Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège
Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées contre M. Y, premier vice-président au tribunal de grande instance de xxxx , sous la présidence de M. Vincent Lamanda, Premier président de la cour de cassation, (…)
M. Y était absent et personne ne s’est présenté pour lui.
Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n°94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n°2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu les articles 40 à 44 du décret n°94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu la dépêche du ministre d’Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, en date du 19 novembre 2009, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. Y, premier vice-président au tribunal de grande instance de xxxx, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;
Vu l’ordonnance du 23 novembre 2009, désignant M. Hervé Grange en qualité de rapporteur ;
Vu le rapport de M. Grange du 30 juillet 2010, dont M. Y a reçu copie ;
Vu le rappel, par M. le Premier président, des termes de l’article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, selon lesquels “l’audience est publique, mais que, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le Conseil de discipline” et l’absence de demande spécifique formulée en ce sens conduisant à tenir l’audience publiquement ;
Vu la lecture de son rapport par M. Grange, les observations de M. Xavier Tarabeux, adjoint à la directrice des services judiciaires, qui a demandé de prononcer, contre M. Y, la sanction du déplacement d’office ;
Vu les lettres envoyées après l’audience, en cours de délibéré, par M. Y ou son avocat, à savoir :
- celles datées des 14 et 16 octobre 2010, de M. Y
- celles datées des 28 octobre et 2 novembre 2010, de Me A ;
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SUR LA DEMANDE DE RENVOI FORMULÉE PAR M. Y
Attendu que, par lettre du 17 septembre 2010, M. A, avocat au barreau de xxxx, conseil de M. Y, a sollicité le renvoi des audiences disciplinaires des 13 et 14 octobre 2010, en invoquant son indisponibilité à ces dates pour des raisons professionnelles ;
Attendu que, par lettre du 25 septembre 2010, M. Y sollicite également le renvoi de ces audiences, en invoquant l'empêchement professionnel de son avocat constitué et celui de M. B, magistrat désigné récemment comme second défenseur ; qu'il fait état également de son extrême lassitude et de son impossibilité de préparer utilement, avec un minimum de sérénité, ses explications et moyens de défense ;
Attendu que, par lettre du 1er octobre 2010 adressée à la secrétaire du conseil de discipline, M. Y a produit deux certificats médicaux, de nature, selon lui, à donner un éclairage supplémentaire sur « l'extrême lassitude » exprimée dans la lettre du 25 septembre 2010 ;
Attendu que, par correspondance du 4 octobre 2010, M. B, magistrat choisi comme défenseur par M. Y, demande le renvoi des audiences du 13 et 14 octobre 2010, en invoquant ses responsabilités syndicales au moment de la campagne électorale en vue des élections au Conseil supérieur de la magistrature, l'insuffisance du temps de préparation d'audience, l'état de santé de M. Y, l'indisponibilité de M. A, avocat choisi, et le dépôt d'un préavis de grève des transports ;
Attendu que, dans une lettre du 8 octobre 2010, adressée à la secrétaire du conseil de discipline, M. Y a transmis, notamment :
- un certificat médical du docteur C du 8 octobre 2010,
- un avis d'arrêt de travail du docteur C, en date du 8 octobre 2010, prescrivant un arrêt de travail de M. Y du 8 au 17 octobre 2010 ;
que, par télécopie du 11 octobre 2010, adressée à la secrétaire du Conseil de discipline, M. Y a communiqué, "en cas de perturbations postales éventuelles" "la pièce principale" de son envoi du 8 octobre 2010, à savoir le certificat médical susvisé du docteur C en date du 8 octobre 2010 ;
Mais attendu qu'en vertu de l'article 54 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, « le magistrat cité est tenu de comparaître en personne. Il peut se faire assister et, en cas de maladie ou d'empêchements reconnus justifiés, se faire représenter par l'un de ses pairs, par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ou par un avocat inscrit au barreau » ; Qu'aux termes de l'article 57 de cette même ordonnance : « si le magistrat cité, hors le cas de force majeure, ne comparaît pas, il peut néanmoins être statué, et la décision est réputée contradictoire. »
Attendu que M. Y a accusé réception, le 8 septembre 2010, de sa convocation du 1er septembre 2010 aux audiences des 13 et 14 octobre 2010 ; qu'il avait choisi depuis plusieurs mois son avocat M. A; que, postérieurement à sa convocation, il a désigné un autre conseil en la personne de M. B, magistrat ;
