Le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
07/07/2022
Qualification(s) disciplinaire(s)
Atteinte à l'image de la justice, Manquement à l'obligation de diligence, au devoir de rigueur et au sens des responsabilités, Manquement au devoir de délicatesse, Manquement au devoir de loyauté à l'égard des supérieurs hiérarchiques, Manquement au devoir de probité et d'intégrité, Manquement au devoir de prudence
Décision
Abaissement d’échelon assorti du déplacement d’office
Mots-clés
Juge d'instruction
litige privé
Qualité de magistrat (utilisation à des fins personnelles)
formation continue
carte professionnelle
permanence pénale
Fonction
Vice-président chargé de l'instruction
Résumé
Monsieur X a manqué à son devoir de délicatesse en usant d’un ton comminatoire, menaçant et méprisant en s’adressant à des fonctionnaires de police ; il a manqué à ses devoirs d’intégrité et de probité en s’étant prévalu de sa qualité de magistrat et en ayant présenté sa carte professionnelle pour exiger la résolution à son avantage d’un litige privé ; enfin il a également manqué à son devoir de loyauté envers son président en ne lui faisant pas état du litige l’ayant opposé à des fonctionnaires de police. En revanche, le fait d’avoir laissé dans son véhicule des notes relatives à un dossier en cours au sein de son cabinet ne saurait en tant que tel constituer un manquement au devoir de prudence. Egalement, ne sont pas caractérisés les manquements aux devoirs de rigueur professionnelle, de délicatesse, de loyauté s’agissant d’incidents intervenants pendant une permanence pénale ainsi que le manquement à l’obligation de formation continue, aucun élément du dossier ne permettant de lui reprocher une faiblesse d’ordre technique.

CONSEIL

SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

 

Conseil de discipline des magistrats

du siège

 

 

 

DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE

 

 

Dans la procédure mettant en cause :

 

Monsieur X

Vice-président chargé de l’instruction au tribunal judiciaire de xxxx,

 

Le Conseil supérieur de la magistrature,

Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,

 

Sous la présidence de M. Didier Guérin, président de chambre honoraire en activité à la Cour de cassation, président suppléant de la formation,

 

En présence de :

 

Mme Sandrine Clavel

Mme Hélène Pauliat 

M. Georges Bergougnous 

Mme Natalie Fricero 

M. Franck Natali

M. Olivier Schrameck

M. Benoit Giraud

Mme Virginie Duval

M. Benoist Hurel

Membres du Conseil, siégeant,

 

Assistés de Monsieur Jean-Baptiste Crabières, secrétaire général adjoint du Conseil supérieur de la magistrature et de Mme Aurélie Vaudry, greffière ;

 

Vu l’article 65 de la Constitution ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;

 

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

 

Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

 

Vu l’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la justice du 30 juillet 2021, reçu au Conseil le 4 août 2021, ainsi que les pièces jointes à cette saisine ;

 

Vu l’ordonnance du 05 août 2021 désignant M. Olivier Schrameck en qualité de rapporteur ;

 

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Monsieur X mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de Maître A et de Me B, avocats au barreau de xxxx désignés par l’intéressé pour l’assister ;

 

Vu la copie des pièces de la procédure délivrée à Monsieur X les 05.08.2021, 22.10.2021, 08.02.2022 et 14.04.2022 et à Me A les 22.11.2021, 08.02.2022 et 14.04.2022 ;

 

             Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;

 

Vu la convocation à l’audience par courrier du 22 avril 2022 envoyé par LRAR le 25 avril 2022, dont Monsieur X a eu notification par la voie hiérarchique le 05 mai 2022 ;

 

Vu la convocation à l’audience susvisée du 22 avril 2022 envoyée par voie dématérialisée le 25 avril 2022 à Maître A, qu’il a téléchargée le 25 avril 2022 ;

 

Vu la convocation de Me B, avocat au barreau de xxxx, du 1er juin 2022 par voie dématérialisée, convocation qu’elle a téléchargée ce même jour ;

 

 

Après avoir entendu :

 

