Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
18/11/2010
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat (obligation d’assumer ses fonctions)
Décision
Rejet (demande de renvoi)
Déplacement d'office
Retrait des fonctions de juge d'instruction
Mots-clés
Délai raisonnable
Déplacement d'office
Détention provisoire
Diligence
Inaction
Instruction (conduite)
Instruction (rigueur)
Juge d'instruction
Négligence
Poursuites disciplinaires (renvoi)
Rejet (demande de renvoi)
Retard
Retrait des fonctions de juge d'instruction
Fonction
juge d'instruction
Résumé
Magistrat instructeur qui, entre 2001 et 2008, a délaissé un nombre important d’affaires dont il avait la charge en laissant s’écouler un délai excessif entre sa saisine et sa première intervention, ou entre deux actes accomplis au cours de la procédure d’information, en ne veillant pas à ce que les mis en examen détenus du cabinet, soient, à intervalles réguliers, tenus au courant de l’évolution de l’information les concernant et des perspectives de règlement.

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées contre Mme X , juge d’instruction au tribunal de grande instance de xxxx, sous la présidence de M. Vincent Lamanda, Premier président de la cour de cassation, (…)

Vu les articles 43 à 58 modifiés de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche du garde des Sceaux, ministre d’Etat, ministre de la justice et des libertés, en date du 26 février 2010, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de Mme X , juge d’instruction au tribunal de grande instance de xxxx, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu l’ordonnance du 8 mars 2010, désignant M. Jean-François Weber en qualité de rapporteur ;

Vu le rapport de M. Jean-François Weber du 8 juin 2010, dont Mme X et son conseil ont reçu copie ;

Vu le rappel, par M. le Premier président, des termes de l’article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels “l’audience est publique, mais que, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le Conseil de discipline” et l’absence de demande spécifique formulée en ce sens ;

Vu la demande de renvoi formulée, le matin même, de l’audience par Mme X et la position de M. Tarabeux, qui a conclu au rejet de cette demande ;

Vu la décision du Conseil qui, après en avoir délibéré, a rejeté la demande de renvoi ;

Vu la lecture de son rapport par M. Weber, les observations de M. Tarabeux, qui a demandé le déplacement d’office de Mme X et le retrait des fonctions de l’instruction, les explications et moyens de défense de Mme X qui a eu la parole en dernier ;

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Sur la demande de renvoi

Attendu que Mme X sollicite le renvoi de l’audience en raison de l’absence de son avocat, M. A, du barreau de xxxx ; que celui-ci a informé téléphoniquement le secrétariat de la première présidence de la Cour de cassation, avant le début de l’audience, du fait qu’en raison d’un mouvement social, le train qu’il avait prévu de prendre, à xxxx, le 21 octobre2010 au matin, pour venir assurer, à 9h30, la défense de Mme X devant le Conseil de discipline, avait été supprimé et qu’il n’y avait plus de places dans le train suivant ;

Mais attendu que la suppression d’un train, en raison d’un mouvement social engagé depuis plusieurs jours à la SNCF, qui est tenue d’assurer un service minimum, n’était, pour ce conseil, ni imprévisible ni irrésistible ;

que Mme X étant présente, il y a lieu de rejeter la demande de renvoi ;

Sur le fond

Attendu que l’acte de saisine retient, à la charge de Mme X , un défaut de rigueur et de sens des responsabilités, pour avoir délaissé, entre 2001 et 2008, “un nombre important d’affaires dont elle avait la charge en laissant s’écouler un délai excessif entre sa saisine et sa première intervention, ou entre deux actes accomplis au cours de la procédure d’information, en négligeant le droit des personnes détenues à être entendues par leur juge d’instruction au minimum tous les quatre mois” ;

Sur l’écoulement d’un délai excessif entre la saisine et le premier acte du juge d’instruction, ou entre deux actes en cours d’information

Attendu qu’il résulte du dossier administratif de Mme X , des investigations de l’inspection générale des services judiciaires et de l’enquête disciplinaire, qu’en dépit des mises en garde relatives à la gestion de son cabinet qui lui avaient été adressées à l’occasion de plusieurs évaluations depuis 1996, ce juge d’instruction n’a modifié que très temporairement sa pratique professionnelle, négligeant le traitement équilibré de l’ensemble des dossiers dont il était saisi ; qu’ainsi, pendant la période analysée, près de 30% des procédures sont restées sans acte d’information pendant au moins six mois, plus de 20% l’étant pendant plus d’une année et près de 9% pendant plus de deux ans ; que sur 47 affaires criminelles ouvertes du chef de viol, 21 ont connu une période d’inertie de 12 à 24 mois et 16 sont demeurées sans acte pendant plus de 24 mois ; que, dans 36 procédures, plus de six mois se sont écoulés entre l’interrogatoire de première comparution et la diligence suivante, tandis que 72 dossiers sont demeurés sans acte pendant au moins six mois après réception des pièces d’exécution des commissions rogatoires ; que, dans 15 procédures, les dates de retour des commissions rogatoires étaient dépassées de plus de six mois, sans que le juge d’instruction n’ait délivré de rappel écrit au service enquêteur ou n’ait expressément prorogé le délai ;

