Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège
Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, et siégeant à la Cour de cassation, sous la présidence de M. Truche, premier président de la Cour de cassation ;
En audience publique, conformément aux dispositions de l’article 6.1 de la Convention européenne du 4 novembre 1950, de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu les articles 43 à 58 modifiés de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu les dépêches du garde des sceaux, ministre de la justice, des 28 mai et 25 septembre 1997, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de Mme X, juge au tribunal de grande instance de V, chargé du service du tribunal d’instance, ainsi que les pièces jointes à ces dépêches ;
Sur le rapport de M. Jean-Yves McKee, désigné par ordonnance du 10 juin 1997, dont Mme X a reçu copie, et de la lecture duquel elle a dispensé le rapporteur ;
Après avoir entendu M. Philippe Ingall-Montagnier, directeur des services judiciaires, assisté de M. Yannick Pressensé, magistrat à l’administration centrale du ministère de la justice ;
Après avoir entendu M. Voirain, premier substitut près le tribunal de grande instance de Bobigny, assistant Mme X, cette dernière ayant présenté ses explications et moyens de défense et ayant eu la parole en dernier ;
Attendu que les actes de la vie privée d’un magistrat et ses décisions juridictionnelles ne relèvent pas, en tant que tels, de l’action disciplinaire ;
Attendu cependant que les relations d’intimité notoire qu’un juge des tutelles entretient avec un gérant de tutelle alors qu’il est chargé, dans l’intérêt des majeurs protégés, de le désigner, de fixer sa rémunération et de contrôler strictement sa gestion, sont de nature à faire suspecter gravement son indépendance et son impartialité lorsqu’il lui accorde systématiquement des émoluments abusifs ;
Attendu que Mme X, juge d’instance à V, fit inscrire en 1993 sur les listes de gérants de tutelle M. Y, avec lequel elle vivait depuis plusieurs mois ; qu’elle le protégea d’interventions des chefs du tribunal de grande instance ; qu’elle suggéra à d’autres juges des tutelles de le commettre notamment en présence d’un patrimoine d’une certaine consistance, que lorsqu’il fit l’objet, en janvier 1997, d’une procédure pénale, manquant à la délicatesse, elle prit sa défense auprès de collègues en charge du dossier ;
Attendu que pour garantir à M. Y les ressources nécessaires à l’exercice d’une activité de plus en plus développée, devenue éminemment rentable, elle choisit de lui confier prioritairement des tutelles d’État plus rémunératrices ainsi que, de préférence à une association également inscrite sur les listes, celles concernant les personnes les plus fortunées ; qu’elle consentit systématiquement des dépassements anormaux d’honoraires ; qu’elle l’autorisa même à prélever des sommes par anticipation sur des émoluments éventuels ;
Attendu que Mme X a ainsi manifestement et pendant plusieurs années manqué aux devoirs de son état et ce d’autant plus gravement qu’elle avait en charge les intérêts de majeurs protégés qu’elle a subordonnés à ceux de son concubin ; que ce comportement, contraire à l’honneur, justifie la révocation de l’intéressée ;
Par ces motifs,
Vu les articles 43 et 45, 7°, de l’ordonnance du 22 décembre 1958,
Prononce la révocation sans suspension des droits à pension de Mme X.