Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
11/07/2013
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des justiciables, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des tiers, Manquement au devoir de légalité (obligation de diligence), Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat, Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Interdiction d'exercer des fonctions à juge unique pendant 2 ans
Déplacement d'office
Mots-clés
Délibéré
Délicatesse
Déplacement d'office
Dette
Dignité
Diligence
Enquête administrative (IGSJ)
Etat de magistrat
Greffe
Interdiction temporaire de l'exercice des fonctions
Institution judiciaire (confiance)
Juge
Négligence
Poursuites disciplinaires (droits de la défense)
Retard
Fonction
Juge au tribunal de grande instance
Résumé
Il est reproché au magistrat, juge au tribunal de grande instance, une activité professionnelle caractérisée par des retards constants et importants, l'absence systématique d'avis aux parties mentionnant une nouvelle date en cas de prorogation de délibérés, l'inexactitude des dates de prononcé de certains jugements et une situation financière problématique (griefs caractérisés)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par le garde des sceaux, contre Mme X, juge au tribunal de grande instance de xxxxx, sous la présidence de M. Daniel Ludet, Conseiller à la Cour de cassation, suppléant M. Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation, président de la formation (…)

Vu les articles 43 à 58 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu l’article 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu l'acte de saisine du garde des sceaux, en date 30 juin 2011, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l'encontre de Mme X, juge au tribunal de grande instance de xxxxx, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu l'ordonnance du 7 juillet 2011 désignant Mme Catherine Vandier en qualité de rapporteur ;

Vu le rapport de Mme Catherine Vandier du 17 avril 2013, dont Mme X a reçu copie ;

Vu les conclusions de nullité déposées le jour de l’audience ;

Vu le rappel, par M. le Président, des termes de l'article 57 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels : «L’audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l'ordre public ou de la vie privée l'exigent, ou s'il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l'accès de la salle d'audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l'audience, au besoin d'office, par le conseil de discipline » et l'absence de demande spécifique formulée en ce sens par Mme X, conduisant à tenir l'audience publiquement ;

Attendu qu’à l’ouverture des débats, Mme X, assistée de M. B, juge d’instruction au tribunal de grande instance de xxxxx assurant la défense de Mme X, a déposé des conclusions de nullité ; que ces conclusions versées à la procédure le jour de l’audience, tendent à :

- annuler les procès-verbaux des auditions de Mme X réalisées par l’Inspection générale des services judiciaires les 15 et 16 mars 2011 ;

- subséquemment, annuler, en ce qu’ils se réfèrent au contenu desdits procès-verbaux, le procès-verbal de l’audition de Mme X réalisée le 12 septembre 2012 par Mme le Conseiller rapporteur ainsi que le rapport de cette dernière en date du 17 avril 2013 ;

- subsidiairement, écarter des débats les procès-verbaux des auditions de Mme X réalisées par l’Inspection générale des services judiciaires les 15 et 16 mars 2011 et les éléments se référant à ces procès-verbaux contenus dans le procès-verbal de l’audition de Mme X réalisée le 12 septembre 2012 par Mme le Conseiller rapporteur ainsi que dans le rapport de cette dernière en date du 17 avril 2013 ;

Que M. B a développé les moyens à l’appui de ces conclusions ; qu’après avoir entendu M. Jean-François Beynel, directeur des services judiciaires, assisté de Mme Emmanuelle Masson, magistrate à cette direction, M. B, puis, Mme X, ayant eu la parole en dernier, le Conseil en a délibéré et a décidé de joindre ces demandes au fond ;

Qu’à la reprise des débats, après avoir entendu Mme Vandier en son rapport, les parties ayant accepté qu’il ne soit pas intégralement lu, Mme X assistée de M. B en ses explications et moyens de défense, M. Beynel en ses observations tendant au prononcé d’une mesure d’interdiction d’être nommé ou désigné dans des fonctions de juge unique et/ou de déplacement d’office et précisant que sa priorité était donnée à cette dernière sanction, les observations de M. B, Mme X ayant eu la parole en dernier, le Conseil en a délibéré ;

