Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
05/07/2005
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de légalité (obligation de diligence), Manquement au devoir de légalité (obligation de rédaction des décisions), Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat (obligation d’assumer ses fonctions), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Retrait des fonctions de président de tribunal de grande instance
Déplacement d'office
Mots-clés
Chef de juridiction
Retard
Délai raisonnable
Délibéré
Image de la justice
Légalité
Diligence
Rédaction des décisions
Etat de magistrat
Fonctions
Probité
Dignité
Institution judiciaire (confiance)
Retrait des fonctions
Déplacement d'office
Président de tribunal de grande instance
Fonction
Président de tribunal de grande instance
Résumé
Incapacité d’un chef de juridiction à assumer de front ses responsabilités de gestionnaire et juridictionnelles, entraînant de lourds retards dans son activité juridictionnelle

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées contre M. X, président du tribunal de grande instance de V, sous la présidence de M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation ;

Vu les articles 43 à 58 modifiés de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994, relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche du premier président de la cour d’appel de W du 10 mars 2004 et ses pièces jointes, dénonçant au Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline, des faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X, président du tribunal de grande instance de V ;

Vu la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice, du 16 février 2005 et ses pièces jointes, dénonçant audit Conseil des faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre du même magistrat ;

Vu le rapport établi par M. Roger Beauvois, désigné par ordonnances des 8 avril 2004 et 22 mars 2005, dont M. X a reçu copie le 21 mai 2005 ;

Vu les conclusions déposées par M. X le 29 juin 2005 ;

Après avoir entendu M. Patrice Davost, directeur des services judiciaires, M. Roger Beauvois donner lecture intégrale de son rapport, M. X en ses explications et moyens de défense sur les faits reprochés, l’intéressé ayant eu la parole en dernier ;

Attendu qu’il résulte, tant de la dénonciation du premier président de la cour d’appel de W que de celle du garde des sceaux, ministre de la justice, que, depuis sa prise de fonction en qualité de président du tribunal de grande instance de V, le 15 janvier 2002, et en dépit des engagements successivement pris dans le courant de l’année 2003 devant son chef de cour et d’un avertissement qui lui a été délivré le 4 juillet 2003, M. X a accumulé d’importants retards dans son activité juridictionnelle ; qu’en particulier, le rapport de l’inspection générale des services judiciaires, sur lequel s’appuie la seconde dénonciation, établit que M. X a été dans l’incapacité de mener de front ses responsabilités de gestionnaire, normalement assumées, et le jugement des affaires, de sorte qu’il a accusé un retard considérable dans le traitement du contentieux civil et commercial représentant l’essentiel de son activité personnelle ; qu’ainsi à partir de 2002, pour ces affaires, la durée des délibérés s’est progressivement dégradée, sans que les prolongations aient été portées à la connaissance des parties, pour atteindre plus de dix mois en 2003 et qu’en 2004, si ce délai a été ramenée à quatre mois et demi, l’accumulation des retards était particulièrement visible puisque la durée moyenne de prononcé des décisions excédait un an dans 17 % des affaires et deux ans dans 15 % d’entre elles tandis que, dans de moindres proportions, les autres contentieux, notamment celui des procédures collectives, accusaient, eux aussi, d’importants retards ;

Que le rapport de l’inspection générale des services judiciaires montre encore que M. X a été incapable de respecter les engagements pris pour résorber son retard et d’établir des priorités pour tenir compte des urgences ; qu’enfin, si la saisine du Conseil par le premier président de la cour d’appel avait été suivie d’une mise à jour presque complète à la fin du premier semestre 2004, quatre jugements étaient encore en délibéré prorogé en début du mois d’octobre 2004, dont l’un plaidé au mois d’octobre 2002, tandis qu’une affaire commerciale plaidée le 30 mars 2001 n’était pas encore jugée au mois de janvier 2005 ;

Attendu que, sans remettre en cause les constatations de l’enquête administrative conduite par le premier président et celles de l’inspection générale des services judiciaires, M. X explique sa défaillance par la situation particulière du tribunal de grande instance de V, privé de président depuis trente mois lorsqu’il y a pris ses fonctions, aux effectifs insuffisants tant en ce qui concerne les magistrats du siège que les agents du greffe eu égard à son activité, désorganisée par son implantation sur trois sites différents, le mauvais état d’entretien du bâtiment principal et les prises de positions successives et contradictoires relatives à l’éventuelle suppression de la juridiction ; que ces circonstances ont constitué pour lui une situation difficilement surmontable aggravée par une situation d’isolement personnel qui, dans le jugement des affaires, lui ont fait prendre, au cours de l’année 2002, un retard que l’ampleur des tâches courantes, notamment de juge-commissaire, ne lui a pas permis de résorber ;

Que si, comme le relève la dénonciation du ministre de la justice, le contexte particulier de la juridiction dont M. X assurait la présidence, liée à une organisation matérielle défectueuse et à la démobilisation de son personnel, a pu en alourdir la gestion, il n’était toutefois pas de nature à justifier l’inaptitude de celui-ci à faire face à une activité juridictionnelle maîtrisable de quinze à vingt jugements par mois, même en tenant compte de la polyvalence et des charges particulières résultant de la compétence commerciale de la juridiction ;

Qu’il s’ensuit que, par l’ampleur, la durée et la persistance des retards accumulés dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles, M. X a porté atteinte au crédit de la justice en même temps qu’à son autorité de chef de juridiction, tant à l’égard des autres juges qu’envers les membres du barreau et les justiciables concernés ; qu’en outre, en s’abstenant de mettre en œuvre un programme de gestion des affaires en délibéré en fonction de leur ancienneté et de ses promesses réitérées, il a tout à la fois manqué de rigueur professionnelle et de sens des responsabilités ; que les défaillances ainsi relevées constituent un manquement aux devoirs de l’état de magistrat et de chef de juridiction ;

Attendu qu’en considération de l’ensemble de ces éléments, doit être infligée à M. X la sanction disciplinaire du retrait des fonctions de président de juridiction, assortie d’un déplacement d’office ;

Par ces motifs,

Statuant en audience publique le 29 juin 2005, pour les débats, et le 5 juillet 2005, date à laquelle la décision a été rendue,

Prononce à l’encontre de M. X, par application des articles 45, 3°, 45, 2°, et 46, 2e alinéa, de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, la sanction disciplinaire du retrait des fonctions de président de tribunal de grande instance assortie d’un déplacement d’office.