Le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
09/07/2020
Qualification(s) disciplinaire(s)
Atteinte à l'image et à l'autorité de la justice, Manquement à l'honneur et la dignité, Manquement aux devoirs de l'état de magistrat
Décision
Rétrogradation assortie du déplacement d'office
Mots-clés
Honneur
Dignité
Condamnation pénale
Violences
Vie privée
Presse
atteinte à l’image de l’institution judiciaire
autorité de l’institution judiciaire
erreur d’appréciation
Rétrogradation
déplacement d’office
Fonction
vice-président chargé de l'application des peines
Résumé
Les faits de violences commis par un magistrat sur la personne de son épouse, dont la matérialité a été constatée et établie dans une décision de justice à laquelle s’attache l’autorité de la chose jugée, constituent un manquement à l’honneur et sont incompatibles avec l’exigence de dignité qui s’impose en toutes circonstances à un magistrat, lequel doit, y compris dans sa vie privée, veiller au respect des devoirs de son état. En outre, dès lors que les faits commis ont donné lieu à une mesure de garde à vue, suivie d’une convocation par procès-verbal et d’un jugement en audience publique, lequel a fait l’objet de plusieurs publications dans la presse, ils ont nécessairement porté atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer aux justiciables et par là-même à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire.

CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

Conseil de discipline des magistrats du siège

DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE

 

Dans la procédure mettant en cause :

M. X

Vice-président chargé de l’application des peines au tribunal judiciaire de xxxxx,

 

Poursuivi par la garde des Sceaux, ministre de la justice, suivant saisine du 7 août 2019, reçue le 8 août 2019,

 

Le Conseil supérieur de la magistrature,

Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,

 

Sous la présidence de Mme Chantal Arens, Première présidente de la Cour de cassation, présidente de la formation,

 

En présence de :

Mme Sandrine Clavel,

M. Yves Saint-Geours,

Mme Natalie Fricero,

Mme Hélène Pauliat,

M. Georges Bergougnous,

M. Frank Natali,

M. Olivier Schrameck,

M. Didier Guérin,

M. Régis Vanhasbrouck,

M. Benoît Giraud,

Mme Virginie Duval,

M. Benoist Hurel,

M. Cédric Cabut,

Membres du Conseil, siégeant,

 

Assistés de Mme Pauline Jolivet, secrétaire générale adjointe du Conseil supérieur de la magistrature,

 

Vu l’article 65 de la Constitution ;

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

Vu l’acte de saisine de la garde des Sceaux, ministre de la justice, du 7 août 2019 ainsi que les pièces jointes à cette saisine ;

Vu l’ordonnance du 16 septembre 2019 désignant Mme Fricero, membre du Conseil, en qualité de rapporteur ;

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de son conseil ;

Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;

Vu la convocation notifiée à M. X le 17 juin 2020 ;

Vu la convocation adressée le 15 juin 2020 à M. A, président de chambre honoraire, désigné par M. X pour l’assister ;

 

Les débats s’étant déroulés en audience publique, à la Cour de cassation, le mercredi 24 juin 2020 ;

 

Après avoir entendu :

- le rapport de Mme Natalie Fricero ;

- les observations de M. Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires, assisté de Mme Joanna Garreau, magistrate à la direction des services judiciaires, qui a demandé la rétrogradation assortie du déplacement d’office de M. X ;

- les explications et moyens de défense de M. X et de M. A, M. X ayant eu la parole en dernier ;

 

A rendu la présente

DÉCISION

 

L’acte de saisine de la garde des Sceaux relève à l’encontre de M. X un manquement à la dignité, à l’honneur et aux devoirs de son état pour avoir adopté à l’encontre de son épouse un comportement ayant donné lieu à des poursuites pour des faits de violences sur conjoint et avoir eu à l’égard de celle-ci une attitude outrageante et violente ayant entraîné l’intervention des services de police en pleine nuit à son domicile, le transport de son épouse à l’hôpital, son placement en garde à vue et sous contrôle judiciaire jusqu’à sa comparution devant le tribunal correctionnel de xxxxx le 25 septembre 2019.