- le rapport de M. Olivier Schrameck ;

 

- les observations de Mme Soizic Guillaume, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, représentante du garde des Sceaux, ministre de la justice, assistée par Mme Joanna Garreau magistrate, adjointe à la cheffe du bureau du statut et de la déontologie de cette même direction, qui a demandé le prononcé de la sanction disciplinaire de rétrogradation assortie d’un déplacement d’office à l’encontre de Monsieur X ;

- les explications et moyens de défense de Monsieur X, de Me A et de Me B, avocats au barreau de xxxx, Monsieur X ayant eu la parole en dernier ;

A rendu la présente

DÉCISION

 

L’acte de saisine du garde des Sceaux relève sept griefs disciplinaires portant sur des manquements imputés à Monsieur X :

  • Un manquement au devoir d’intégrité et de probité en excipant le 4 avril 2019 dans un cadre manifestement privé de sa qualité de magistrat pour obtenir la restitution de son véhicule en dehors du cadre prévu par les articles R.325-3887 et R.325-4188 du code de la route et par là même, tenter de s’affranchir du paiement des frais de mise en fourrière et en tenant des propos désobligeants voire outrageants envers des fonctionnaires de police et agents municipaux ;
  • Un manquement aux devoirs de délicatesse et de probité ainsi qu’un abus de fonction en adressant au directeur départemental de la sécurité publique un courrier à l’en-tête de son cabinet d’instruction pour se plaindre du comportement de fonctionnaires de police et solliciter envers ces fonctionnaires des sanctions disciplinaires ;
  • Un manquement au devoir de loyauté en s’abstenant de faire état de la teneur de cet incident et du courrier subséquent au président du tribunal ainsi qu’au procureur de la République ;
  • Un manquement au devoir de prudence en laissant dans son véhicule des documents relatifs à son activité professionnelle alors qu’il avait laissé son véhicule dans la rue sans surveillance ;
  • Un manquement aux devoirs de rigueur professionnelle, de délicatesse et de loyauté en s’absentant pour des motifs étrangers à sa permanence du samedi 12 septembre 2020 alors qu’un mis en cause attendait au dépôt et devait lui être présenté pour 14 heures, les juges des libertés et de la détention de permanence ayant attendu au palais jusqu’à 20 heures que le mis en cause fasse l’objet d’un interrogatoire de première comparution, en se présentant tardivement au palais le dimanche 13 septembre 2020 alors que cinq personnes étaient déférées depuis le matin à 8h30, en se plaignant de l’heure matinale de ces défèrements, en ne procédant aux interrogatoires de première comparution qu’à compter de 15 heures, obligeant ainsi les acteurs de la chaine pénale ainsi que les prévenus à demeurer au tribunal jusqu’à 21 heures ;
  • Une atteinte au crédit et à l’image de l’institution judiciaire en adoptant de tels comportements le 4 avril 2019 et lors de sa permanence des 12 et 13 septembre 2020 connus de ses collègues magistrats, des fonctionnaires de greffe et des policiers en charge des défèrements ;
  • Un manquement à l’obligation de formation continue en ne suivant aucune formation depuis 2016.

Selon les dispositions du premier alinéa de l’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».

 

 

  1. SUR L’EPISODE DU 4 AVRIL 2019

 

  1. Les faits

 

Le 4 avril 2019 à 00h57, le commissaire de police en poste au service de nuit de la direction départementale de la sécurité publique du xx était avisé par le chef de quart qu’un individu se présentant comme magistrat au tribunal judiciaire de xxxx se trouvait à la fourrière municipale et qu’un différend l’opposait aux agents municipaux.

 

Il se rendait sur place où il lui était indiqué par le brigadier-chef affecté à l’unité mobile à la circulation de la police municipale de xxxx qu’un homme accompagné d’une femme s’était présenté afin de récupérer un véhicule mis en fourrière par les services de la police municipale. L’individu aurait exhibé une carte professionnelle de magistrat en exigeant que son véhicule lui soit rendu sans délai. Refusant de se soumettre à tout formalisme et de fournir les justificatifs nécessaires, il n’aurait cessé d’invoquer sa qualité et se serait montré particulièrement désobligeant, voire menaçant avec les agents municipaux.

 

Le commissaire de police se présentait alors à l’individu qui lui aurait demandé s’il savait qui il était, lui aurait montré une carte professionnelle au nom de Monsieur X, vice-président chargé des fonctions de juge d’instruction au tribunal judiciaire de xxxx, aurait déclaré que son véhicule avait été placé en fourrière en dépit de toute base juridique et ajouté que ne pas déférer à sa demande de restitution allait conduire à des sanctions. Le commissaire de police, après avoir contacté sa hiérarchie ainsi que le magistrat du parquet de permanence qui lui demandait de traiter l’intéressé « comme tout citoyen », l’invitait à régler les frais de mise en fourrière afin de pouvoir récupérer son véhicule. Dans le rapport rédigé ensuite à destination de sa hiérarchie, il précisait à ce propos : « tout au long de ce temps, Monsieur X ne cessait d’indiquer que ce n’était que le début et que je ne savais pas dans quoi je m’étais lancé. Je lui répondais de manière respectueuse qu’il s’agissait d’une procédure standard et juridiquement fondée. Il m’indiquait que je devais m’attendre à des poursuites et que nous serions tous sanctionnés ».

 

Quelques heures plus tard, Monsieur X adressait au directeur départemental de la sécurité publique du xx un courrier à en-tête du « tribunal de grande instance de xxxx – Cabinet de X vice-président chargé de l’instruction » dans lequel il décrivait les difficultés rencontrées tant avec la police municipale qu’avec la police nationale, rappelant qu’il avait décliné à plusieurs reprises ses fonctions, montré sa carte professionnelle et précisé qu’il était en déplacement professionnel. Il indiquait notamment : « il n’est pas admissible que des fonctionnaires de police, placés sous votre autorité, ne répondent pas immédiatement à une demande émanant d’une autorité judiciaire en exercice, alors que sa qualité est connue et que la carte professionnelle mentionne expressément sous la signature du ministre de l’intérieur : « il est prescrit à toute  autorité civile ou militaire d’assurer la libre circulation du titulaire pour les besoins du service et dans l’exercice de ses fonctions ». J’ai ainsi perdu de façon stérile, comme les fonctionnaires d’ailleurs, plus de deux heures qui devaient être utilisées à mon exercice professionnel, de façon urgente ce soir-là. Je précise qu’il était impératif que je reprenne mon véhicule compte tenu de la présence des documents qui s’y trouvaient. Ma charge de travail actuelle m’oblige à utiliser des amplitudes horaires importantes et cet incident a directement impacté le fonctionnement de mon cabinet. Je vous prie en conséquence de bien vouloir prendre les mesures nécessaires pour que cela ne se reproduise pas et prendre éventuellement les sanctions que vous jugerez utiles ».

 

Ces faits donnaient lieu au déclenchement d’une procédure pénale à l’encontre de Monsieur X que la procureure générale près la cour d’appel de xxxx transmettait le 7 juin 2019 pour compétence à son homologue de xxxxx. Deux auditions réalisées dans ce cadre étaient communiquées par Monsieur X au Conseil supérieur de la magistrature. Dans la première, le commissaire de police qui s’était déplacé évoquait un « comportement hautain », « méprisant avec tout le monde » sans pour autant avoir relevé de propos outrageants. Dans la seconde, un fonctionnaire de police présent ce soir-là indiquait que le comportement de Monsieur X était « méprisant à notre égard, il nous faisait comprendre sa supériorité » tout en ajoutant ne pas s’être senti outragé.

 

Le directeur départemental de la sécurité publique, entendu par l’inspection générale de la justice, précisait que « ces faits ont occasionné un certain émoi, surtout en ce qui concerne les agents de la police municipale et de la fourrière qui n’avaient pas l’habitude d’être traités de cette manière ».

