Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
01/12/2010
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de probité (devoir de ne pas abuser de ses fonctions), Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des collègues, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des auxiliaires de justice
Décision
Rejet de la requête en récusation
Non-lieu à sanction
Mots-clés
Chef de juridiction
Délégation
Expert
Impartialité
Motion
Pression
Récusation
Syndicat
Fonction
Président de tribunal de grande instance
Résumé
Convocation d’un expert judiciaire en lui exigeant la remise d’un rapport établi pour un magistrat dans un cadre privé et transmission par la voie hiérarchique, en qualité de chef de juridiction, de ce rapport d’expertise au Conseil supérieur de la magistrature et à la Commission d’avancement – Sollicitation des magistrats de la juridiction de la signature d’une motion exprimant leur soutien à sa personne

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées contre M. X, président du tribunal de grande instance de xxxx, sous la présidence de M. Vincent Lamanda, Premier président de la cour de cassation, (…)

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n°94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n°2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n°94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche du ministre d’Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés en date du 19 novembre 2009, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X, président du tribunal de grande instance de xxxx, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu l’ordonnance du 23 novembre 2009, désignant M. Hervé Grange en qualité de rapporteur;

Vu le rapport de M. Grange du 30 juillet 2010, dont M. X a reçu copie ;

Vu le rappel, par M. le Premier président, des termes de l’article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, selon lesquels “l’audience est publique, mais que, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le Conseil de discipline” et l’absence de demande spécifique formulée en ce sens conduisant à tenir l’audience publiquement ;

Vu la lecture de son rapport par M. Grange, les observations de M. Xavier Tarabeux, adjoint à la directrice des services judiciaires, qui a demandé le prononcé d’un retrait des fonctions de président, les explications et moyens de défense de M. X, la plaidoiries de Maître A, les arguments développés par Mme B, M. X ayant eu la parole en dernier ;

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Sur la procédure

Attendu qu’à l’audience, M. A, avocat, conseil de M. X, demande la récusation de Madame Lacoste, membre du conseil de discipline des magistrats du siège, au motif de son appartenance au syndicat de la magistrature ;

Mais attendu que l’appartenance à un syndicat de magistrats n’est pas, en soi, un motif de récusation d’un membre du conseil de discipline des magistrats du siège ; que les pièces produites par M. X, au soutien de sa demande de récusation et ses observations orales n’établissent pas l’existence d’éléments objectifs de nature à démontrer l’absence alléguée d’impartialité de Mme Lacoste ;

Attendu qu’il y a lieu, dès lors, de rejeter la demande de récusation ;

Sur les griefs disciplinaires
Attendu que, le 19 novembre 2009, conformément aux dispositions de l’article 50-1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, le garde des Sceaux a dénoncé au Conseil supérieur de la magistrature, les faits motivant des poursuites disciplinaires contre M. X, président du tribunal de grande instance de xxxx ;

Attendu que l’acte de saisine analyse les qualifications disciplinaires en ces termes :

« Les faits reprochés à M. X, magistrat depuis plus de vingt-cinq ans, chef de diverses juridictions depuis vingt ans, manifestent, de sa part, une méconnaissance des devoirs essentiels de sa charge.

1. En effet, en convoquant un expert judiciaire, à deux reprises, et en exigeant de lui la remise d’un rapport établi pour un magistrat dans un cadre privé, M. X a abusé de l’autorité liée à ses fonctions et manqué à la délicatesse.

En transmettant, à l’insu de l’intéressé, par la voie hiérarchique et en qualité de chef de juridiction, ce rapport d’expertise au Conseil supérieur de la magistrature et à la Commission d’avancement, en sachant qu’il ne pouvait que jeter le discrédit sur le magistrat concerné, M. X a abusé des pouvoirs tirés de ses fonctions et manqué à la délicatesse.

2. En sollicitant des magistrats de la juridiction, au nombre desquels les magistrats du siège soumis à son autorité, la signature d’une motion, rédigée par ses soins, exprimant leur soutien à sa personne, au risque, réalisé en l’espèce , que la presse s’en fasse l’écho, et qu’il en résulte une atteinte à son image et à celle de l’institution judiciaire, M. X a manifesté un manquement au sens des responsabilités, une méconnaissance des devoirs de son état et un abus de l’autorité lié à ses fonctions.

Ces manquements revêtent un caractère de particulière gravité au regard des responsabilités spécifiques qui pèsent sur un chef de juridiction.

