Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
13/05/2003
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir d’indépendance, Manquement au devoir d'impartialité, Manquement au devoir de fidélité au serment prêté (respect du secret des délibérations), Manquement au devoir de légalité (devoir de respecter la loi), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Révocation sans suspension des droits à pension
Mots-clés
Chef de juridiction
Président de tribunal de grande instance
Poursuites disciplinaires (publicité des débats)
Poursuites disciplinaires (non cumul des sanctions)
Mise en examen
Prise illégale d'intérêt
Trafic d'influence
Vie privée (proches)
Récusation
Déport
Délibéré
Image de la justice
Indépendance
Impartialité
Secret des délibérations
Légalité
Probité
Dignité
Honneur
Institution judiciaire (confiance)
Révocation sans suspension des droits à pension
Vice-président de tribunal de grande instance
Fonction
Vice-président de tribunal de grande instance
Résumé
Mise en examen d’un magistrat du chef de trafic d’influence pour s’être entretenu à diverses reprises avec un prévenu, entre l’audience à laquelle il siégeait et le prononcé du jugement, de l’affaire en délibéré. Mise en examen du chef de prise illégale d’intérêt d’un chef de juridiction ayant confié abusivement à des proches des missions de prévention pour les entreprises en difficulté, de mandataire <em>ad hoc</em> ou de consultant dans des procédures judiciaires commerciales
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par M. le garde des sceaux, ministre de la justice, contre M. X, vice-président au tribunal de grande instance de V, sous la présidence de M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation ;

Vu la décision du Conseil du 23 mai 2002, prononçant à l’encontre de M. X une interdiction temporaire d’exercice de ses fonctions ;

Vu les articles 43 à 58 modifiés de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994, relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice, du 25 juin 2002, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu la demande présentée par le magistrat déféré à l’ouverture des débats aux fins d’interdire l’accès de la salle d’audience au public ;

Vu l’article 57 de l’ordonnance précitée n° 58-1270 du 22 décembre 1958, modifié par l’article 19 de la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Le Conseil, après en avoir immédiatement délibéré, ayant ordonné la publicité de l’audience ;

Sur le rapport de M. Roger Beauvois, désigné par ordonnance du 11 juillet 2002, dont M. X a reçu copie ;

Après avoir entendu M. Roger Beauvois donner lecture de son rapport, M. Patrice Davost, directeur des services judiciaires, demander le prononcé d’une sanction de mise à la retraite d’office et M. X, assisté de Me Marc Meisner, avocat au barreau de Paris ; en ses explications et moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés, M. X ayant eu la parole en dernier ;

Attendu que la protection de l’ordre public ou de la vie privée du magistrat poursuivi n’exige pas que l’accès à la salle d’audience soit interdit au public pendant tout ou partie des débats et qu’il n’existe pas, en l’espèce, de circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ;

Attendu qu’au cours de l’année 1999, une avocate a appelé l’attention des autorités judiciaires sur les anomalies que lui paraissait présenter une procédure commerciale conduite devant le tribunal de grande instance de W, alors présidé par M. X ; qu’il est apparu des investigations diligentées à la suite de ce signalement que M. X avait confié à l’un de ses amis, M. Y, une mission de prévention pour les entreprises en difficulté, en application de l’article 34 de la loi du 1er mars 1984, devenu l’article L. 611-2 du code de commerce, et à un cabinet dirigé par un autre de ses amis, M. Z, des missions de mandataire ad hoc ou de consultant, dans des procédures judiciaires commerciales, certaines de ces missions étant en réalité exécutées par M. Y ; qu’une information judiciaire a été ouverte sur ces faits et que M. X a été mis en examen pour prise illégale d’intérêt ;

Attendu qu’en avril 2002, le procureur général près la cour d’appel de V a transmis au ministre de la justice une requête en récusation dirigée contre M. X, devenu vice-président au tribunal de grande instance de V ; que l’auteur de cette requête, M. A, maire de B, ancien secrétaire d’État, poursuivi pour abus de confiance, faisait état de rencontres qu’il avait eues avec M. X, membre de la formation appelée à juger M. A, avant l’audience et au cours de la période de mise en délibéré, le magistrat ayant évoqué avec le prévenu ses difficultés personnelles avec l’administration fiscale ; qu’une information judiciaire a également été ouverte pour ces faits ; que M. X a été mis en examen du chef de trafic d’influence par personne dépositaire de l’autorité publique et placé sous contrôle judiciaire ; que par décision du 23 mai 2002, le Conseil supérieur de la magistrature a prononcé à l’encontre de M. X, l’interdiction temporaire d’exercice de ses fonctions ;