 

Monsieur X indiquait quant à lui tant à l’inspection générale de la justice qu’au Conseil supérieur de la magistrature que l’enlèvement de son véhicule avait eu lieu alors qu’il avait fait halte à xxxx pour dîner avec une amie, tandis qu’il regagnait son domicile à l’issue d’une session de formation qu’il avait dispensée à  xxx. De ce fait, il analysait ce trajet comme un déplacement professionnel. Il ajoutait que des interpellations de grande ampleur étaient imminentes dans un dossier de son cabinet et que son véhicule contenait des documents essentiels en lien avec cette procédure. Il précisait qu’il ne lui avait pas été offert initialement de s’acquitter des frais permettant la restitution du véhicule, ce qui l’avait conduit à présenter sa carte professionnelle.

 

1.2.      Les manquements

 

1.2.1.   Sur les manquements aux devoirs d’intégrité, de probité, de délicatesse et d’atteinte au crédit et à l’image de l’institution judiciaire

 

Les faits reprochés à Monsieur X sont intervenus sur le trajet de retour d’une formation qu’il dispensait à xxx, alors qu’il s’était arrêté pour dîner avec une amie. Ce n’est donc pas dans le cadre de son activité juridictionnelle de magistrat instructeur que Monsieur X se trouvait, mais dans celui consécutif à une activité annexe d’enseignement. La présence éventuelle à l’intérieur du véhicule de notes de travail sur un dossier en cours, tout comme la possible imminence d’interpellations dans un dossier de son cabinet ne sauraient suffire à conférer une dimension juridictionnelle à l’épisode.

 

Les rapports circonstanciés et concordants rédigés par le commissaire de police, chef du service de commandement de nuit, et par le brigadier-chef principal de police municipale, tout comme les auditions de personnes présentes ce soir-là communiquées par Monsieur X, permettent d’établir que celui-ci, après avoir exigé l’ouverture de la fourrière fermée à son arrivée, a immédiatement employé un ton comminatoire, menaçant et méprisant à l’encontre de ses interlocuteurs, faisant état de sa qualité de magistrat, exhibant sa carte professionnelle et évoquant des sanctions imminentes, afin de récupérer son véhicule sans avoir à s’acquitter des frais de mise en fourrière. La teneur du courrier rédigé le jour même par Monsieur X à destination du directeur départemental de la sécurité publique, par le ton employé, la manière dont les faits sont rapportés et l’évocation de sanctions disciplinaires, conforte cette lecture.

 

Ainsi, en s’étant prévalu de sa qualité de magistrat et en ayant présenté sa carte professionnelle pour exiger la résolution à son avantage d’un litige privé, Monsieur X a manqué à ses devoirs d’intégrité et de probité.

 

De surcroit, par le ton comminatoire, menaçant et méprisant employé, Monsieur X a manqué à son devoir de délicatesse.

 

Enfin, par l’émoi provoqué à la suite de l’incident et souligné par le directeur départemental de la sécurité publique particulièrement auprès des services de la fourrière et de la police municipale, Monsieur X a porté atteinte à l’image de l’institution judiciaire.

 

1.2.2.   Sur le manquement au devoir de loyauté

 

Le devoir de loyauté des magistrats ne saurait être compris comme impliquant l’obligation de s’ouvrir auprès de leur chef de juridiction de litiges d’ordre privé.

 

Cependant, tel n’est pas le cas en l’espèce, le litige ayant impliqué des fonctionnaires de police, interlocuteurs quotidiens du tribunal, et ayant amené Monsieur X à écrire un courrier de récrimination à l’en-tête de sa juridiction au directeur départemental de la sécurité publique qui s’en est lui-même ouvert au procureur de la République.

 

Dès lors, en ne s’ouvrant pas de la situation auprès de son président, Monsieur X a manqué à son devoir de loyauté.

 

1.2.3.   Sur le manquement au devoir de prudence

 

Les magistrats sont régulièrement conduits à travailler hors de leur juridiction, et à emporter avec eux des pièces de procédure, des documents divers ou des ordinateurs portables. Dans ce cadre, il leur appartient de faire preuve de prudence afin d’éviter la disparition de documents sensibles voire couverts par le secret.