***
- Sur la procédure

Attendu qu’à l’appui des conclusions aux fins de nullité, il est soutenu que Mme X, qui rencontrait des problèmes de santé, a été entendue les 15 et 16 mars 2011, dans des conditions qui violent le principe du contradictoire et les droits de la défense, en raison, d’une part, des circonstances de l’audition « incompatibles tant avec la dignité la plus élémentaire qu’avec la délicatesse minimale qui doit s’attacher au recueil des explications d’une personne mise en cause », d’autre part, de l’impossibilité pour Mme X de préparer utilement ses auditions du fait de l’absence de délivrance, malgré sa demande, d’une copie des pièces de l’enquête et, enfin, de l’absence d’assistance de son conseil durant les auditions effectuées par les inspecteurs des services judiciaires ;

Attendu qu’il résulte des pièces de la procédure que le 12 janvier 2011, Mme X a reçu notification de la lettre de mission, en date du 7 décembre 2010, du directeur du cabinet du garde des sceaux à l’inspecteur général des services judiciaires, de même qu’elle a pris connaissance des termes du rapport que le premier président de la cour d’appel de xxxxx a adressé, le 30 septembre 2010, au garde des sceaux et des pièces qui y étaient annexées ; que, le même jour, Mme X a demandé, sans qu’une réponse favorable ne lui ait été donnée, à être assistée par un membre d’un syndicat de magistrats qui s’était présenté avec elle dans les services de l’inspection ; qu’elle n’a, en conséquence, fait aucune déclaration à cette occasion ;

Attendu que selon procès-verbal versé à la procédure, Mme X a pris connaissance des pièces de la procédure dans les locaux de l’inspection générale des services judiciaires le mardi 1er mars 2011 de 9H30 à 18H30 et le mercredi 2 mars 2011 de 9H15 à 12H15 ; qu’à cette occasion, les inspecteurs des services judiciaires lui ont rappelé les « principes (…) qui régissent les enquêtes administratives :

-qu’elle ne peut bénéficier d’une assistance tant lors de la consultation des éléments recueillis par la mission que lors de son audition dès lors que celles-ci ne s’inscrivent pas dans le cadre d’une procédure disciplinaire ;

-qu’elle conserve la possibilité de ne pas s’expliquer sur le fond de l’affaire ;
-qu’elle aura la faculté, dans un délai compatible avec la saisine éventuelle du Conseil supérieur de la magistrature, de (…) faire parvenir toutes informations précisions ou observations complémentaires et de demander toutes investigations qu’ (elle) souhaitera utiles, la mission se réservant cependant la possibilité de refuser les nouvelles investigations si elle les estime dépourvues d’intérêt pour le bon déroulement de l’enquête » ;

Attendu qu’il résulte des pièces de la procédure que Mme X a été entendue par les services de l’inspection générale des services judiciaires le 15 mars 2011 de 13H50 à 17H00 puis de 17H30 à 19H10 et qu’elle a signé le procès-verbal à 20H10 ; que son audition a repris le 16 mars 2011 de 9H30 à 11H10, de 11H40 à 13H15, de 14H10 à 17H25, puis de 17H35 à 21H00, le procès-verbal étant signé à 22H10, après que Mme X a été informée de la « possibilité de (…) faire parvenir, dans un délai de quinze jours, toutes informations, précisions ou observations complémentaires et demander, dans le même délai, toutes investigations qui lui paraîtraient utiles » ;

Attendu qu’il est constant que Mme X a pu consulter les pièces de la procédure avant d’être entendue par la mission, l’ensemble du dossier ayant été laissé à sa disposition pendant tout le temps de son audition et qu’elle a souscrit à ce que ses déclarations soient consignées par procès-verbal ; que, postérieurement à son audition, Mme X a, le 30 mars 2011, sollicité des investigations complémentaires ; qu’en outre, et selon les explications données par le Directeur des services judiciaires lors de l’audience, l’audition tardive de Mme X le 16 mars 2011 s’explique par la demande de l’intéressée de ne pas être contrainte de demeurer à Paris le 17 mars 2011, jour où son mari devait être hospitalisé au centre hospitalier de xxxxx ;

Attendu qu’il résulte également des pièces du dossier que, dès la saisine du Conseil supérieur de la magistrature, l’intégralité des pièces de la procédure ont été communiquées à Mme X, qui a été en mesure, au cours de l’enquête diligentée par le rapporteur comme à l’audience du Conseil, de bénéficier d’une assistance et de présenter toutes observations qu’elle estimait utiles ;

