialité)
Négligence
Retard
Délibéré
Délai raisonnable
Organisation du service
Image de la justice
Amnistie
Délicatesse
Collègue
Auxiliaire de justice
Justiciable
Légalité
Diligence
Rédaction des décisions
Etat de magistrat
Fonctions
Probité
Institution judiciaire (confiance)
Déplacement d'office
Juge
Fonction
Juge au tribunal de grande instance
Résumé
Retards généralisés et persistants dans la motivation des décisions. Prolongations de délibéré sans indication des dates de prononcé des jugements ni réponse aux réclamations des justiciables et des auxiliaires de justice
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par le garde des sceaux, ministre de la justice contre M. X, juge au tribunal de grande instance …, sous la présidence de M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation […] ;

Vu les articles 43 à 58 modifiés par l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994, relatif au Conseil supérieur de la magistrature,

Vu la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice, du 18 avril 2005, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X, juge au tribunal de grande instance de …, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu l’ordonnance du 26 avril 2005 désignant M. Valéry Turcey, en qualité de rapporteur ;

Vu la lettre du 28 juin 2005 par laquelle M. X a désigné Me …, avocat au barreau de … pour l’assister ;

Vu l’article 57 de l’ordonnance précitée n° 58-1270 du 22 décembre 1958, modifié par l’article 19 de la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les conclusions déposées par Me … le 21 février 2006 et leurs annexes ;

Sur le rapport de M. Valéry Turcey dont M. X reçu copie ;

Après avoir entendu M. Pierre Bigey, sous-directeur de la magistrature, représentant le directeur des services judiciaires du ministère de la justice, M. Turcey donner lecture de son rapport, M. X en ses explications et moyens de défense, Me … en sa plaidoirie, M. X ayant eu la parole en dernier ;

Attendu que sont reprochés à M. X, au moins depuis 1999, au tribunal de grande instance de …, en dépit de mises en garde répétées, des retards généralisés et persistants dans la motivation des décisions soumises à sa juridiction, de multiples prolongations de délibéré sans indication des dates de prononcé des jugements ni réponse aux réclamations des justiciables et des auxiliaires de justice et, d’une manière générale, des délais de jugement excessifs ;

I - Sur les incidents de procédure

Attendu que M. X soutient, d’abord, que la procédure est nulle pour violation du principe de la contradiction, faute d’avoir été entendu à l’occasion des auditions de témoins effectuées par le rapporteur à … et en raison du versement tardif de pièces au dossier de la procédure ; qu’il prétend aussi que les poursuites sont irrecevables, d’une part, en raison du long délai écoulé entre les faits qui lui sont imputés et l’engagement des poursuites, d’autre part, du fait que son comportement a déjà été sanctionné par une abstention de présentation aux tableaux d’avancement établis à partir de l’année 2001 ;

Mais attendu, en premier lieu, que les procès-verbaux des auditions de …, vice-présidents au tribunal de grande instance de …, et … bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de … qui ont eu lieu le 29 novembre 2005, ont été aussitôt classés au dossier où ils pouvaient être consultés à tout moment par M. X ou son défenseur ; que les pièces versées à la procédure par le directeur des services judiciaires, le 17 février 2006, pour la plupart figurant déjà au dossier, en annexe au rapport de l’inspection générale des services judiciaires, sont précisément celles dont Me …, conseil de M. X avait demandé communication et envoi en copie par lettre reçue le 16 février 2006 ; qu’en outre, … a pu discuter l’ensemble de ces éléments dans un mémoire déposé le 21 février suivant auquel il a joint de nombreuses pièces ; que les garanties des droits de la défense ont par conséquent été respectées ;

Attendu, en second lieu, que pour prétendre tardive la saisine du conseil de discipline, M. X ne peut tirer parti des multiples tentatives, effectuées sous diverses formes, par le premier président de la cour d’appel de …, pour l’inviter à améliorer son comportement professionnel avant que soit ordonnée, le 24 juillet 2003, l’inspection à partir de laquelle les poursuites disciplinaires ont été entreprises ;

Attendu qu’en dépit du terme non approprié employé dans une note interne aux services judiciaires du 21 juin 2002 qui n’avait d’ailleurs pas été portée à la connaissance de l’intéressé, l’abstention de présentation d’un magistrat au tableau d’avancement ne peut être regardée comme une sanction disciplinaire ;

II - Sur les griefs disciplinaires

Attendu qu’il résulte du dossier administratif de l’intéressé, du rapport de l’inspection générale des services judiciaires daté du mois de juillet 2004, des auditions effectuées par le rapporteur complétées des pièces qu’il a fait verser au dossier, que, depuis le début de sa carrière, en qualité de juge, d’abord au tribunal de grande instance de …, de 1980 à 1985, puis à celui de … à partir du début de l’année 1986, M. X a, dans l’exercice de ses fonctions, montré des insuffisances récurrentes manifestées par des retards importants et permanents dans le prononcé des jugements des affaires soumises à son examen ; que si ces carences ont semblé s’atténuer durant les premières années de présence dans cette seconde juridiction, elles se sont reproduites et aggravées depuis l’année 1999, à partir de laquelle des défaillances ont été signalées au premier président de la cour d’appel de … dans la juridiction du juge aux affaires familiales dont il était chargé, tant par le vice-président responsable du service que par une délibération du conseil de l’ordre des avocats au barreau de … et par de multiples réclamations de justiciables ; que ces alertes répétées et convergentes ont finalement conduit le premier président à solliciter du garde des sceaux, ministre de la justice, la mise en œuvre de poursuites disciplinaires, par un rapport du 29 mai 2002, réitéré par un autre, du 15 mai 2003, rendant compte des sérieuses dégradations provoquées dans l’organisation et l’ambiance de travail du tribunal par la déficience persistante de M. X et de la réorganisation de service qu’elle avait rendu nécessaire au détriment de ses collègues ;

