Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège
Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par M. le garde des sceaux, ministre de la justice, contre Mme X, juge au tribunal de grande instance de V, sous la présidence de M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation ;
Vu les articles 43 à 58 modifiés de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994, relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice, du 7 mars 2005, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de Mme X, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;
Après avoir entendu M. Philippe Mury donner lecture de son rapport et M. Patrice Davost, directeur des services judiciaires, demander le prononcé de la sanction de mise à la retraite d’office ;
Attendu que le 7 mars 2005, le garde des sceaux, ministre de la justice, a, conformément aux dispositions de l’article 50-1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, dénoncé au Conseil supérieur de la magistrature des faits motivant les poursuites disciplinaires concernant Mme X, juge au tribunal de grande instance de V ;
Que par ordonnance du 22 mars 2005, M. Mury, membre du Conseil supérieur de la magistrature, a été désigné comme rapporteur ; que, déposé le 29 juillet 2005, son rapport a été adressé, le même jour, à Mme X ;
Attendu que citée à comparaître devant le conseil de discipline le 21 septembre 2005, Mme X n’a pas répondu à cette convocation ; que citée à nouveau pour l’audience du 16 novembre 2005, elle a, par lettre du 10 novembre 2005, fait savoir qu’elle n’entendait ni comparaître ni se faire représenter ;
Attendu qu’aux termes de la saisine, il est reproché à Mme X :
- un défaut de disponibilité au service de la juridiction, un manque habituel de ponctualité et des absences inopinées aux audiences ainsi que, dans le prononcé de ses jugements, des retards persistants depuis son arrivée à V, malgré les mises en garde du président de la juridiction, les réclamations des membres du barreau, ainsi que les protestations de justiciables et qui ont causé des difficultés importantes dans le fonctionnement du greffe ;
- de s’être placée dans une situation d’endettement notoire, provoquant l’engagement de procédures civiles et des réactions portées à la connaissance du barreau et de fonctionnaires de la juridiction ;
- d’avoir fait état de sa qualité de magistrat dans le but d’impressionner des créanciers, inspirer leur confiance, ou en espérant voir satisfaite plus rapidement ou facilement une demande personnelle ;
Attendu, sur la première série de griefs, que le rapport de l’inspection générale des services judiciaires a mis en évidence que, depuis son arrivée à V, notamment au cours des années 2002 et 2003, Mme X a provoqué des retards fréquents, importants et injustifiés dans le prononcé des jugements soumis à sa motivation ; que l’intéressée ne conteste ni les états des affaires en délibéré produits par l’inspection, ni le caractère anormal de ces délais au regard de sa charge habituelle de travail ; qu’elle explique sa carence par un état dépressif consécutif à des difficultés personnelles et son aversion pour sa juridiction d’affectation qu’avec insistance, elle a demandé à quitter ;
Que le défaut de ponctualité et les absences inopinées de Mme X sont admis par l’intéressée ; qu’en dépit de ses dénégations, sa désinvolture dans la fixation des audiences et leurs suspensions injustifiées qu’elle imposait aux parties pour des raisons et démarches personnelles, ajoutées à son manque de disponibilité pour le service de la juridiction causé par une dérogation à l’obligation de résidence et le refus de se déplacer au tribunal hors le service d’audience, sont également attestées tant par les déclarations du président de la juridiction que par celles de ses collègues et des agents du greffe ;
Attendu, sur la deuxième série de griefs, que Mme X, dont les dettes se sont accumulées pour un montant élevé, a, devant son propre tribunal, fait l’objet d’actions en paiement qui ont dû être renvoyées devant une juridiction voisine ; que des saisies ont été pratiquées sur son salaire et que plusieurs créanciers se sont adressés au président du tribunal pour se plaindre de sa défaillance ; que si, a priori, l’état d’endettement d’un juge relève de sa vie privée, son insolvabilité devenue notoire au sein même de la juridiction où il exerce ses fonctions et parmi les professions judiciaires locales, intéresse son état de magistrat dès lors que, comme c’est le cas, il atteint son autorité juridictionnelle ;
Attendu, sur la troisième série de griefs, qu’en dépit des réserves de l’intéressée sur l’intentionnalité de ses démarches, il est établi, par les dires des personnes concernées et les documents produits, qu’à deux reprises au moins, Mme X a fait état de sa qualité de magistrat dans des différends ou pour des sollicitations d’ordre privé ; que ce fut, en particulier, le cas à l’occasion d’un litige l’opposant à un vétérinaire sur le paiement de soins fournis à un animal puis, pour une lettre, formalisée à sa demande par un agent du greffe sur du papier au timbre de la juridiction et signée par elle-même en qualité de juge, destinée au directeur d’un centre équestre pour réclamer les documents d’identification d’un cheval dont elle disposait ;
Attendu que la succession des faits avérés ci-dessus énoncés constitue des manquements répétés aux devoirs de l’état de magistrat ajoutés à une attitude contraire à la dignité attachée à ses fonctions ; que, même appréciés au regard des difficultés d’ordre médical qu’a connues Mme X, lesquelles ont donné lieu à de nombreux congés pour cause de maladie au cours des années 2002 et 2003 et de son état de santé actuel, de tels faits, qui ont porté atteinte à l’image et au crédit de l’institution judiciaire, caractérisent des fautes disciplinaires ;
Attendu que la répétition de ces fautes et la persistance de Mme X dans une attitude incompatible avec son état de magistrat, déjà disciplinairement sanctionnée, le 13 décembre 1990, pour des manquements au devoir de loyauté et de probité, imposent que soit prononcée à son encontre la sanction de mise à la retraite d’office ;
Par ces motifs,
Statuant en audience publique le 16 novembre 2005, pour les débats et le 24 novembre 2005, date à laquelle la décision a été rendue ;
Prononce à l’encontre de Mme X la sanction de la mise à la retraite d’office prévue par l’article 45, 6°, de l’ordonnance du 22 décembre 1958.