Que, selon le certificat médical du docteur D du 30 septembre 2010, il est fait état exclusivement de deux consultations de M. Y « consécutivement à une exacerbation de ses problèmes professionnels » ; que, selon le certificat médical du 1er octobre 2010 rédigé par le médecin de prévention E, « M. Y présente actuellement un état de souffrance au travail lié à des problèmes professionnels. Les conditions de travail actuel de M. Y l'exposent à des risques psychosociaux délétères pour sa santé » ; que, selon le certificat du médecin généraliste, le docteur C en date du 8 octobre 2010, l'état de santé actuel de M. Y « contre?indique tous déplacements éloignés de sa résidence privée ou professionnelle pendant au moins deux mois » ; que, le 8 octobre 2010, le docteur C a prescrit un arrêt de travail à M. Y, du 8 octobre au 17 octobre 2010 ;
Qu'il convient, dès lors, en dépit du fait que l'arrêt de travail précité prévoyait pour le bénéficiaire des sorties autorisées sans restriction d'horaire, de considérer que M. Y justifiait d'un cas de maladie lui permettant de se faire représenter à l'audience disciplinaire, en application de l'article 54 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 précité ;
Que M. Y n'a pas soumis au conseil une demande tendant à être représenté, au sens de l'article 54 précité ;
Que, ne comparaissant pas en personne, il ne pouvait être assisté à l'audience ;
Que l'allégation de l'empêchement professionnel d'un avocat, comme la désignation tardive d'un second conseil sont, dès lors, inopérants ;
Qu'en conséquence la demande de renvoi doit être rejetée ;
Que la décision du Conseil de discipline sera réputée contradictoire ;
SUR LES GRIEFS DISCIPLINAIRES
Attendu que, le 19 novembre 2009, conformément aux dispositions de l'article 50?1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 précitée, le garde des Sceaux a dénoncé, au Conseil supérieur de la magistrature, les faits motivant des poursuites disciplinaires contre M. Y, premier vice?président au tribunal de grande instance de xxxx ;
Attendu que l'acte de saisine analyse les qualifications disciplinaires en ces termes :
« Le bon fonctionnement du service de la justice impose à tout magistrat de respecter les missions dévolues aux chefs de juridiction : il lui appartient en conséquence de s'abstenir d'en compromettre l'exercice par la formulation indélicate d'exigences personnelles ou de critiques.
Les faits reprochés à M. Y manifestent, de sa part, une vision excessivement égocentrique de ses relations avec ses supérieurs hiérarchiques et une méconnaissance des devoirs de leur charge. Ils caractérisent une méconnaissance de ses propres devoirs de magistrat, peu excusable au regard de son grade et de son ancienneté.
En effet, en utilisant, par écrit ou oralement, dans ses relations avec le président du tribunal auquel il appartient, et avec le premier président, des termes discourtois, voire offensants, et en usant d'un ton polémique n'ayant pas sa place dans de telles relations, M. Y a manqué au devoir de délicatesse et méconnu les devoirs de son état de magistrat.
En outre, en prenant part à un conflit personnel avec le président du tribunal, de façon notoire et dans des conditions incompatibles avec un exercice serein du service de la justice, M. Y a méconnu son devoir de préserver le fonctionnement de ce service et son image » ;
Le reproche fait à M. Y de s'être placé, à l'égard du président du tribunal, dans une posture revendicatrice, peu compatible avec le respect du lien hiérarchique
Attendu que M. Y, premier vice-président, a adressé, le 16 février 2007, à M. X, président du tribunal de grande instance de xxxx, alors absent de la juridiction, une lettre dont les termes ont été critiqués par l'acte de saisine ; que cette lettre se situait dans le prolongement de deux événements qui avaient froissé M. Y au cours des semaines précédentes ; que, d'une part, il aurait souhaité que le président réglât à son avantage un différend l'opposant depuis le début du mois de janvier au vice?président chargé du service du juge des libertés et de la détention, qui, à son sens, lui devait des excuses ;que, d'autre part, le président, dont il se considérait comme le principal collaborateur, avait réglé tout seul, et sans l'en aviser, un incident intéressant le vice?président chargé du service des affaires familiales ;
Attendu que, dans cette lettre du 26 février 2007, adressée à M. X, M. Y écrit notamment : « suite à votre demande verbale du 23 février 2007, je vous confirme que j'attends, depuis janvier, un soutien hiérarchique » et « je vous renouvelle ma demande insistante d'une intervention de votre part. », «j'observe votre abstention prolongée à mon égard. », « Le discrédit jeté de nouveau par la presse sur le président du tribunal de grande instance me préoccupe d'autant plus que j'assume régulièrement l'intérim de la présidence, comme c'est le cas actuellement. Une convocation en assemblée générale me paraît nécessaire courant mars en raison du climat d'exception d'origine hiérarchique, syndical et médiatique. » ; que, dans ce même courrier, M. Y annonçait que le procureur de la République serait destinataire d'une copie ;
Que, dans une nouvelle lettre du 6 juillet 2007 adressée à M. X, M. Y écrit : « j'ai l'honneur en conséquence de vous demander de bien vouloir me présenter des excuses et rectifier la portée de cette attitude, de nouveau inattendue, et me faisant grief » ; que M. Y invoque, pour expliquer son comportement, une souffrance au travail et un harcèlement moral dont il s'estime victime ;