 

En l’espèce, Monsieur X indique avoir laissé dans son véhicule des notes relatives à un dossier en cours au sein de son cabinet. Cette circonstance est, à elle seule, insusceptible de caractériser un quelconque manquement au devoir de prudence, pour des documents dont l’existence et la nature ne sont d’ailleurs pas parfaitement établies.

 

Le manquement au devoir de prudence n’est donc pas caractérisé en l’espèce.

 

*   *   *

 

  1. SUR LES EPISODES DES 12 ET 13 SEPTEMBRE 2020

 

2.1.      Les faits

 

Par courriel du 14 septembre 2020, deux juges des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de xxxx informaient le président de la juridiction de la survenance de difficultés ayant perturbé le week-end des 12 et 13 septembre 2020 alors que Monsieur X était le magistrat instructeur de permanence. Le même jour, le procureur de la République adressait au président un rapport rédigé par la magistrate du parquet de permanence.

 

Il ressortait de ces éléments et des investigations réalisées par l’inspection générale de la justice que le samedi 12 septembre 2020, deux ouvertures d’information étaient programmées. Si la première procédure, arrivée dans la matinée, avait donné lieu à un interrogatoire de première comparution à 13h13, Monsieur X n’avait procédé à l’interrogatoire de première comparution dans la seconde procédure qu’à 18h52. Dans l’intervalle, et alors que selon son greffier « le second dossier n’était pas tout à fait prêt », il s’était absenté de la juridiction après avoir pris connaissance de la procédure et était allé disputer une partie de tennis. Monsieur X expliquait ce laps de temps entre les deux interrogatoires par des changements successifs de désignation d’avocat imputables à la personne déférée, sa partie de tennis n’ayant selon lui eu aucune incidence sur le délai d’attente. Il ajoutait qu’il avait pris la décision, dès la lecture du dossier, d’accorder au mis en cause le statut de témoin assisté, ce dont il avait fait informer le parquet et le juge des libertés et de la détention. Aussi, leur présence tardive dans la juridiction n’était selon lui pas de son fait. Entendu, l’un des juges des libertés et de la détention expliquait que son collègue de permanence le jour des faits avait effectivement fait état d’un changement d’avocat.

 

Le dimanche 13 septembre 2020, le parquet de xxxx requérait l’ouverture d’une information judiciaire impliquant cinq mis en cause pour des faits d’infractions à la législation sur les stupéfiants. Les magistrats et greffiers concernés avaient été prévenus la veille d’un défèrement pour 8h30. La procédure dématérialisée était accessible le dimanche matin dès 7h46, les cinq mis en cause avaient été conduits au dépôt à 8h30 et le parquet avait indiqué dans un mail de 9h42 que le réquisitoire introductif était prêt. Cependant, Monsieur X n’avait débuté les interrogatoires de première comparution qu’à 16h09, les présentations devant le juge des libertés et de la détention s’étant terminées, de ce fait, à 21h. Si certains intervenants faisaient état d’une arrivée du juge d’instruction au palais à 15h, celui-ci indiquait de son côté être arrivé entre 12h et 12h30 après avoir été prévenu par son greffier vers 11h30, son domicile étant situé à 45 minutes de xxxx. Il mettait en cause un manque structurel de circulation de l’information entre le parquet et l’instruction. Plusieurs magistrats instructeurs entendus par l’inspection générale de la justice confirmaient des difficultés de communication avec le parquet dans le cadre des permanences, un tableau ayant même été réalisé par leur service pour objectiver cette situation. 

 

2.2.      Les manquements

 

S’agissant des griefs relatifs à l’épisode du samedi 12 septembre 2020, le fait pour un magistrat de permanence de faire attendre l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale pendant plusieurs heures pour aller pratiquer une activité de loisir serait susceptible de constituer, s’il était caractérisé, un manquement aux devoirs de rigueur professionnelle et de délicatesse.