Attendu cependant que pour apprécier le respect des droits de la défense et du principe du contradictoire, il y a lieu de s’attacher non seulement aux droits qui sont accordés au magistrat poursuivi postérieurement à la saisine du Conseil supérieur de la magistrature mais aussi, compte tenu de son rôle déterminant dans le recueil des éléments de fait susceptibles de justifier une poursuite disciplinaire, aux conditions dans lesquelles l’inspection générale des services judiciaires, lorsqu’elle est saisie à cet effet par le garde des sceaux, conduit, antérieurement à la saisine du conseil par ce dernier, les auditions du magistrat lors de l’enquête administrative à laquelle elle procède et permet au magistrat de les préparer ;

Attendu d’une part que Mme X n'a pas pu obtenir, en entier ou pour partie, copie des 11 volumes de la procédure qui comportait, selon l’inventaire figurant à l’annexe 5.2. du rapport de l’inspection générale des services judiciaires, des éléments relatifs à la saisine de l’inspection générale et à la situation professionnelle de Mme X depuis 1995, son dossier administratif, 28 comptes rendus d’entretiens et procès-verbaux d’audition de magistrats, avocats ou fonctionnaires, de nombreuses copies d’ordonnances et de jugements, des copies d’ordonnances de roulement, des statistiques sur la période 2002 à 2010 et des éléments sur sa situation personnelle, ce qui lui a imposé de consulter la procédure durant 10 heures sur une journée et demie les 1er et 2 mars 2011 dans les locaux de l’inspection générale des services judiciaires ;

Attendu d’autre part que l’audition de Mme X les 15 et 16 mars 2011, réalisée sur une journée et demie, a duré 14 heures et 45 minutes ; qu’en particulier l’audition du 16 mars après midi a duré (relecture du procès-verbal compris) 7H50 avec une seule pause de 10 minutes et que si Mme X a pu solliciter la poursuite de l’entretien car elle souhaitait rejoindre rapidement xxxxx en raison de l’hospitalisation de son époux, rien n’empêchait l’inspection des services judiciaires de prévoir un troisième jour d’audition à une date ultérieure ;

Attendu surtout que Mme X présente des problèmes de santé, lesquels étaient connus des services de l’inspection générale des services judiciaires au moment de l’enquête administrative, ainsi que l’établit la lettre de mission du directeur du cabinet du garde des sceaux du 7 décembre 2010, citant un rapport du premier président de la cour d’appel de xxxxx du 30 septembre 2010 au garde des Sceaux sur la situation de Mme X, qui «tire profit de la crise de la juridiction et s’abrite derrière des problèmes de santé réels, mais nullement de nature à l’empêcher de faire son travail, accumule un retard particulièrement inquiétant dans ses délibérés et surtout, ne défère pas aux injonctions du chef de juridiction » ; qu’en outre, au début de son audition le 15 mars 2011, Mme X, à une des questions posées entre 13H50 à 17H00, a confirmé ces « difficultés de santé récurrentes », s’agissant d’« un eczéma sévère de l’adulte revenu en 1988 et qui vous recouvre de la tête au pied » ; qu’au surplus l’ampleur de ces problèmes de santé a été confirmée par le docteur A, expert en dermatologie, qui, dans son rapport en date du 19 février 2013, précise que Mme X présente depuis l’enfance une dermatite atopique qui a « une incidence très marquée sur le travail des patients qui en souffrent se manifestant par des démangeaisons permanentes, une sensation de peau qui tire et qui craque, des fissures très profondes de doigts, très douloureuses et rendant difficile le port du stylo, des douleurs liées aux zones cutanées à vif lors des poussées inflammatoires de la maladie, la gêne sociale très marquée consécutive à la fois aux signes apparents de la maladie mais aussi aux contraintes du traitement comme des vêtements en permanence tachés par les pommades, des mouvements de démangeaisons irrépressibles, et surtout, les effets psychologiques à type de dépression que peut avoir une pathologie chronique, très invalidante et nécessitant des traitements très lourds » ; que l’expert a précisé que Mme X était dans l’obligation quotidienne d’appliquer des corticoïdes sous forme de crème de manière à limiter aux maximum les manifestations cliniques de sa maladie ;

