Le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
19/07/2017
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des supérieurs hiérarchiques, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des collègues, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des tiers, Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Révocation
Mots-clés
Dignité
Image de la justice
Alcool
crédibilité de l'institution judiciaire
Délicatesse
Fonction
Vice-président
Résumé
Les comportements constatés du magistrat poursuivi caractérisent des manquements aux devoirs de dignité et de délicatesse d'autant plus graves qu'ils ont été commis sur une période longue et qu'ils se sont poursuivis alors qu'un avertissement lui avait été adressé par son chef de cour et qu'ils ont porté atteinte à l'image de la justice et à sa crédibilité auprès de ses collègues et des fonctionnaires de la juridiction, comme auprès d'avocats présents lors de l'un de ces incidents.

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CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

Conseil de discipline des magistrats du siège

                ____

 

Le 19 juillet 2017

       M. X                                               

 

DÉCISION

Le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,

Sous la présidence de M. Bertrand Louvel, premier président de la Cour de cassation, président de la formation,

En présence de :

M. Jean Danet,

Mme Soraya Amrani-Mekki,

M. Georges-Eric Touchard,

Mme Dominique Pouyaud,

Mme Evelyne Serverin,

M. Guillaume Tusseau,

Mme Paule Aboudaram,

Mme Chantal Bussière,

M. Eric Maréchal,

M. Christophe Regnard, M. Alain Vogelweith,

Membres du Conseil,

Assistés de M. Daniel Barlow, secrétaire général ;

Vu l'article 65 de la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 50 et 50-5 ;

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

Vu l'acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la justice, du 26 juillet 2016 dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires contre M. X, vice-président au tribunal de grande instance d'xxxxx, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu l'ordonnance du 8 septembre 2016 désignant M. Guillaume Tusseau en qualité de rapporteur ;

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, mis préalablement à sa disposition, ainsi qu'à celle de ses conseils ;

Vu l'ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;

Vu la convocation adressée à M. X le 15 juin 2017 et sa notification du 21 juin 2017 ;

Vu les convocations adressées à MM. A et B, avocats au barreau de xxxxx, ainsi qu'à M. C, avocat au barreau de xxxxx, le 15 juin 2017 ;

 

Le président de la formation ayant rappelé les termes de l'article 57 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels : « L'audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l'ordre public ou de la vie privée l'exigent, ou s'il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l'accès de la salle d'audience peut être interdit au public pendant la totalité ou une partie de l'audience, au besoin d'office, par le conseil de discipline » ;

M. X, comparant, n'ayant formulé aucune demande en ce sens ;

Le rapporteur ayant présenté son rapport, préalablement communiqué aux parties, qui ont acquiescé à ce qu'il ne soit pas lu intégralement ;

Après avoir entendu :

         - M. Ludovic André, sous-directeur des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires du ministère de la justice, assisté de Mme Virginie Tilmont, adjointe au chef du bureau du statut et de la déontologie du ministère de la justice, en ses observations tendant à la révocation de M. X ;

          - M. X, assisté de M. A et de M. B, avocats au barreau de xxxxx, en ses explications et moyens de défense ;

          - Maître A en sa plaidoirie ;

M. X ayant eu la parole en dernier ;

L'affaire ayant été mise en délibéré, avis ayant été donné que la décision serait rendue le 19 juillet 2017, à 14 heures 30, par mise à disposition au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

 

Attendu qu'aux termes de l'article 43 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée, tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ;

 

Attendu qu'en l'espèce, le garde des Sceaux reproche à M. X des manquements aux devoirs de son état de magistrat, et plus particulièrement aux devoirs de délicatesse et de dignité, pour avoir, alors qu'il se trouvait en état d'ivresse manifeste :

- le 15 août 2014, commis des outrages accompagnés de violences et de menaces sur des personnes dépositaires de l'autorité publique, en se prévalant de sa qualité de magistrat ;

- le 2 avril 2016, insulté un contrôleur de la SNCF, en faisant état de sa qualité de magistrat, et perturbé la tranquillité des voyageurs d'un train par des propos orduriers ;

Qu'il lui est en outre reproché de s'être présenté en état d'ébriété sur son lieu de travail, quelques jours après ces derniers faits, et d'avoir adopté à l'égard de ses collègues et des fonctionnaires de la juridiction un comportement inadapté ;

Que la saisine du garde des Sceaux retient enfin des menaces adressées par M. X à son ex-compagne, en août 2015, dans un contexte de séparation conflictuelle ;

Attendu que les faits ainsi relevés sont avérés ; qu'ils ont, pour certains, donné lieu à des condamnations pénales, devenues définitives ;

Que, si M. X conteste s'être présenté sur son lieu de travail en état d'ébriété, le caractère inadapté de son attitude lors de l'épisode relevé par l'acte de saisine est établi au regard des témoignages recueillis ; que M. X reconnaît les autres faits, dont il ne minimise en rien la portée ;

Qu'il est en outre établi qu'il a, postérieurement à la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par le garde des Sceaux, adressé à l'un de ses collègues un SMS contenant des menaces et des insultes dirigées contre l'intéressé et les chefs de juridiction, à l'occasion d'un nouvel épisode d'alcoolisation ;

Attendu que les comportements ainsi mis en exergue caractérisent des manquements aux devoirs de dignité et de délicatesse d'autant plus graves qu'ils ont été commis sur une période longue et qu'ils se sont poursuivis alors qu'un avertissement avait été adressé à M. X par son chef de cour en juin 2015 ;

Qu'ayant eu, pour certains, un retentissement médiatique, ils ont porté atteinte à l'image de la justice ;

Qu'ils ont en outre porté atteinte à la crédibilité de M. X auprès de ses collègues et des fonctionnaires de la juridiction d'xxxxx, comme auprès d'avocats présents lors de l'un de ces incidents ;

Attendu que, s'ils présentent une composante médicale, celle-ci n'apparaît pas de nature à atténuer la responsabilité de M. X ;

Qu'en dépit des démarches thérapeutiques qu'il a engagées, ce dernier n'apparaît manifestement pas en capacité de reprendre ses activités de magistrat, tant au plan personnel qu'au regard des nécessités propres au fonctionnement de la juridiction et aux exigences liées à l'image de la justice ;

Qu'au demeurant, un sevrage, à le supposer définitif, ne saurait effacer la gravité des manquements constatés ;

Que M. X demeure sous le coup d'une condamnation pénale avec sursis et mise à l'épreuve qui, quoique non-inscrite au bulletin n° 2 de son casier judiciaire, apparaît difficilement compatible avec l'exercice de fonctions juridictionnelles ;

Qu'ainsi, malgré la conscience qu'il manifeste de sa situation, son repentir sincère et les efforts qu'il a engagés en vue d'une amélioration de son état, la nature et la gravité des manquements constatés ne permettent pas d'envisager la poursuite de sa carrière de magistrat par M. X et justifient le prononcé de sa révocation en application du 7° de l'article 45 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée ;

PAR CES MOTIFS,

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de M. Guillaume Tusseau, rapporteur,

Statuant en audience publique, le 5 juillet 2017 pour les débats et le 19 juillet 2017 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Prononce la révocation de M. X, en application du 7° de l'article 45 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée ;

Dit qu'une copie de la présente décision sera adressée au premier président de la cour d'appel de xxxxx, aux fins de notification.