Attendu que Mme X , qui ne conteste que ponctuellement ces constats, explique ces délais par la spécialisation de son cabinet, d’une part, dans les dossiers de mineurs qui conduisait ses collègues à se dessaisir à son profit dès qu’un mineur apparaissait dans un dossier et, d’autre part, dans les procédures de trafic de stupéfiants qui comportent de nombreux mis en examen, ce qui induit des dossiers très lourds à gérer ; que l’analyse de la présidente de la chambre de l’instruction, les chiffres des saisines et le nombre de mis en examen attestent de cette réalité ; que Mme X affirme avoir toujours tenu le plus grand compte des observations qui lui étaient faites ; que, si elle admet des erreurs d’organisation, la qualité de ses informations n’a été mise en cause ni par la chambre de l’instruction, ni par les formations de jugement ; que son absence totale de mobilité géographique s’explique par des considérations d’ordre familial ;

Mais attendu que la comparaison des chiffres du cabinet de Mme X avec ceux du cabinet n°4, qui avait exactement la même spécialisation que le sien dans les dossiers de mineurs et de stupéfiants, et qui n’a connu aucun dysfonctionnement, ne permet pas de retenir cette explication ; que, si les qualités de juriste de Mme X n’ont jamais été contestées, la longue persistance de ses carences dans la gestion de l’ensemble des dossiers de son cabinet démontre, en dépit de sa grande expérience de la fonction de magistrat instructeur, qu’elle exerce depuis 28 ans, un manque de rigueur et de sens des responsabilités d’un juge d’instruction qui doit traiter, sans retard, l’ensemble des procédures qui lui sont confiées ;

Sur le grief relatif à la négligence du droit des personnes détenues à être entendues par leur juge d’instruction au minimum tous les quatre mois

Attendu que l’article 148-4 du code de procédure pénale dispose que “A l’expiration d’un délai de quatre mois depuis sa dernière comparution devant le juge d’instruction ou le magistrat par lui délégué et tant que l’ordonnance de règlement n’a pas été rendue, la personne détenue ou son avocat peut saisir directement d’une demande de mise en liberté la chambre de l’instruction qui statue dans les conditions prévues à l’article 148 (dernier alinéa)”;

Attendu que, sur la période analysée, près du tiers des 223 dossiers avec détenus, ouverts au cabinet de Mme X , comporte des délais égaux ou supérieurs à quatre mois entre deux interrogatoires, avec, dans plus de 40 dossiers, un écart supérieur à huit mois ; que Mme X , qui ne conteste que ponctuellement certains relevés des inspecteurs, a expliqué qu’elle avait l’habitude d’établir des procès verbaux de première comparution très détaillés et qu’il ne lui paraissait pas indispensable de réentendre les mis en examens détenus, dès lors qu’une nouvelle audition n’était pas de nature à faire progresser l’information ; qu’elle a indiqué que, si un détenu le demandait, elle procédait bien évidemment à son audition, mais qu’elle n’avait pas souvenir d’un détenu qui aurait saisi la chambre de l’instruction, comme l’article 148-4 du code de procédure pénale lui en donne formellement la possibilité ;

Mais attendu que l’article 148-4 du code de procédure pénale n’impose pas au magistrat instructeur d’entendre d’initiative les mis en examen détenus tous les quatre mois, si ceux-ci ne le sollicitent pas ; que, si le grief tel que qualifié par la saisine du garde des sceaux n’est pas fondé, le magistrat instructeur doit, néanmoins, veiller à ce que les mis en examen détenus de son cabinet soient, à intervalles réguliers, tenus au courant de l’évolution de l’information les concernant et des perspectives de règlement ;

Attendu qu’en l’espèce, le nombre très important des dossiers dans lesquels ce magistrat instructeur a délibérément laissé des mis en examen détenus dans l’ignorance de l’évolution des procédures les concernant, pendant des durées manifestement excessives, ne saurait être justifié par les explications fournies par Mme X ; que ces négligences, concernant des personnes détenues, aggravent le manque de rigueur et de sens des responsabilités précédemment retenu ;

Par ces motifs

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos,

Statuant, en audience publique, le 21 octobre 2010 pour les débats et, le 18 novembre suivant, date à laquelle la décision a été rendue par mise à disposition au secrétariat de la Première présidence de la Cour de cassation,

Rejette la demande de renvoi ;

Prononce, à l’encontre de Mme X , la sanction du retrait des fonctions de juge d’instruction, assorti d’un déplacement d’office, prévue par les articles 45-2°, 45-3° et 46 alinéa 2 de l’ordonnance susvisée du 22 décembre 1958.