Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
21/07/2010
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de légalité (devoir de respecter la loi)
Décision
Non-lieu à retrait de l'honorariat
Mots-clés
Avocat
Honorariat
Retrait de l'honorariat (non-lieu)
Retraite
Travaux rémunérés
Fonction
Juge au tribunal de grande instance
Résumé
Un magistrat, admis à la retraite, a effectué des travaux rémunérés au service d’un cabinet d’avocat en violation des dispositions de l’article 9-1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 qui interdit à un ancien magistrat d’exercer notamment la profession d’avocat dans le ressort de la juridiction où il a exercé ses fonctions depuis moins de 5 ans, ou de travailler au service d’un membre de cette profession, et 9-2 du même texte, qui impose à un ancien magistrat, qui entend exercer une profession privée, d’en aviser le garde des Sceaux au moins deux mois avant le début d’activité ;

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par le garde des Sceaux, ministre d’Etat, ministre de la justice et des libertés, contre Mme X, sous la présidence de M. Vincent Lamanda, Premier président de la cour de cassation (…)

Vu les articles 43 à 58 modifiés de l’ordonnance n? 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n? 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n? 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n? 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche du garde des Sceaux, ministre d’Etat, ministre de la justice et des libertés, en date du 24 novembre 2009, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de Mme X, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu l’ordonnance du 30 novembre 2009, désignant M. Jean-François Weber en qualité de rapporteur ;

Vu le rapport de M. Weber 9 mai 2010, dont Mme X, et son avocat ont reçu copie ;

Vu le rappel, par M. le Premier président, des termes de l’article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels “l’audience est publique, mais que, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le Conseil de discipline” et l’absence de demande spécifique formulée en ce sens par Mme X, conduisant à tenir l’audience publiquement ;

Vu la lecture de son rapport par M. Weber, les observations de M. Xavier Tarabeux, adjoint à la directrice des services judiciaires, assisté par Mme Béatrice Vautherin, magistrate à l’administration centrale, qui a demandé, à l’égard de Mme X, le prononcé de la sanction de retrait de l’honorariat, les explications et moyens de défense de Mme X, la plaidoirie de son conseil, M. A, magistrat honoraire, Mme X ayant eu la parole en dernier ;

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Attendu que le ministre d’Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés a saisi, le 24 novembre 2009, la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente en matière de discipline des magistrats du siège, de faits imputables à Mme X, qui avait été admise, sur sa demande, à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 16 juillet 2001, par arrêté du garde des Sceaux du 22 février 2001, alors qu’elle exerçait les fonctions de juge au tribunal de première instance de xxxx ;

Attendu que les services de la Chancellerie ont été informés, par le Premier président de la cour d’appel de xxxx, que, le 13 mars 2007, soit plus de cinq ans après son admission à la retraite, Mme X avait demandé son inscription au barreau de xxxxqui lui avait été refusée par le Conseil de l’ordre le 23 mai 2007, au motif “qu’il ne saurait être admis que Mme X présente les garanties de loyauté, de probité et d’honorabilité, nécessaires pour exercer la profession d’avocat” ; que cette décision du Conseil de l’ordre a été confirmée par arrêt de la cour d’appel de xxxx du 29 octobre 2007, devenu définitif après que le pourvoi en cassation de Mme X a été déclaré non admis le 2 avril 2009 ;

Attendu qu’il est reproché à Mme X d’avoir, courant 2003 et 2004, effectué des travaux rémunérés au service d’un cabinet d’avocat du barreau de xxxx en violation des dispositions de l’article 9-1 de l’ordonnance n? 58-1270 du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature, qui interdit à un ancien magistrat d’exercer notamment la profession d’avocat dans le ressort de la juridiction où il a exercé ses fonctions depuis moins de cinq ans, ou de travailler au service d’un membre de cette profession, et 9-2 du même texte, qui impose à un ancien magistrat, qui entend exercer une profession privée, d’en aviser le garde des Sceaux au moins deux mois avant la date de début d’activité ;
Attendu qu’il n’est pas contesté que Mme X a été inscrite au répertoire d’identification des entreprises et des établissements de (RIDET), pour exercer la profession de “juriste libérale patentée”, du 5 septembre 2001 au 11 janvier 2002, puis, après un séjour en xxxx , à nouveau à compter du 30 septembre 2003 ; qu’elle explique qu’elle ignorait l’obligation, prévue par l’article 9-2 du statut de la magistrature, d’aviser le garde des Sceaux de son intention d’exercer une profession privée et que la profession non réglementée de “juriste libérale” en lui permettait de donner des consultations et de préparer des projets de conclusions pour le compte d’une avocate, Mme C, qui avait mis un bureau à sa disposition, sans enfreindre l’interdiction prévue à l’article 9-1 du statut de la magistrature ;

Sur le grief d’avoir effectué des travaux rémunérés au service de cabinets d’avocat de courant 2003-2004, alors qu’elle avait été juge au tribunal de première instance de xxxx jusqu’à juillet 2001