 

Cependant, les investigations réalisées ont permis d’accréditer la version de Monsieur X d’un changement inopiné d’avocat par un des mis en cause, et d’établir que la procédure n’était pas en état au moment où il a quitté la juridiction. Ces mêmes investigations n’ont pas apporté d’éléments suffisamment probants sur l’heure à laquelle l’interrogatoire de première comparution était en situation de débuter, l’avocat choisi par le mis en cause n’ayant pas été entendu.

 

S’agissant de l’épisode du dimanche 13 septembre 2020, l’heure réelle d’arrivée de Monsieur X n’est pas établie de façon incontestable. En outre, le manque de fluidité dans la circulation de l’information entre le parquet et le siège, s’agissant des présentations et son impact sur le bon fonctionnement de la chaine pénale attestés par plusieurs autres magistrats instructeurs du tribunal, peuvent expliquer une habitude d’arrivée tardive des magistrats instructeurs, que ceux-ci ont d’ailleurs admise.

 

En conséquence, les griefs relatifs à ces deux épisodes seront écartés.

 

*   *   *

 

  1. SUR LA FORMATION CONTINUE

 

Monsieur X n’a suivi aucune action de formation en 2015, une formation au sein du groupe Veolia courant octobre 2016 puis deux actions de formation continue déconcentrée de courte durée en 2017. Depuis lors, il n’est inscrit à aucune formation.

 

Il est donc établi que Monsieur X n’a pas satisfait à son obligation de formation continue. Cependant, pour regrettable que soit ce manquement à une obligation statutaire, aucun élément de son dossier n’établit une quelconque faiblesse d’ordre technique et de surcroit, aucune insuffisance professionnelle ne lui est reprochée. Il est enfin constant que celui-ci assure de nombreuses formations, notamment dans un cadre universitaire, ce qui est de nature à relativiser la gravité et les incidences du grief pour lequel il est poursuivi, la réalisation de ces formations lui permettant de se tenir à jour et de se perfectionner.

 

En conséquence, le grief sera écarté.

 

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  1. SUR LA SANCTION

 

Les évaluations professionnelles de Monsieur X font état de son professionnalisme en tant que magistrat instructeur. Elles soulignent ses qualités de compétence, de rigueur, d’organisation et de dévouement. Les éléments du dossier comprennent également de nombreux commentaires élogieux sur sa disponibilité et sa puissance de travail.

 

Pour autant, les faits commis par Monsieur X démontrent une grande confusion quant à l’étendue et aux limites de ses prérogatives de juge d’instruction et une perte de vue des impératifs s’imposant à tout magistrat dans sa vie sociale, son comportement ayant porté localement une atteinte certaine à l’image de la justice.  

 

Par ailleurs, tout au long de la procédure et jusqu’à l’audience devant le Conseil supérieur de la magistrature, Monsieur X a fait montre d’une absence totale de remise en cause, insistant sur son bon droit et présentant systématiquement les reproches qui lui étaient faits comme autant de tentatives de la part de ses interlocuteurs de détourner l’attention de fautes qui leur seraient imputables.

 

Ces éléments imposent qu’il soit prononcé à l’encontre de Monsieur X la sanction disciplinaire d’abaissement d’échelon assortie du déplacement d’office, sanctions prévues par les articles 45 2° et 4°, et 46, alinéa 2, de l’ordonnance du 22 décembre 1958, modifiée, portant loi organique relative au statut des magistrats.

 

 

PAR CES MOTIFS,

 

 

Le Conseil,

Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de M. Olivier Schrameck, rapporteur ;

Statuant en audience publique, le 15 juin 2022 pour les débats et le 7 juillet 2022, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

PRONONCE à l’encontre de Monsieur X la sanction disciplinaire d’abaissement d’échelon assortie du déplacement d’office.

La présente décision sera notifiée à Monsieur X par la voie hiérarchique ainsi qu’à Me A et Me B, avocats au barreau de xxxx, ses conseils.

Une copie sera adressée à Monsieur le garde des Sceaux, ministre de la justice.

 

 

 

Le secrétaire général adjoint

 

 

Jean-Baptiste Crabières

Le président

 

 

Didier Guérin