La garde des Sceaux relève également qu’un tel comportement porte atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer aux justiciables et par là-même à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire.

 

Aux termes du premier alinéa de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée : « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».

Il résulte des éléments figurant au dossier de la procédure disciplinaire que par arrêt du 26 mars 2020, la cour d’appel de xxxxx a confirmé la déclaration de culpabilité de M. X pour des faits de violences volontaires n’ayant pas entraîné d’incapacité de travail sur la personne de son épouse, avec la circonstance que les faits ont été commis en présence de ses enfants mineurs et l’a condamné à la peine de trois mois d’emprisonnement avec sursis. Il résulte des décisions rendues que la victime n’était pas présente lors des audiences.

La matérialité des faits constatés par cet arrêt, à laquelle s’attache l’autorité de la chose jugée, est donc établie.

Ces faits constituent un manquement à l’honneur et sont incompatibles avec l’exigence de dignité qui s’impose en toutes circonstances à un magistrat, lequel doit, y compris dans sa vie privée, veiller au respect des devoirs de son état.

A l’audience, M. X a indiqué qu’il ne contestait pas la décision pénale mais qu’il ne pouvait expliquer l’enchainement qui avait abouti à cette condamnation. Il a précisé qu’il était malade et très fatigué ce jour-là et que les faits avaient été exagérés par son épouse, ce dont la cour d’appel avait tenu compte.

Il convient de relever que ces violences ont impliqué l’intervention des forces de police au domicile de M. X son placement en garde à vue au commissariat de xxxxx, ville où il exerçait les fonctions de vice-président au tribunal de grande instance, avant que la procédure ne soit transférée au parquet de xxxxx en application des dispositions de l’article 43 du code de procédure pénale. Les magistrats et fonctionnaires du tribunal de xxxxx ont été informés de ces événements par leur hiérarchie. Par ailleurs, le 4 octobre 2019, deux articles ont été publiés dans la presse locale mentionnant la condamnation de M. X par le tribunal correctionnel de xxxxx.

Lors de sa comparution devant le conseil de discipline, M. X a indiqué avoir conscience que cette affaire avait pu avoir un retentissement au sein de la juridiction et des services de police locaux. Il estime que l’impact médiatique a été provoqué par des personnes mal intentionnées, sans toutefois apporter d’éléments au soutien de cette affirmation. Il reconnait que sa condamnation pour violences conjugales rend difficile désormais qu’il exerce un certain nombre de fonctions comme celles de juge en audience correctionnelle, juge aux affaires familiales ou juge de l’application des peines. 

Dès lors que les faits commis ont donné lieu à une mesure de garde à vue, suivie d’une convocation par procès-verbal et d’un jugement en audience publique, lequel a fait l’objet de plusieurs publications dans la presse, ils ont nécessairement porté atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer aux justiciables et par là-même à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire.

Quelle que soit l’appréciation qui a pu être faite des qualités professionnelles de M. X, la gravité des manquements retenus à son encontre alors qu’il a rejoint en janvier 2018 le tribunal de xxxxx en réalisant son avancement au premier grade en qualité de vice-président chargé de l’application des peines justifie que soit prononcée, à son encontre, une mesure de rétrogradation prévue au 5° de l'article 45 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 précitée.

Au regard de la circonstance que les manquements ont été commis dans le ressort où il exerçait, qui rend inenvisageable qu’il puisse y poursuivre son exercice professionnel, cette sanction sera assortie du déplacement d’office en application des dispositions du deuxième alinéa de l’article 46 de la même ordonnance.

 

PAR CES MOTIFS,

 

Le Conseil,

Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de Mme Fricero, rapporteur ;

Statuant en audience publique, le 24 juin 2020 pour les débats et le 9 juillet 2020, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

PRONONCE à l’encontre de M. X la sanction disciplinaire de rétrogradation assortie d’un déplacement d’office.

 

La présente décision sera notifiée à M. X.

Une copie sera adressée à Monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice.

 

 

La secrétaire générale adjointe

 

 

Pauline Jolivet

La Présidente

 

 

Chantal Arens