Conseil d’État, section du contentieux, 6ème sous-section, requêtes n°384543 et 384544

Date
09/01/2015
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des tiers, Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice), Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat, Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge)
Décision
Non-admission du pourvoi
Mots-clés
Huis-clos
Procès équitable
Poursuites disciplinaires (droits de la défense)
Poursuites disciplinaires (motivation de la décision)
Poursuites disciplinaires (présomption d'innocence)
Poursuites disciplinaires (accès à un tribunal indépendant et impartial garanti)
Fonction
Juge au tribunal de grande instance
Résumé
Requête en annulation de la décision du CSM aux motifs allégués de plusieurs violations de règles de procédure, moyens n'étant pas de nature à permettre l'admission du pourvoi devant le Conseil d'État.

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 6eme sous-section)

Séance du 18 décembre 2014
Lecture du 9 janvier 2015

Vu 1°, sous le n° 384543, le pourvoi, enregistré le 17 septembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour M. X, demeurant xxxxx ; M. X demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision du 24 juillet 2014 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire d'admission à cesser ses fonctions ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
il soutient que :
- le Conseil supérieur de la magistrature a entaché sa décision d'un vice de procédure en refusant d'accorder le huis-clos ;
- la décision attaquée a été prise en méconnaissance du droit à un procès équitable, du principe du contradictoire et des droits de la défense garantis par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'il n'a pas pu accéder aux moyens nécessaires pour la préparation de sa défense ;
- le Conseil supérieur de la magistrature a entaché sa décision de contradiction de motifs en relevant simultanément que le dossier disciplinaire n'était constitué d'aucune pièce de la procédure pénale et qu'un arrêt de la chambre de l'instruction avait été versé à la procédure ;
- la décision attaquée a été prise en violation du principe de la présomption d'innocence ;
- cette décision a été prise en méconnaissance du droit d'accès à un tribunal indépendant et impartial garanti par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le Conseil supérieur de la magistrature a commis une erreur de droit en se fondant sur les dispositions de l'alinéa premier de l'article 43, l'alinéa premier de l'article 45 et l'article 46 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, qui sont contraires à la Constitution ;
- le Conseil supérieur de la magistrature a entaché sa décision d'erreur de droit en prononçant une sanction disciplinaire pour des faits en rapport avec son état pathologique, alors que le caractère fautif doit être écarté dès lors qu'un lien existe entre le comportement de l'intéressé et son état de santé ;
- en lui infligeant la sanction contestée, inadéquate et disproportionnée, le Conseil supérieur de la magistrature a entaché sa décision d'une erreur de qualification juridique ;
Vu la décision attaquée ;
Vu le mémoire enregistré le 17 septembre 2014, présenté pour M. X, en application des articles R. 771-9 et R. 771-16 du code de justice administrative ; M. X conteste le refus qui lui a été opposé, par décision du 9 juillet 2014 du Conseil supérieur de la magistrature, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du premier alinéa de l'article 43, du premier alinéa de l'article 45 et de l'article 46 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ; il soutient que :
- le Conseil supérieur de la magistrature a entaché sa décision d'insuffisance de motivation en n'exposant pas les raisons pour lesquelles il a estimé que les dispositions initiales de la loi organique, qui font l'objet de la question prioritaire de constitutionnalité, devaient être regardées comme ayant été nécessairement déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ;
- en relevant que les dispositions contestées avaient été nécessairement déclarées conformes à. la Constitution par le Conseil constitutionnel à l'occasion de la validation des modifications apportées à ces articles par des lois organiques postérieures, alors même que le contrôle du juge constitutionnel ne peut porter que sur les dispositions dont il est expressément saisi, le Conseil supérieur de la magistrature a commis une erreur de droit ;
- le Conseil supérieur de la magistrature a commis une autre erreur de droit en estimant que cette question prioritaire de constitutionnalité était dépourvue de caractère sérieux, alors, en premier lieu, que les dispositions mentionnées ci-dessus permettent qu'une sanction disciplinaire soit prononcée sans que le caractère intentionnel de la faute disciplinaire soit établi, sans prendre en compte la cause d'atténuation ou d'absence de responsabilité résultant de l'altération ou de l'abolition du discernement et sans que les faits qui donnent également lieu à des poursuites pénales aient été préalablement établis par une décision pénale antérieure et définitive, en. deuxième lieu, qu'elles ne définissent pas les éléments constitutifs de la faute disciplinaire, enfin qu'elles permettent qu'une sanction disciplinaire d'éviction du service soit prononcée alors même qu'une sanction pénale n'a pas encore été prise, et, lorsqu'une sanction pénale est encourue à raison des mêmes faits, sans que soit assuré le respect du principe de proportionnalité des peines ;
Vu 2°, sous le n° 384544, la requête, enregistrée le 17 septembre au secrétariat
du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. X, demeurant xxxxx ; M. X demande au Conseil d'Etat :

magistrats du siège, a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire d'admission à cesser ses fonctions ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
il soutient que cette décision de sanction emporte pour lui des conséquences difficilement réparables, notamment financières, en l'écartant du service et en le privant de son emploi ; que les moyens qu'il invoque sont sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation de cette décision, l'infirmation de la solution retenue par le Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 décembre 2014, présenté par le garde des sceaux, ministre de la justice, qui tend au rejet de la requête ; il soutient qu'aucune des
conditions prévues à R. 821-5 du code de justice administrative n'est remplie ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Mireille Le Corre, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me A, avocat de M. X ;
1. Considérant que le pourvoi en cassation et la requête à fin de sursis à exécution présentés pour M. X sont dirigés contre la même décision ; qu'il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision ;
Sur le pourvoi :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : « Le pourvoi en cassation devant le Conseil d 'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux. » ; qu'aux termes de l'article R. 771-9 du même code : « La décision qui statue sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité est notifiée aux parties (...). / La notification d'une décision de refus de

