Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
18/07/2003
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des collègues, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des tiers, Manquement au devoir de probité (devoir de ne pas abuser de ses fonctions), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice)
Décision
Rejet de la demande de sursis à statuer
Rejet de la demande d'annulation du rapport
Déplacement d'office
Mots-clés
Poursuites disciplinaires (autonomie de l'instance disciplinaire)
Circulation (accident)
Alcool
Refus (contrôle alcoolémique)
Amnistie
Délicatesse
Collègue
Tiers
Probité
Abus des fonctions
Dignité
Honneur
Rejet (demande de sursis à statuer)
Rejet (requête en nullité)
Déplacement d'office
Président de chambre de cour d'appel
Fonction
Président de chambre de cour d'appel
Résumé
Refus délibéré d’un magistrat impliqué dans un accident de la route de se soumettre à un contrôle d’alcoolémie
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par M. le premier président de la cour d’appel de V et le garde des sceaux, ministre de la justice, contre M. X, président de chambre à la cour d’appel de V, sous la présidence de M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation ;

Vu les articles 43 à 59 modifiés de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu l’article 11 de la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994, relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les dépêches successives du 3 juin et du 28 juin 2002 du premier président de la cour d’appel de V et du garde des sceaux, ministre de la justice, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X, ainsi que les pièces jointes à ces dépêches ;

Sur le rapport de M. Vincent Lamanda, désigné par ordonnance du 4 juillet 2002, dont M. X, a reçu copie ;

Attendu que, par un mémoire déposé avant le commencement de l’audience, M. X a demandé un sursis à statuer ainsi que l’annulation du rapport de M. Lamanda et la désignation d’un nouveau rapporteur, le renvoi partiel des fins de la poursuite et la constatation de l’amnistie ;

Sur les demandes de sursis à statuer et de nullité du rapport

Le Conseil, après avoir entendu M. Patrice Davost, directeur des services judiciaires, et en avoir immédiatement délibéré, hors la présence du rapporteur ;

Attendu que la poursuite des faits soumis au Conseil supérieur de la magistrature, statuant en matière disciplinaire, est indépendante de leur qualification par la juridiction pénale ; que la présente instance, distincte de la procédure pénale, peut donc être menée à son terme sans qu’il y ait lieu d’attendre l’achèvement de cette procédure ;

Attendu que l’emploi, dans le rapport, de quelques expressions reprises des éléments du dossier et concernant des faits ou appréciations contestés par M. X, ne saurait, comme il le soutient, entacher le rapport d’un défaut de neutralité alors que celui-ci, rédigé de manière objective, reprend les arguments développés par M. X pour sa défense ;

Au fond

A la reprise de l’audience, après avoir entendu M. Vincent Lamanda en la lecture de son rapport, M. Patrice Davost, directeur des services judiciaires, en sa demande d’une sanction de déplacement d’office et M. X, assisté de M. Roger Tacheau, procureur général près la cour d’appel de Rennes, et de M. Olivier Schnerb, avocat au barreau de Paris, en ses explications et moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés, M. X ayant eu la parole en dernier ;

Attendu qu’alors que le véhicule qu’il conduisait était impliqué dans un accident de la circulation ayant entraîné de graves blessures pour la victime, M. X, après avoir fait état à plusieurs reprises de sa qualité de magistrat, a quitté les lieux avant l’arrivée des gendarmes, malgré les recommandations des sapeurs-pompiers l’invitant à rester sur place ; que plusieurs témoins ont déclaré qu’il présentait alors des signes d’ivresse ;

Qu’après être allé chercher son épouse à une gare proche, il est repassé sur les lieux de l’accident, où stationnait cette fois le véhicule de la gendarmerie, et ne s’est pas arrêté ;

Que les gendarmes s’étant rendus à sa résidence peu après et l’ayant invité à les accompagner à la brigade de gendarmerie pour se soumettre au dépistage de l’imprégnation alcoolique, M. X a refusé de les suivre au motif qu’il avait bu du vin depuis son retour chez lui ;

Qu’il a réitéré son refus, lorsque les gendarmes sont revenus chez lui sur instruction du procureur de la République adjoint auquel ils avaient rendu compte, leur indiquant en outre qu’il avait repris deux verres de vin accompagnant un léger repas pendant leur courte absence ; qu’étant intervenu lors d’une communication téléphonique avec ce magistrat, M. X lui a manifesté son opposition à une mesure de contrôle et lui a déclaré « qu’il aurait de ses nouvelles » ;

Que M. X a finalement dû être placé en garde à vue et a fait l’objet d’un prélèvement sanguin près de cinq heures après l’accident ; que l’analyse a révélé une première fois un taux de 0,80 g et une seconde fois un taux de 0,53 g ;

Attendu qu’en quittant les lieux avant l’arrivée des gendarmes puis en refusant de se soumettre aux vérifications habituelles imposées aux conducteurs en cas d’accident corporel, en arguant de sa qualité de président de chambre à la cour d’appel de V, et en différant ainsi la possibilité de vérifier son taux d’imprégnation alcoolique, M. X a adopté une attitude d’obstruction contraire aux devoirs d’un magistrat, à l’honneur, à la délicatesse et à la dignité ;

Que de tels manquements, exclus du bénéfice de l’amnistie, d’autant plus graves qu’ils émanent d’un magistrat ayant assuré la présidence d’une formation de la cour d’appel spécialement compétente en matière de délinquance routière, justifient le prononcé d’une sanction disciplinaire de déplacement d’office ;

Par ces motifs,

Statuant en audience publique, le 16 juillet 2003 pour les débats, et le 18 juillet 2003, date à laquelle la décision a été rendue ;

Rejette la demande de sursis à statuer ;

Rejette la demande de nullité du rapport et de désignation d’un nouveau rapporteur ;

Prononce à l’encontre de M. X la sanction de déplacement d’office prévue par l’article 45, 2°, de l’ordonnance du 22 décembre 1958.