Conseil d’État, section du contentieux, requêtes n° 187839 et 189283

Date
29/07/1998
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice)
Décision
Rejet
Mots-clés
Poursuites disciplinaires (exécution de la sanction)
Amnistie
Probité
Honneur
Rejet
Vice-président de tribunal de grande instance
Fonction
Vice-président de tribunal de grande instance
Résumé
Demande d’annulation, d’une part, d’une décision du CSM ayant dit n’y avoir lieu à application d’une loi d’amnistie et prononcé le déplacement d’office du magistrat et, d’autre part, du décret de nomination consécutif à cette décision. Annulation du décret de nomination pris en exécution d’une décision ayant prononcé le déplacement d’office non définitive et dont l’exécution provisoire n’a pas été prévue
Décision(s) associée(s)

Le Conseil d’État statuant au contentieux (section du contentieux, 6ème et 2ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la section du contentieux

Vu 1), sous le n° 187839, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’État les 16 mai et 16 septembre 1997, présentés pour M. X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d’État :

1 - d’annuler la décision du 12 mars 1997 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, a dit qu’il n’y avait pas lieu de faire application des dispositions de l’article 14 de la loi n° 95-884 du 3 août 1995 portant amnistie et a prononcé à son encontre la sanction de retrait des fonctions de vice-président du tribunal de grande instance de W assortie d’un déplacement d’office ;

2 - de condamner l’État à lui payer la somme de 18 000 F en application de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu 2), sous le n° 189283, la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 juillet et 27 août 1997 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour M. X ; M. X demande au Conseil d’État :

1 - d’annuler le décret du 26 mai 1997 le nommant juge au tribunal de grande instance de V ;

2 - de prononcer d’ores et déjà le sursis à exécution du décret attaqué ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu la loi n° 95-884 du 3 août 1995 ;

Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Marchand, conseiller d’État,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. X,
- les conclusions de M. Girardot, commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes de M. X concernent la situation du même magistrat et ont fait l’objet d’une instruction commune ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la requête n° 187839 :

Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 38 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature : « Au cours des débats du Conseil supérieur de la magistrature siégeant en formation disciplinaire, le directeur des services judiciaires peut être assisté d’un magistrat de sa direction » ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le magistrat de l’administration centrale du ministère de la justice, qui assistait le directeur des services judiciaires lors de la séance du Conseil supérieur de la magistrature réuni le 12 mars 1997 en formation de conseil de discipline des magistrats du siège pour statuer sur les faits reprochés par le garde des sceaux, ministre de la justice à l’encontre du requérant, ait outrepassé le rôle qui lui est dévolu par les dispositions précitées ; qu’il n’a notamment pas participé au délibéré ; que le moyen tiré de ce que la présence de ce magistrat aurait affecté la régularité de la procédure doit, dès lors, être rejeté ;

Considérant, en deuxième lieu, que le Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline, a le caractère d’une juridiction devant laquelle doivent être observées toutes les règles générales de procédure au nombre desquelles est comprise celle d’après laquelle la rédaction des jugements doit contenir le nom des juges ; que l’absence de mention dans le corps de la décision attaquée de la présence d’un magistrat assistant le directeur des services judiciaires qui n’a pas, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, participé aux délibérations, n’est pas de nature à entraîner la nullité de la décision attaquée qui porte en elle-même la preuve de sa régularité ;

Considérant, en troisième lieu, que le Conseil supérieur de la magistrature a fait ressortir dans sa décision les motifs de fait et de droit qui mettent le Conseil d’État, juge de cassation, à même d’exercer son contrôle ; que le requérant n’est, dès lors, pas fondé à soutenir que la décision attaquée est insuffisamment motivée et à en demander, pour ce motif, l’annulation ;

Considérant, enfin, qu’aux termes de l’article 43 de l’ordonnance susvisée du 22 décembre 1958 : « Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité constitue une faute disciplinaire » ; qu’en constatant que les griefs retenus à l’encontre de M. X, dont il ressort du dossier qu’ils ne reposaient pas sur des faits matériellement inexacts, qui étaient de nature à constituer des fautes disciplinaires, n’avaient pas trait au contenu de ses décisions juridictionnelles mais relevaient de son comportement dans différentes affaires relevant de sa juridiction, étaient constitutifs d’un manquement à l’honneur, le Conseil supérieur de la magistrature n’a pas commis d’erreur de droit ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. X tendant à l’annulation de la décision du Conseil supérieur de la magistrature du 12 mars 1997 doit être rejetée ;

Sur la requête n° 189283 :

Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la loi du 3 août 1995 portant amnistie : « Les contestations relatives au bénéfice de l’amnistie des sanctions disciplinaires ou professionnelles définitives sont portées devant l’autorité ou la juridiction en vue de faire constater que le bénéfice de l’amnistie lui est effectivement acquis. En l’absence de décision définitive, ces contestations sont soumises à l’autorité ou à la juridiction saisie de la poursuite. L’exécution de la sanction est suspendue jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la demande ; le recours contentieux contre la décision de rejet de la demande a également un caractère suspensif » ; qu’il résulte de ces dispositions que la sanction de déplacement d’office d’un magistrat du siège ne peut être exécutée si la décision la prononçant n’est pas définitive ; que le 26 mai 1997, date du décret attaqué prononçant le déplacement d’office, la décision du Conseil supérieur de la magistrature sanctionnant le requérant, dont l’exécution provisoire n’a pas été prévue, se trouvait suspendue en raison du recours en cassation exercé par M. X ; qu’il résulte de tout ce qui précède que le décret nommant M. X juge au tribunal de grande instance de V doit être annulé ;

Sur les conclusions à fin d’injonction :

Considérant que l’annulation du décret nommant M. X juge au tribunal de grande instance de V n’implique pas qu’il soit réintégré dans ses fonctions de vice-président du tribunal de grande instance de W dès lors que la décision du Conseil supérieur de la magistrature prononçant à l’encontre du requérant la sanction de retrait des fonctions de vice-président de ce dernier tribunal assortie du déplacement d’office n’est pas elle-même annulée ; que, par suite, les conclusions de M. X à fin d’injonction tendant à ce que le Conseil d’État ordonne au Président de la République de procéder à sa réintégration doivent être rejetées ;

Sur les conclusions de M. X tendant à l’application de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner l’État à payer à M. X la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Décide :

Article 1er : La requête n° 187839 de M. X est rejetée.

Article 2 : Le décret du 26 mai 1997 nommant M. X juge au tribunal de grande instance de V. est annulé.

Article 3 : Le surplus des conclusions de M. X est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. X et au garde des sceaux, ministre de la justice.