Attendu que les conditions dans lesquelles a été conduite l’enquête administrative visant Mme X ont placé cette dernière dans une position de vulnérabilité que l’impossibilité devant laquelle elle a été mise, malgré son état de santé, de prendre antérieurement copie des pièces de la procédure et d’être assistée lors de ses auditions a aggravée ; que, dans ces circonstances, le Conseil estime non probants les éléments recueillis lors des auditions de Mme X les 15 et 16 mars 2011; qu’en conséquence il y a lieu d’écarter du débat ces éléments ainsi que ceux qui s’y réfèrent dans le procès-verbal de l’audition de Mme X réalisée le 12 septembre 2012 par Mme le conseiller rapporteur ainsi dans le rapport de cette dernière en date du 17 avril 2013 ;

- Sur le fond

Attendu qu’aux termes de l’acte de saisine du 30 juin 2011, il est reproché à Mme X, nommée dans les fonctions de juge au tribunal de grande instance de xxxxx par décret du 30 juillet 2001, une activité professionnelle caractérisée par des retards constants et importants, l’absence systématique d’avis aux parties mentionnant une nouvelle date en cas de prorogation de délibérés, l’inexactitude des dates de prononcé de certains jugements et une situation financière problématique ;

*Sur l’activité professionnelle caractérisée par des retards constants et importants
Attendu qu’il résulte des constatations effectuées par les services de l’inspection générale des services judiciaires que Mme X, qui occupait, au tribunal de grande instance de xxxxx, jusqu’en mars 2009, les fonctions de juge aux affaires familiales, puis celles de juge à la 3ème chambre civile, n’a jamais été mesure de faire face à sa charge de travail, certes importante mais se situant, selon les services de l’inspection, dans la moyenne nationale ;
Attendu, selon les mêmes constatations, qu’entre 2005 et 2010, plus de 60 % des affaires jugées par Mme X avaient été mises en délibéré pendant une durée supérieure à deux mois, le taux de prorogation passant de 65 % en 2005 à 98 % en 2008 ; que les statistiques de son activité à la 3ème chambre civile ne se révélaient pas davantage satisfaisantes, le taux de délibérés de plus de deux mois atteignant 85% dès le 2ème semestre 2009 et le taux de prorogation dépassant 80 % ; qu’ainsi, la durée moyenne de délibéré s’élevait à 5, 2 mois en 2005, 4, 5 mois en 2006, 4, 2mois en 2007, 4, 5 mois en 2008, ainsi qu’en 2009 ;
Attendu pourtant que Mme X a fait l’objet de rappels réguliers de la part de sa hiérarchie ; que selon le premier président de la cour d’appel de xxxxx, entendu par le rapporteur le 4 mars 2013, trois lettres l’avertissant du risque de poursuites disciplinaires en raison des retards avaient été adressées par le précédent premier président ;
Attendu qu’à l’appui de sa défense, Mme X, tout en reconnaissant à l’audience avoir « accumulé du retard », précisait avoir toujours eu « la pratique de rédiger avec méticulosité les décisions » ;
Attendu que n’est pas en cause la qualité de l’exercice professionnel de Mme X, Mme C, première vice-présidente au tribunal de grande instance de xxxxx indiquant le 11 février 2013 au rapporteur que Mme X est « une excellente juriste », que « ses décisions sont parfaitement motivées » et qu’« elle fait très attention aux conséquences de ses décisions, les délibérés en sa présence sont toujours très enrichissants », Maître D, avocat au barreau de xxxxx précisant pour sa part au rapporteur que Mme X «avait une pratique qui tendait à apaiser des situations souvent très conflictuelles », en matière familiale ;
Attendu qu’en dépit de ses qualités, Mme X a présenté des carences persistantes dans l’accomplissement de son service, découlant d’un défaut de rigueur dans l’organisation de son travail ;
Attendu que le grief est établi, aucun élément du dossier n’établissant au surplus que Mme X aurait supporté une charge de travail anormale ; que le grief caractérise un manquement au devoir de délicatesse incombant à tout magistrat à l’égard des justiciables, de même qu’au devoir de dire le droit avec diligence ;