3. Ils s’inscrivent, de surcroît, dans le contexte d’un exercice notoirement autoritaire et conflictuel de ses fonctions, ayant porté atteinte à l’image de la juridiction placée sous sa responsabilité et compromis la sérénité nécessaire à son bon fonctionnement » ;

Attendu qu’à l’audience, le représentant du garde des Sceaux n’a repris expressément que les griefs 1?et 2?ci-dessus ;

Que, cependant, il appartient au Conseil supérieur de la magistrature de se prononcer sur le comportement du magistrat, tel qu’il résulte de l’enquête disciplinaire, dès lors que les faits ont pu être contradictoirement débattus ;

Les conditions d’exercice par M. X de ses fonctions de président de tribunal de grande instance

Attendu qu’en ce qui concerne le retrait des délégations administratives et juridictionnelles attribuées à M. Y, premier vice-président au tribunal de grande instance de xxxx , il n’est ni allégué, ni démontré, que M. X ait pris à cet égard des décisions irrégulières ; qu’il n’a, pas davantage, excédé ses compétences et ses pouvoirs ; qu’il n’est pas établi objectivement qu’il ait manifesté un comportement humiliant ou déstabilisant à l’encontre de M. Y ;

Attendu qu’il en est de même des conditions de l’entretien d’évaluation du mois de décembre 2007 et de la rédaction par M. X des rapports et transmissions concernant M. Y ;

Attendu qu’il ne peut être reproché à un président de tribunal qui constate des pratiques irrégulières de rappeler aux magistrats du siège placés sous son autorité les dispositions légales à respecter dans les procédures qui leur sont confiées ; qu’ainsi, il ne peut être fait grief à M. X d’avoir rappelé les dispositions du code de procédure civile relatives au déport d’un magistrat, comme celles concernant les ventes sur saisie immobilière ;

L’obtention et la diffusion par M. X d’une expertise demandée par M. Y

Attendu que, courant avril 2008, M. Y a pris l’initiative de contacter un expert inscrit sur la liste de la cour d’appel de xxxx, aux fins d’examiner un câble de frein de sa bicyclette entreposée dans le garage du tribunal, retrouvé détérioré le 21 janvier 2008 ; que M. Y souhaitait que l’expert détermine si la rupture du câble provenait d’un acte de malveillance ;

Attendu que M. X a été informé d’une rumeur au sein du tribunal le désignant comme l’auteur d’un sabotage ;

Que, se prévalant de sa qualité de président du comité d’hygiène et de sécurité, il a obtenu de l’expert, communication de ce rapport qui concluait à une usure naturelle du système de freinage ;
Attendu que M. X a diffusé ce document aux fins de mettre un terme à la rumeur persistante portant atteinte à son honneur et à l’image de la juridiction ;

Attendu que son comportement, dans les circonstances de l’espèce, ne peut recevoir une qualification disciplinaire ;

La « motion de soutien » au président X

Attendu que M. X a proposé à la signature de certains magistrats du tribunal et de quelques membres du greffe une « motion de soutien » ainsi rédigée : « Nous soussignés, déclarons et attestons entretenir avec le président M. X de bonnes, franches et cordiales relations qui contribuent au bon fonctionnement interne de notre juridiction de première instance » ;

Attendu que, sur une cinquantaine de magistrats du siège et du parquet du tribunal de grande instance, 32 magistrats, soit 23 magistrats du siège et 9 magistrats du parquet, ont signé ; que cette initiative du président a fait l’objet de divers commentaires dans la presse locale et nationale, que cette « motion de soutien » a été transmise par la voie hiérarchique au conseil supérieur de la magistrature ; que M. X l’a fait parvenir également au directeur des services judiciaires ;

Attendu que cette démarche singulière et inopportune relève d’une évidente maladresse ; qu’elle doit, toutefois, être replacée dans le contexte de l’époque, à un moment où M. X se sentait injustement mis en cause et fortement déstabilisé par la contestation de certains magistrats relayée par voie de presse ;

Attendu que, dans ces circonstances, ce comportement de M. X ne relève pas d’une qualification disciplinaire ;

Le comportement de M. X au cours des investigations menées par la mission d’inspection

Attendu qu’il est reproché à M. X d’avoir, au cours de la mission d’inspection, exercé des pressions sur certains magistrats pour qu’ils prennent position sur la déposition de leurs collègues, ou d’avoir révélé de possibles manquements pour discréditer leurs témoignages ;

Mais attendu que ces reproches n’apparaissent pas fondés, dans la mesure où M. X d’une part n’a fait qu’user du libre exercice des droits de la défense, et, d’autre part, a régulièrement exercé dans les affaires dénoncées, ses responsabilités de président de tribunal de grande instance ;

PAR CES MOTIFS

Le Conseil, statuant en audience publique, après en avoir délibéré à huis clos, le 13 octobre 2010, pour les débats, et le 1er décembre suivant, date à laquelle la décision a été rendue par mise à disposition au secrétariat de la Première présidence de la Cour de cassation ;

Rejette la requête en récusation formulée à l’encontre de Mme Lacoste, membre du conseil de discipline,

Dit n’y avoir lieu à prononcer une sanction disciplinaire à l’encontre de M. X.