Mais attendu que les explications fournies ne sauraient justifier certains termes employés dans les correspondances adressées à son président ; que les propos précités de M. Y, premier vice-président se plaçant sur un pied d’égalité avec le président, et employant certaines expressions comminatoires, n’apparaissent pas compatibles avec les liens hiérarchiques normaux à l’égard de son président ; qu’en outre, il résulte des éléments du dossier que, comme l'a relevé l'acte de saisine, M. Y s'inscrivait dans une démarche polémique permanente dans laquelle il se posait en victime, et donnait aux incidents dénoncés une importance en général disproportionnée ;
Le reproche fait à M. Y d'avoir manifesté une attitude irrespectueuse à l'égard du premier président de la cour d'appel de xxxx
Attendu que, le 6 septembre 2007, la presse locale a publié un résumé du déroulement de l'assemblée générale des magistrats qui s'était tenue l'avant?veille au tribunal ; que l'article évoquait, notamment, un « sujet de discorde » ? relatif à la répartition des fonctions de juge des libertés et de la détention ? « une divergence de point de vue entre le premier vice?président et le président , le premier reprochant au second d'avoir modifié son poste sans explications » ; que, le même jour, le premier président convoquait le premier vice?président pour l'entendre dans ses observations sur la publication de cet article ;
Attendu que, selon le compte?rendu de l'entretien établi par le premier président, il a été demandé à M. Y de s'expliquer sur sa « façon assez scandaleuse » de contester l'autorité hiérarchique ; que, selon le premier président, M. Y a « répondu de façon très vindicative » en déclarant d'emblée « j'attends des excuses de votre part concernant votre dépêche du 6 septembre 2007, qui m'a été gravement préjudiciable » ; qu'il a ensuite souligné qu' « [il] se pos[ait] en victime de faits à connotation pénale » et qu' « [il] laissait à [ses avocats] le soin de développer ses griefs » ; que le compte rendu précisait que M. Y « très en colère », avait quitté le cabinet du premier président en dénonçant « la manière dont il était traité » selon lui « indigne et surréaliste » ;
Attendu que, par un courrier du 22 octobre 2007, M. Y reprenait ses griefs sur le même ton offensant, en écrivant notamment : « je vais donner mandat à un avocat de développer les observations écrites que vous attendez avant le 20 novembre » ; qu'il qualifiait d' « accusations » les demandes d'explications formées par le chef de cour ; que M. Y a présenté en définitive ses explications par une lettre du 25 octobre 2007 dans des termes acceptables reflétant son souhait, exprimé, d'apaiser la situation ;
Attendu que M. Y estime que c'est certainement en réponse à l'annonce de sa constitution d'avocat par rapport au respect de sa vie privée, que l'autorité hiérarchique a manifestement fait diversion en lui imputant des relations avec la presse , qu'il soutient que ce n'est pas méconnaître le lien hiérarchique que d'avoir envoyé, à plusieurs reprises, des correspondances découlant de son droit à la santé et à une égale dignité ;
Mais attendu que l'attitude agressive adoptée par M. Y allant, notamment, jusqu'à demander des excuses au premier président et à menacer d'engager une action pénale, face aux légitimes demandes d'explications du premier président, constitue un manquement grave à ses obligations de magistrat, qui doivent être appréciées au regard de la position de l'intéressé au sein de la juridiction ;
Le reproche fait à M. Y d'avoir contribué aux atteintes portées, par le conflit l'opposant à M. X, au fonctionnement et à l'image de la juridiction
Attendu que M. Y considère, qu'il n'a commis personnellement aucun fait susceptible d'avoir contribué aux atteintes portées au fonctionnement et à l'image de la juridiction ;
Mais attendu que, par ses multiples prises de position écrites et verbales outrancières, et par son rejet de l'autorité hiérarchique, M. Y a gravement contribué à détériorer le fonctionnement de la juridiction, alors que ses responsabilités de premier vice?président devaient le conduire à s'interdire de susciter des tensions au sein du tribunal et lui imposaient, au contraire, d'apaiser les éventuels conflits ;
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Attendu qu'il résulte de l'ensemble des faits retenus à l'encontre de M. Y que celui?ci a manqué au devoir de délicatesse et méconnu les obligations de son état de magistrat ; qu'il a, en outre, porté atteinte au fonctionnement de l'institution judiciaire et à son image ;
Par ces motifs
Le Conseil, statuant en audience publique, après en avoir délibéré à huis clos ,le 13 octobre 2010, pour les débats et, le 1er décembre suivant, date à laquelle la décision a été rendue par mise à disposition au secrétariat de la Première présidence de la Cour de cassation ;
Rejette la demande de renvoi formulée par M. Y ;
Prononce à l'encontre de M. Y, la sanction de retrait des fonctions de premier vice?président assorti d'un déplacement d'office, prévu à l'article 45?3°et 46 alinéa 2 de l'ordonnance du 22 décembre 1958.