* Sur l’absence systématique d’avis aux parties mentionnant une nouvelle date en cas de prorogation de délibérés
Attendu qu’il est reproché à Mme X d’avoir, de manière quasi-systématique, procédé à des prorogations de délibérés sans fixation d’une nouvelle date et sans que les parties n’aient été avisées de ces prorogations ;
Attendu qu’en application de l’article 450 du code de procédure civile, « s’il décide de renvoyer le prononcé du jugement à une date ultérieure, le président en avise les parties par tout moyen. Cet avis comporte les motifs de la prorogation ainsi que la nouvelle date à laquelle la décision sera rendue » ;
Attendu qu’il ressort des constatations du rapport de l’inspection générale des services judiciaires « l’absence systématique d’avis aux parties les informant de la prorogation du délibéré » ;
Attendu qu’à l’audience, Mme X a reconnu avoir procédé à des prorogations de délibérés sans fixation d’une nouvelle date et sans avoir avisé les parties ;
Attendu que le grief est établi et caractérise un manquement au devoir de délicatesse tant à l’égard des justiciables dans une matière aussi sensible que les affaires familiales que des fonctionnaires de justice, placés dans une situation contraire à celle prévue par le code de procédure civile et en porte-à-faux face aux interrogations légitimes des justiciables et de leurs conseils ;

*Sur l’inexactitude des dates de prononcé de certains jugements
Attendu qu’il est encore reproché à Mme X d’avoir porté des dates inexactes de prononcé de certains jugements ;
Attendu qu’il résulte des constatations des services de l’inspection générale des services judiciaires que certaines décisions rendues par Mme X portaient une date de notification anormalement éloignée de la date de prononcé ;
Attendu qu’à l’audience, Mme X a « contesté avoir antidaté des décisions et avoir donné une instruction en ce sens » au greffe, expliquant que les décisions portaient soit la date de la remise du projet au greffe et non la date où la décision était effectivement mise à disposition des parties, soit, s’agissant d’ordonnances de non-conciliation rendues sur le siège, la date de l’audience ; que Mme X a, au surplus, indiqué à l’audience que son greffe avait connu « des problèmes d’effectifs récurrents » ;
Attendu que s’il résulte des constatations des services de l’inspection générale des services judiciaires que nombre de décisions rendues par Mme X portaient une date de notification anormalement éloignée de la date de prononcé, élément qui ne se constatait pas pour les décisions des autres juges aux affaires familiales ou magistrats des 1ère et 3ème chambres civile, les auditions, effectuées par les services de l’inspection des services judiciaires, des greffiers et adjoints administratifs affectés au service des affaires familiales, n’ont pas permis d’établir que Mme X avait donné des instructions tendant à ce que les décisions rendues soient antidatées ;
Attendu cependant qu’il résulte de ces mêmes investigations que Mme X, qui connaissait des retards chroniques dans le rendu de ses décisions, remettait ses décisions au greffe au gré de ses possibilités, sans tenir compte des délais nécessaires à celui-ci pour assurer la mise en forme des décisions, la date de la décision étant alors celle du jour où elle déposait le projet pour mise en forme, ou s’agissant d’ordonnances de non-conciliation, le jour où l’audience s’était tenue ;
Attendu qu’il était de la responsabilité de Mme X, au moment de la signature, de vérifier que les dates correspondaient à celle de mise à disposition de la décision au greffe ; qu’elle a reconnu à l’audience « avoir pris conscience qu’il y avait un problème de date » ; qu’ainsi, elle a commis un manquement au devoir de son état et à la délicatesse à l’égard des justiciables, en ne prêtant pas l’attention nécessaire à un des aspects fondamentaux d’une décision de justice ; qu’en outre, ces faits caractérisent un manquement au devoir de délicatesse à l’égard des fonctionnaires du greffe ;

