Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
03/06/2010
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de prudence, Manquement au devoir de légalité (devoir de respecter la loi), Manquement au devoir de loyauté à l’égard des supérieurs hiérarchiques, Manquement au devoir de probité (devoir de loyauté à l’égard de l’institution judiciaire), devoir de probité, Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice)
Décision
Interdiction temporaire de l'exercice des fonctions
Mots-clés
Collègue
Consignation
Dignité
Faux (décision de justice)
Fonctions
Honneur
Loyauté
Mise à la retraite d'office
Probité
Vice-président de tribunal de grande instance
Fonction
Vice-président de tribunal de grande instance
Résumé
Modification, postérieurement à l'audience, des dispositions d'un jugement, relatif à des procédures de diffamation publiques sur citations directes, sur le nombre et le montant des consignations ; organisation d'un rendez-vous clandestin avec l'un des prévenus, directeur de publication d'un journal régional, en demandant qu'il intervienne auprès de son avocat pour qu'il modère ses réactions à la suite de la modification des jugements rendus;

Le Conseil supérieur de la magistrature réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège et siégeant à la Cour de cassation, pour statuer sur la demande d’interdiction temporaire d’exercice de ses fonctions par M. X, vice-président au tribunal de grande instance de xxxx, sous la présidence de M. Vincent Lamanda, Premier président de la cour de cassation (…)

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 92-189 du 25 février 1992 et, notamment, son article 50 alinéa 1 ;

Vu la dépêche du garde des Sceaux, ministre d’Etat, ministre de la justice et des libertés, en date du 30 avril 2010, demandant au Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, d’interdire temporairement à M. X, vice-président au tribunal de grande instance de xxxx, l’exercice de ses fonctions ;

Vu les avis du Premier président de la cour d’appel de xxxx, du 21 avril 2010 et du président du tribunal de grande instance de xxxx du 20 avril précédent, exposant que, dans l’intérêt du service, il est nécessaire de prendre une telle mesure ;

Vu les pièces du dossier dont il résulte que M. X a pris connaissance, le 17 mai 2010, de la dépêche du président du conseil de discipline des magistrats du siège en date du 7 mai précédent, contenant les termes de la saisine du Conseil supérieur de la magistrature du 30 avril précédent et l’informant que le conseil se réunirait le 26 mai 2010, à 10 heures, à la Cour de cassation, pour statuer sur la demande d’interdiction temporaire d’exercice des fonctions ;
Vu la télécopie du 25 mai 2010, par laquelle M. X a désigné M. A, avocat au barreau de xxxx, et M. B, vice-procureur au tribunal de grande instance de xxxx, (syndicat de magistrat), pour l’assister à cette séance ;

Vu la communication de la procédure à M. X, en date du 12 mai 2010 ;

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Attendu qu’ont été successivement entendus :

- M. Xavier Tarabeux, adjoint à la directrice des services judiciaires, assisté par Mme Béatrice Vautherin, magistrat à l’administration centrale du ministère de la justice ;
- M. X, en ses explications, assisté par M. A, avocat au barreau de xxxx, et M. B, vice-procureur au tribunal de grande instance de xxxx, en leurs plaidoiries, le magistrat mis en cause ayant eu la parole en dernier ;

Qu’au terme des débats, à huis clos, l’affaire a été mise en délibéré, avis ayant été donné que la décision serait rendue le jeudi 3 juin 2010, à 14 heures.

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Attendu que le garde des Sceaux a saisi le conseil de discipline, le 30 avril 2010, d’une demande tendant au prononcé d’une mesure d’interdiction temporaire d’exercice de ses fonctions à l’encontre de M. X, vice-président au tribunal de grande instance de xxxx ;

Attendu que M. X est mis en cause pour son comportement dans le traitement de procédures de diffamation publique sur citations directes, engagées par deux particuliers contre le quotidien régional D et son directeur de publication, M. E ; qu’il est constant que M. X, président du tribunal correctionnel, saisi de deux procédures en diffamation sur citations directes, et ayant fixé, lors de l’audience publique du 9 février 2010, le montant des consignations à deux fois la somme de 5 000 euros à verser dans le délai d’un mois, a, après s’être aperçu de l’existence de deux citations directes supplémentaires, fait modifier, par son greffier, postérieurement à l’audience, ces dispositions pour fixer la consignation à quatre fois 2 500 euros à verser dans les deux mois ; qu’informé des protestations de l’avocat du journal l’Union qui, après réception des jugements le 2 mars, a entrepris des démarches auprès du président du tribunal de grande instance de xxxx le 8 mars suivant et indiqué qu’il envisageait de porter plainte pour faux, M. X a rencontré M. E, le 11 mars suivant, dans un bar d’un hôtel de xxxx, lors d’un rendez-vous organisé par une de leur connaissance commune ;

Que M. X ne conteste pas la matérialité de ces faits ; qu’il précise que, contrairement à ce qui est soutenu, il a modifié la décision rendue le 9 février 2010 sur le montant des consignations, en accord avec le collaborateur de l’avocat du prévenu, et souligne que la somme totale à consigner n’était pas modifiée ; qu’il indique avoir été piégé par la proposition de rendez-vous avec le directeur de publication poursuivi, M. E, que lui a faite une relation commune, et s’être contenté, lors de cette entrevue, de demander au directeur de publication de “modérer les ardeurs de son avocat” ;

Attendu qu’à la suite de ces faits, une enquête préliminaire a été ouverte par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxx, des chefs de faux en écriture publique et corruption par magistrat et que l’inspection générale des services judiciaires a été chargée d’une enquête administrative par lettre de mission du 2 avril dernier ;

Attendu que l’interdiction temporaire prévue à l’article 50 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 n’est pas une sanction disciplinaire, mais une mesure de protection du service de la justice pendant la procédure disciplinaire visant le magistrat qui fait l’objet d’enquêtes ;

Attendu qu’en la circonstance, de tels faits, susceptibles de revêtir une qualification pénale, sont de nature à jeter le discrédit sur le magistrat concerné, comme sur l’institution judiciaire ; que l’urgence requise pour la mise en oeuvre d’une mesure d’interdiction temporaire d’exercice des fonctions résulte de leur récente découverte par le président du tribunal de grande instance de xxxx, auquel M. X, bien qu’invité à s’expliquer sur la modification, sur ses instructions, du dispositif des jugements, a également dissimulé son rendez-vous avec le prévenu ; qu’ainsi que l’ont souligné le président de la juridiction et le chef de cour, l’intérêt du service commande d’interdire temporairement, en l’état, que ce magistrat poursuive l’exercice de ses fonctions;

Attendu que les conditions exigées à l’article 50 de l’ordonnance susvisée étant réunies, il y a lieu de prononcer la mesure d’interdiction temporaire sollicitée ;

Par ce motifs

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos,

Statuant en audience non publique, le 26 mai 2010 pour les débats et le 3 juin suivant, date à laquelle la décision a été rendue,

Interdit temporairement à M. X l’exercice de ses fonctions de vice-président au tribunal de grande instance de xxxx, jusqu’à ce qu’intervienne une décision définitive sur les poursuites disciplinaires ;

Dit que copie de la présente décision sera adressée au Premier président de la cour d’appel de xxxx ;

Dit que cette interdiction cessera de plein droit de produire ses effets si, à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, le garde des Cceaux n’a pas saisi le Conseil supérieur de la magistrature dans les conditions prévues à l’article 50-1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature.