Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
17/02/2000
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de légalité (obligation de diligence), Manquement au devoir de légalité (obligation de rédaction des décisions), Manquement au devoir de légalité (obligation de tenue des audiences), Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat (obligation d’assumer ses fonctions), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Retrait des fonctions de juge d'instance
Déplacement d'office
Mots-clés
Tutelles
Délibéré
Retard
Négligence
Image de la justice
Activités annexes
Légalité
Arrêt maladie
Diligence
Rédaction des décisions
Audience
Etat de magistrat
Fonctions
Probité
Institution judiciaire (confiance)
Retrait des fonctions
Déplacement d'office
Juge d'instance
Fonction
Juge d'instance
Résumé
Carences et désinvolture du magistrat dans l’exercice des fonctions de juge des tutelles, tant au niveau du traitement des dossiers que de l’accueil des justiciables. Importants retards dans le prononcé des jugements civils

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, et siégeant à la Cour de cassation, sous la présidence de M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, le 27 janvier 2000, à 14 heures 30 ;

Vu la demande de M. X qui, interrogé sur son droit de bénéficier de la publicité des débats conformément aux dispositions de l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, a souhaité que la séance se tienne à huis clos, ce qui lui a été accordé ;

Vu les articles 43 à 58 modifiés de l’ordonnance nº 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique nº 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret nº 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice, du 23 février 1998 dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X, juge au tribunal de grande instance de V, chargé du service du tribunal d’instance de W, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Sur le rapport de M. Philippe Delarbre, désigné par ordonnance du 26 juin 1998 dont M. X a reçu copie et de la lecture duquel le rapporteur a été dispensé ;

Après avoir entendu M. Bernard de Gouttes, directeur des services judiciaires, M. X, assisté de Me Léon Lef Forster, avocat au barreau de Paris, en ses explications et moyens de défense, M. X ayant eu la parole en dernier ;

Attendu qu’au mois de mars 1996, à l’issue d’une mission effectuée au tribunal d’instance de W, l’inspection générale des services judiciaires a signalé le comportement professionnel critiquable de M. X, juge d’instance, qu’elle a rappelé à ses devoirs et invité à assurer régulièrement et sans délai le suivi des dossiers de tutelle aux incapables majeurs dont il était chargé ; qu’en 1997, vérifiant le respect de ses recommandations, elle a constaté que ce magistrat n’avait pas amélioré sa manière de servir et relevé à son encontre, dans un rapport complémentaire, de trop longs délibérés avant le prononcé des jugements civils et des défaillances réitérées dans l’exercice des fonctions de juge des tutelles ;

Attendu qu’il résulte de constatations effectuées par l’inspection générale, en premier lieu, que dans la période située entre le 10 janvier 1996 et le 3 juin 1997, la durée des délibérés dans les affaires civiles soumises à M. X a été comprise entre trois et six mois, ces délais ayant en outre été prorogés de plusieurs mois pour une grande partie d’entre elles de sorte que, dans certains cas, les jugements n’ont été prononcés que huit mois après l’audience de plaidoirie ;

Attendu, en deuxième lieu, que les vérifications effectuées à partir de réclamations de justiciables révèlent, nonobstant les observations détaillées longuement développées par M. X, que dans les procédures concernant des majeurs protégés Z, A, B, C, veuve D, et E, il a laissé sans la moindre réponse, parfois durant plusieurs mois, des demandes insistantes et réitérées de rendez-vous, de convocation du conseil de famille ou de décision dans des situations d’urgence ; que les refus d’entretien avaient, en outre, un caractère systématique signalé dans un rapport adressé par le juge chargé de l’administration du tribunal au président du tribunal de grande instance de V le 10 mars 1997 et confirmé tant par l’usage d’un formulaire à remplir par chaque solliciteur ne laissant que peu de chances de rencontrer le juge des tutelles que par les indications données par le greffier responsable du service ;

Qu’au surplus, alors qu’il avait fixé des rendez-vous à des personnes à entendre dans le cadre de procédure de tutelle, les 14 février, 2 mai et 22 novembre 1996, il n’était pas au tribunal aux jours et heures convenus ; que l’allégation d’avoir, à chaque fois, prévenu le greffe de son absence n’est pas corroborée par les circonstances dans lesquelles ces personnes disent avoir été éconduites et se trouve même démentie par l’agent concerné ;

Qu’enfin, il résulte tant du rapport établi par le juge chargé de l’administration du tribunal que des précisions fournies par le greffier en chef de la juridiction que M. X a refusé d’aider ses collègues à combler les retards importants accumulés dans la vérification des comptes de tutelles, soit en justifiant son refus par l’importance de sa propre charge de travail ou par des considérations de principe sur la répartition des missions entre le juge des tutelles et le greffier en chef, soit en prétendant n’avoir pas découvert les procès-verbaux de difficultés dans la vérification des comptes que ce dernier assure cependant lui avoir remis ;

Attendu que les délais excessifs imposés par M. X dans le jugement des affaires ne peuvent être expliqués par l’importance de son service, l’inspection générale ayant vérifié que la répartition des charges au sein de la juridiction était équilibrée, observé qu’il estimait pouvoir se livrer, par ailleurs, à des activités d’enseignements et relevé qu’il avait, en outre, dès le début de l’année 1997, bénéficié des aménagements et allégements nécessités par les obligations extérieures qu’il avait provoquées en se faisant inscrire à une session du Centre Y qui le distrayait de ses fonctions judiciaires à raison de deux matinées par semaine ;

Que, telle qu’attestée par les documents produits, l’altération de son état de santé ne peut, à elle seule, expliquer les graves carences et la désinvolture montrées par M. X dans le traitement des dossiers et l’accueil des justiciables, étant observé que chaque fois qu’il en a fait la demande, et très fréquemment, il a bénéficié de congés pour cause de maladie ;

Attendu qu’en contribuant à allonger la durée des procédures civiles et en négligeant sa mission de protection des incapables, M. X a fait preuve d’un manque persistant de rigueur et de sens des responsabilités qui a porté atteinte à la crédibilité de sa fonction vis-à-vis tant des justiciables que des auxiliaires de justice et des personnels de greffe ;

Qu’en conséquence, il y a lieu de prononcer à son encontre le retrait des fonctions de juge d’instance assorti d’un déplacement d’office ;

Par ces motifs,

Prononce à l’encontre de M. X la sanction de retrait des fonctions de juge d’instance assortie du déplacement d’office prévue par les articles 45, 3º et 2º, et 46 de l’ordonnance du 22 décembre 1958.