*une situation financière problématique
Attendu qu’il est enfin reproché à Mme X, selon la saisine du garde des sceaux, d’avoir dissimulé la réalité de sa situation financière devant la commission de surendettement du xxxxx, en produisant son bulletin de paie et son engagement personnel afin d’obtenir sept crédits à la consommation qu’elle savait ne pas être en mesure de rembourser, d’avoir obéré sa situation financière de telle sorte qu’elle a fait l’objet de deux expulsions locatives et d’une saisie de ses rémunérations ;
Attendu d’une part qu’il résulte des pièces de la procédure que Mme X s’est bornée à remplir l’imprimé prévu pour la saisine de la commission de surendettement, en produisant des pièces afférant à sa situation, à savoir son bulletin de paie et son engagement personnel ; qu’il n’est pas établi que Mme X ait sciemment dissimulé sa situation financière ;
Attendu d’autre part qu’il est constant que Mme X, magistrat du second grade, mariée sous un régime de séparation de biens, a contracté plusieurs crédits à la consommation pour venir en aide à la société de son époux qui connaissait des difficultés financières ; qu’à la suite de la liquidation de la société, Mme X a saisi la commission de surendettement en 2003 et a obtenu un plan d’apurement qu’elle n’a, par la suite, pas respecté ; qu’en parallèle, elle a accumulé plusieurs dettes de loyers qui ont conduit à la mise en œuvre de procédures d’expulsion et de saisie- arrêt sur rémunération par les trois bailleurs successifs devant les juridictions civiles de son ressort ;
Attendu que ce comportement n'est pas seulement constitutif d'une imprudence, mais présente le caractère d'un manquement à la dignité et à la délicatesse ; qu'il est contraire aux devoirs de l'état de magistrat, notamment par l'atteinte qu'il a porté à son autorité de magistrat et au crédit de l'institution judiciaire ;
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Attendu en premier lieu que Mme X a déjà fait l'objet d'une sanction disciplinaire en date du 27 juin 1996, le Conseil supérieur de la magistrature prononçant à son encontre la sanction de déplacement d'office, pour des faits qualifiés de manquement à l'élémentaire obligation de probité incombant au juge ;
Attendu que pour l'appréciation de la sanction susceptible d'être prononcée à l'encontre de Mme X, il y a lieu, en premier lieu, de tenir compte de la situation médicale particulièrement invalidante dans laquelle se trouve ce magistrat puisque l'expert désigné par le rapporteur a évalué à 50 le nombre de journées de travail perdues annuellement, entre 2000 et 2011, du fait de l'affection dont elle souffre, de même que sa situation familiale et conjugale la plaçant dans une situation de vulnérabilité ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'il ressort du dossier que les qualités professionnelle de Mme X sont avérées et qu'elle ne connaît plus de retards de rendu de décisions depuis décembre 2011 ;
Attendu toutefois que ces retards, jusqu'alors permanents dans les délibérés, ont révélé chez Mme X un défaut du sens de l'organisation, particulièrement préjudiciable pour l'exercice des fonctions de juge unique ;
Attendu par ailleurs qu'il résulte des investigations effectuées par les services de l'inspection générale des services judiciaires que les retards récurrents de Mme X ont été à l'origine de nombreuses réclamations d'avocats ; qu'enfin, la situation financière obérée de Mme X, qui a subi des procédures de saisie arrêt sur son traitement et deux expulsions locatives, était connue des auxiliaires de justice de la ville de xxxxx ;
Attendu, en cet état, que le maintien de Mme X au sein du même ressort de juridiction ne peut être envisagé ; qu'il y a lieu de prononcer, à son encontre la sanction d'interdiction d'être nommée ou désignée dans des fonctions de juge unique pendant une durée de 2 ans, assortie du déplacement d'office ;
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PAR CES MOTIFS,

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos, et hors la présence de Mme Catherine Vandier, rapporteur ;

Statuant en audience publique, le 19 juin 2013 pour les débats et le 11 juillet 2013, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Dit qu’il y a lieu d’écarter du débat les auditions des 15 et 16 mars 2011 de Mme X par les services de l’inspection générale des services judiciaire ainsi que la référence à ces auditions dans le procès-verbal de l’audition de Mme X réalisée le 12 septembre 2012 par Mme le conseiller rapporteur ainsi que dans le rapport de cette dernière en date du 17 avril 2013 ;

Prononce à l'encontre de Mme X la sanction d'interdiction d'être nommée ou désignée dans des fonctions de juge unique pendant une durée de 2 ans, assortie du déplacement d’office, en application de l’article 45, 2°, 3° et 46 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

Dit que copie de la présente décision sera adressée au premier président de la cour d'appel de xxxxx ;