transmission mentionne que cette décision ne peut être contestée qu'à l'occasion d'un recours formé contre la décision qui règle tout ou partie du litige. Elle mentionne aussi que cette contestation devra faire l'objet d'un mémoire distinct et motivé, accompagné d'une copie de la décision de refus de transmission. » ; qu'aux termes de l'article R. 771-16 du même code : « Lorsque l'une des parties entend contester devant le Conseil d'Etat, à l'appui d'un appel ou d'un pourvoi en cassation formé contre la décision qui règle tout ou partie du litige, le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité précédemment opposé, il lui appartient, à peine d'irrecevabilité, de présenter cette contestation avant l'expiration du délai de recours dans un mémoire distinct et motivé, accompagné d'une copie de la décision de refus de transmission. (...) » ;
3. Considérant que, sous le même numéro 384543, M. X se pourvoit en cassation contre la décision du 24 juillet 2014 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire d'admission à cesser ses fonctions et conteste, à l'occasion de ce pourvoi, la décision du 9 juillet 2014 par laquelle la même formation de jugement a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du premier alinéa de l'article 43, du premier alinéa de l'article 45 et de l'article 46 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
4. Considérant, d'une part, que pour demander l'annulation de la décision par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions mentionnées au point 3, M. X soutient que le Conseil supérieur de la magistrature a entaché sa décision d'insuffisance de motivation en n'exposant pas les raisons pour lesquelles il a estimé que les dispositions initiales de la loi organique, qui font l'objet de la question prioritaire de constitutionnalité, devaient être regardées comme ayant été nécessairement déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; qu'en relevant que les dispositions contestées avaient été nécessairement déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel à l'occasion de la validation des modifications apportées à ces articles par des lois organiques postérieures, alors même que le contrôle du juge constitutionnel ne peut porter que sur les dispositions dont il est expressément saisi, le Conseil supérieur de la magistrature a commis une erreur de droit ; qu'il a commis une autre erreur de droit en jugeant que cette question prioritaire de constitutionnalité était dépourvue de caractère sérieux, alors, en premier lieu, que les dispositions mentionnées ci-dessus permettent qu'une sanction disciplinaire soit prononcée sans que le caractère intentionnel de la faute disciplinaire soit établi, sans prendre en compte la cause d'atténuation ou d'absence de responsabilité résultant de l'altération ou de l'abolition du discernement et sans que les faits qui donnent également lieu à des poursuites pénales aient été préalablement établis par une décision
pénale antérieure et définitive, en deuxième lieu, qu'elles ne définissent pas les éléments constitutifs de la faute disciplinaire, enfin qu'elles permettent qu'une sanction disciplinaire d'éviction du service soit prononcée alors même qu'une sanction pénale n'a pas encore été prise, et, lorsqu'une sanction pénale est encourue à raison des mêmes faits, sans que soit assuré le respect du principe de proportionnalité des peines ;
5. Considérant, d'autre part, que pour demander l'annulation de la décision du 24 juillet 2014 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire d'admission à cesser ses fonctions, M. X soutient que le Conseil supérieur de la magistrature a entaché sa décision d'un vice de procédure en refusant d'accorder le huis-clos ; que la décision attaquée a été prise en méconnaissance du droit à un procès équitable, du principe

du contradictoire et des droits de la défense garantis par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'il n'a pas pu accéder aux moyens nécessaires pour la préparation de sa défense ; que le Conseil supérieur de la magistrature a entaché sa décision de contradiction de motifs en relevant simultanément que le dossier disciplinaire n'était constitué d'aucune pièce de la procédure pénale et qu'un arrêt de la chambre de l'instruction avait été versé à la procédure ; que la décision attaquée a été prise en violation du principe de la présomption d'innocence ; que cette décision a été prise en méconnaissance du droit d'accès à un tribunal indépendant et impartial garanti par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le Conseil supérieur de la magistrature a commis une erreur de droit en se fondant sur les dispositions de l'alinéa premier de l'article 43, l'alinéa premier de l'article 45 et l'article 46 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, qui sont contraires à la Constitution ; que le Conseil supérieur de la magistrature a entaché sa décision d'erreur de droit en prononçant une sanction disciplinaire pour des faits en rapport avec son état pathologique, alors que le caractère fautif doit être écarté dès lors qu'un lien existe entre le comportement de l'intéressé et son état de santé ; qu'en lui infligeant la sanction contestée, inadéquate et disproportionnée, le Conseil supérieur de la magistrature a entaché sa décision d'une erreur de qualification juridique ;
6. Considérant qu'aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Sur la requête à fin de sursis à exécution :
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le pourvoi formé par M. X contre la décision du 24 juillet 2014 du Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, n'est pas admis ; que, par suite, les conclusions à fin de sursis à exécution de cette décision sont devenues sans objet ;
DECIDE:
Article l' : Le pourvoi n° 384543 de M. X n'est pas admis.
Article 2 : II n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 384544.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. X.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la garde des sceaux, ministre de la justice.