Attendu que les dispositions de l’article 9-1 du statut de la magistrature font interdiction à un ancien magistrat de travailler au service d’un avocat du barreau dans le ressort de la juridiction où il a exercé ses fonctions depuis moins de cinq ans ; que cette disposition s’applique quelles que soient les particularités du barreau de ;

Attendu que Mme X déclare avoir exercé une activité de “juriste libérale patentée” dans des locaux mis à sa disposition par le cabinet d’avocat C, entre septembre 2003 et avril 2004 ; qu’il est établi et non contesté qu’elle a bénéficié d’une rémunération mensuelle forfaitaire de 300.000 FCFP, versée par la SELARL C ; que Mme X avait été magistrate au tribunal de première instance de xxxx de 1987 à 2001, avait présidé le tribunal mixte de commerce de et le tribunal du travail ; que son installation dans les locaux d’un cabinet d’avocat au profit duquel elle utilisait son expérience d’ancien magistrat, et qui la rémunérait, fût-ce de manière forfaitaire, constituait une activité au service d’un avocat au sens des dispositions précitées ; qu’elle ne pouvait ignorer les exigences du statut de la magistrature ; qu’elle a d’ailleurs attendu l’expiration d’un délai de cinq ans après sa mise à la retraite pour solliciter son inscription au barreau de xxxx ; que ces faits constituent une violation caractérisée d’une obligation statutaire ;

Sur le grief d’avoir omis d’informer le garde des sceaux de son projet d’exercer la profession de juriste libérale

Attendu qu’il est constant que Mme X n’a pas avisé le garde des Sceaux, contrairement aux exigences de l’article 9-2 du statut de la magistrature, de son intention d’exercer la fonction de “juriste libérale patentée”, après son admission à la retraite ; qu’elle soutient avoir ignoré les dispositions de ce texte résultant de la loi organique du 5 février 1994 ; qu’elle s’était simplement préoccupée, auprès de la trésorerie générale, de la compatibilité de l’exercice de cette fonction avec la législation sur le cumul des rémunérations et qu’elle en aurait avisé le président du tribunal de première instance de xxxx, qui n’en a pas gardé le souvenir ; que cette violation du statut de la magistrature est établie ;

Sur l’honorariat

Attendu que le second alinéa de l’article 79 du statut de la magistrature, dans sa rédaction résultant de la loi organique n°94-101 du 5 février 1994, dispose que “le retrait de l’honorariat peut être prononcé pour des motifs tirés du comportement du magistrat honoraire depuis son admission à la retraite....que l’honorariat ne peut être retiré que dans les formes prévues au chapitre VII” ; qu’il appartient donc au Conseil supérieur de la magistrature d’apprécier, au terme de la procédure disciplinaire contradictoire, si les faits dénoncés et établis justifient le prononcé du retrait de l’honorariat ;

Attendu qu’en sa qualité de juge d’instance à xxxx, entre 1984 et 1987, Mme X a montré d’indéniables qualités professionnelles, rédigeant des décisions bien motivées, administrant correctement son tribunal d’instance, acceptant volontiers des services complémentaires, en entretenant de bonnes relations professionnelles ; qu’après sa nomination comme juge à xxxx, le 15 décembre 1987, ses évaluations formulées par quatre premiers présidents différents ont toujours été très favorables, soulignant sa disponibilité, son autorité naturelle et ses connaissances juridiques ; qu’elle a présidé, avec compétence, le tribunal mixte de commerce de xxxx et, à compter du 1er mars 1999, celui du travail, en rétablissant un fonctionnement harmonieux de cette juridiction ;

Attendu que le seul fait d’avoir omis d’aviser le garde des Sceaux de son intention d’exercer, à compter du 5 septembre 2001, l’activité de “juriste libérale patentée”, et d’avoir exercé, pendant quelques mois, entre septembre 2003 et avril 2004, ces fonctions de “juriste libérale” au service d’un cabinet d’avocat, au vu et au su de tous les acteurs de la vie judiciaire , doit être apprécié au regard des qualités que ce magistrat a manifestées durant les quinze années de sa vie professionnelle ; que les faits, révélés après que Mme X, a sollicité, le 13 mars 2007, son inscription au barreau de xxxx sans opposition du Procureur général, sont anciens ; que dans ces conditions, il n’y a pas lieu de prononcer, à l’encontre de Mme X, en juillet 2010, le retrait de l’honorariat de ses fonctions de juge au tribunal de première instance de xxxx ;

Par ces motifs

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos,

Statuant, en audience publique, le 7 juillet 2010 pour les débats et le 21 juillet suivant, date à laquelle la décision a été rendue par mise à la disposition de Mme X,

Dit n’y avoir lieu à retrait de l’honorariat des fonctions de juge au tribunal de première instance de xxxx de Mme X.