Attendu que le garde des sceaux, ministre de la justice, soutient qu’en confiant diverses missions à ses amis MM. Y et Z, M. X, alors qu’il était président du tribunal de grande instance de W, avait fait prévaloir des liens d’amitié dans l’appréciation de leur qualité et de leur compétence, qu’il avait à cette occasion laissé se créer une situation de confusion, au détriment de ses propres fonctions de président, manqué de rigueur, de prudence et d’impartialité objective et qu’à V, il avait créé, par ses contacts avec un prévenu qu’il avait jugé, une situation dans laquelle pouvaient être suspectées sa probité, son intégrité, sa dignité et son indépendance, portant ainsi gravement atteinte à l’image de la justice ;

Attendu que M. X a principalement fait valoir, d’une part, que la saisine du Conseil supérieur de la magistrature était irrégulière, qu’il avait déjà fait l’objet de sanctions déguisées pour les faits qui lui sont reprochés et que, par suite, aucune nouvelle sanction ne peut être prononcée pour les mêmes faits, d’autre part, en ce qui concerne les faits qui se sont déroulés à W, que les références produites par MM. Y et Z lui étaient apparues suffisantes et qu’aucune autorité judiciaire n’avait d’ailleurs présenté d’observation lors de leur désignation, que les missions de mandat, de consultation ou d’expertise qui leur avaient été confiées étaient régulières, qu’en ce qui concerne les faits survenus à V, il n’avait pas parlé avec M. A, avant l’audience, de l’affaire pénale pour laquelle celui-ci allait être jugé, et qu’il ne l’avait pas entretenu de ses difficultés avec l’administration fiscale, de sa propre initiative, cet entretien n’ayant d’ailleurs eu lieu qu’alors que la décision pénale paraissait acquise ;

Attendu qu’en raison des garanties apportées par son statut de magistrat du siège, M. X ne pouvait être contraint d’accepter une mutation de W à V ; qu’il a volontairement présenté une demande en ce sens ; que le fait que le premier président de la cour d’appel de U lui ait conseillé, dans son intérêt, d’entreprendre une telle démarche, ne saurait être considéré comme une demande à laquelle M. X n’était pas en mesure de se soustraire, assimilable à une sanction ;

Attendu qu’aux termes de l’article 50 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, l’enquête s’entend de toute investigation administrative ou judiciaire sur les faits imputés à un magistrat ; que tel a été le cas pour M. X avant que le Conseil supérieur de la magistrature soit saisi ;

Attendu que le fait que le garde des sceaux n’ait pas satisfait à des demandes de mutation présentées par M. X, qui a fait l’objet d’une mesure d’interdiction temporaire d’exercice de ses fonctions à V, ne saurait, en tout état de cause, constituer une sanction déguisée ;

Attendu qu’il est établi qu’alors qu’il était président du tribunal de grande instance de V, M. X a :
- délégué certaines de ses attributions à M. Y qui n’était pas magistrat, en violation des dispositions des articles L. 611-2 et suivants du code de commerce et des articles R. 311-17 et suivants du code de l’organisation judiciaire, trompant ainsi les justiciables sur les véritables pouvoirs dont disposait M. Y ;
- désigné le cabinet dirigé par M. Z pour diverses missions, tout en sachant qu’il n’accomplissait pas personnellement ces missions mais en laissait l’exécution à M. Y ;
- que M. X a ainsi mis en place un système fondé sur des amitiés personnelles sans égard aux critères de légalité, d’utilité et de compétence qui auraient dû guider son choix ;

Attendu qu’il résulte également du dossier et des débats qu’alors qu’il était vice-président au tribunal de grande instance de W, M. X a :
- accepté de s’entretenir avec M. A, alors qu’il savait devoir siéger peu après dans une affaire où celui-ci était prévenu, puis participé au jugement, sans se déporter, après avoir fait l’objet d’interventions en faveur de ce prévenu de la part de tiers ayant organisé la rencontre ;
- trahi le secret du délibéré en révélant le sens de la décision adoptée à l’encontre de M. A, avant que cette décision ne soit rendue publiquement par le tribunal ;
- à tout le moins, consenti, alors que le tribunal n’avait pas rendu sa décision, à s’entretenir d’un important redressement fiscal le concernant avec le prévenu et confié à ce dernier divers documents qui ne pouvaient servir qu’à une intervention en sa faveur ;

Attendu qu’au moment des faits, M. X, magistrat depuis douze ans, auparavant avocat et avoué, ne pouvait ignorer les règles à respecter, leur fondement et l’importance qu’elles revêtent pour l’image ainsi que le bon fonctionnement de l’institution judiciaire et le crédit attaché à celle-ci ;

Que ces manquements, graves et répétés, aux devoirs de son état, qui sont contraires à l’honneur et à la probité, constituent des fautes disciplinaires ; que ces faits justifient le prononcé d’une sanction disciplinaire de révocation sans suspension des droits à pension ;

Par ces motifs,

Statuant en audience publique le 30 avril 2003, pour les débats et le 13 mai 2003, date à laquelle la décision a été rendue ;

Prononce à l’encontre de M. X, la sanction de révocation sans suspension des droits à pension prévue par l’article 45, 7°, de l’ordonnance du 22 décembre 1958.