Attendu que le rapport de l’inspection a confirmé, dans le prononcé des décisions du contentieux familial soumis à M. X, l’existence de retards considérables qui se sont poursuivis jusqu’au mois de septembre 2002, n’étant progressivement résorbés qu’à partir du mois de mai 2002, époque à laquelle le service de l’intéressé a été très sensiblement allégé pour ne plus comprendre aucune tâche impliquant la motivation de décisions de justice ; qu’il résulte en particulier d’un état dressé par …, vice-président chargé de l’organisation du service des affaires familiales, à la demande du premier président, qu’à la date du 14 mai 2002, alors que le nombre de dossiers mensuellement plaidés était inférieur à 15, 98 affaires étaient en attente des décisions de M. X dont 82 depuis plus de trois mois et 7 depuis plus d’un an, le vice-président précisant que M. X avait refusé tous les plans d’apurement de ses retards qui lui avaient été proposés depuis le mois d’octobre 2001 ;

Attendu que l’aménagement de service dont il a bénéficié à partir du mois de mai 2002 n’a finalement permis à M. X de régler la totalité des affaires en instance qu’au mois de septembre suivant ; qu’en dépit d’une réduction sensible de ses tâches, il a provoqué de nouvelles perturbations dans les services dont il est responsable, en particulier le bureau d’aide juridictionnelle ;

Attendu que M. X, qui ne conteste ni les retards importants relevés dans le prononcé des jugements par l’acte de saisine du Conseil, ni n’avoir, dans de nombreux cas, eu soin d’indiquer aux parties les dates de prorogation de ses délibérés et s’être opposé par principe aux programmes de régularisation préparés par son collègue responsable de l’organisation du service, que telle ingérence étant, selon lui, contraire à son indépendance et à sa dignité, prétend que ces délais excessifs de jugement étaient dus à la surcharge de travail consécutive à la grève des juges du tribunal de commerce de … ayant conduit les magistrats du tribunal de grande instance, selon un arrêté du premier président, à assurer la charge du contentieux commercial ;

Mais attendu que si cette situation a perturbé, au cours de l’année 2000, le fonctionnement du tribunal de grande instance, elle ne peut justifier que M. X, qui n’assurait au sein de la juridiction consulaire que le service hebdomadaire d’une audience sans se voir confier la motivation de décisions et qui, selon les vérifications complètes et méticuleuses, effectuées par l’inspection générale des services judiciaires, assurait un service d’audience d’affaires familiales normalement constitué, se soit complu dans des délais de délibéré anormalement longs et une attitude désinvolte à l’égard des justiciables durant les dix-neuf mois qui ont suivi ;

Considérant que le comportement de l’intéressé consistant à accumuler, sans le moindre effort de gestion des affaires en instance, des retards parfois d’une année dans le prononcé des décisions de justice, sans même indiquer la date de délibéré, ni se soucier du désagrément imposé aux personnes soumises à ses décisions dans un contentieux familial généralement sensible et urgent, sans davantage tenir compte des réclamations de ceux-ci et, en dépit des diverses mises en garde qui lui ont été faites, de la désapprobation de ses collègues, comme des protestations des auxiliaires de justice, au surplus, sans égard pour la désorganisation durable ainsi créée dans le fonctionnement du tribunal et la répartition des services, traduit tout autant, de la part de ce magistrat, une carence professionnelle manifeste, une absence de loyauté à l’égard des membres de la juridiction qu’un mépris du justiciable et une méconnaissance de ses responsabilités ; qu’un tel comportement qui a incontestablement jeté discrédit sur la juridiction à laquelle il appartient, caractérise un manquement au devoir de son état de magistrat ;

Que si la défaillance habituelle de M. X ne peut être regardée comme un manquement à l’honneur écartant les faits commis avant le 17 mai 2002 du bénéfice de l’amnistie résultant de la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002, les manifestations de cette insuffisance professionnelle qui ont perduré au-delà de cette date doivent donner lieu à sanction disciplinaire ; que la persistance et la gravité des manquements ainsi réitérés justifient l’application de la sanction de déplacement d’office ;

Par ces motifs,

Statuant en audience publique le 22 février 2006, pour les débats et le 3 mars 2006, date à laquelle la décision a été rendue ;

Rejette les exceptions de nullité ;

Prononce à l’encontre de M. X la sanction du déplacement d’office prévue par le 2° de l’article 45 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, portant loi organique relative au statut de la magistrature.