Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
21/12/1995
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des auxiliaires de justice, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des justiciables, Manquement au devoir de loyauté à l’égard des supérieurs hiérarchiques, Manquement au devoir de probité (devoir de ne pas abuser de ses fonctions), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Déplacement d'office
Mots-clés
Amnistie
Vie privée
Téléphone
Image de la justice
Délicatesse
Auxiliaire de justice
Justiciable
Loyauté
Supérieur hiérarchique
Probité
Abus des fonctions
Dignité
Honneur
Institution judiciaire (confiance)
Déplacement d'office
Juge
Fonction
Juge au tribunal de grande instance
Résumé
Utilisation par un magistrat du numéro de téléphone d’un justiciable, relevé dans une procédure soumise à son appréciation, et usurpation de l’identité d’un avocat afin de se rapprocher de cette personne. Déclaration mensongère à son chef de juridiction
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, et siégeant à la Cour de cassation, sous la présidence de M. Drai, premier président de la Cour de cassation ;

Vu les articles 43 à 58 modifiés de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche du ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice, du 2 mars 1995, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X, juge au tribunal de grande instance de V, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu les conclusions déposées à l’audience du 14 décembre 1995 par Maître Gaëtan di Marino, avocat au barreau d’Aix-en-Provence, conseil de M. X, et remises à chacun des membres du Conseil supérieur de la magistrature et à M. le directeur des services judiciaires ;

Sur le rapport de M. Jacques Huard, premier juge d’instruction au tribunal de grande instance de Dunkerque, membre du Conseil supérieur de la magistrature, désigné par ordonnance du 8 mars 1995 ;

Après avoir entendu M. Marc Moinard, directeur des services judiciaires au ministère de la justice, assisté de M. Yannick Pressensé, magistrat à l’administration centrale du ministère de la justice ;

Après avoir entendu M. X en ses explications et moyens de défense ;

Après avoir entendu Maître Gaëtan di Marino, avocat au barreau d’Aix-en-Provence, en sa plaidoirie, M. X ayant eu la parole le dernier ;

L’affaire a été mise en délibéré et il a été annoncé que la décision sera rendue le 21 décembre 1995, à 11 heures 30 ;

Attendu qu’aux termes de l’article 43, alinéa 1, de l’ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée, portant loi organique relative au statut de la magistrature : « Tout manquement, par un magistrat, aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité constitue une faute disciplinaire » ;

Attendu que, siégeant le 23 janvier 1995 à une audience du tribunal correctionnel de V, M. X, juge audit tribunal, a relevé, dans le dossier d’une procédure, le numéro de téléphone personnel de Mme Y, qui se présentait à la barre en qualité de victime ;

Qu’il a ultérieurement appelé cette dame plusieurs fois au téléphone, afin de lui proposer un « rendez-vous » en se présentant sous le nom d’un avocat au barreau de V, Maître Z ;

Que, pour conforter sa démarche, il a donné à cette personne le numéro de téléphone de son bureau au palais de justice, lui faisant croire qu’il s’agissait de la ligne personnelle de l’avocat ;

Qu’ayant obtenu, quelques jours plus tard, un « rendez-vous » dans une brasserie à A, il s’est présenté à Mme Y, sans cependant lui révéler sa véritable identité, ni sa qualité de juge ;

Que, ses agissements ayant été dénoncés conjointement par Mme Y et Maître Z au président du tribunal de grande instance de V, M. X a été entendu le 3 février 1995 par le chef de juridiction ;

Qu’il a donné une version très partielle des faits, fardant sur plusieurs points la réalité, et a contesté avoir utilisé le nom d’un avocat pour aboutir à ses fins ;

Que M. X, entendu à nouveau le 6 février 1995, a reconnu ses agissements, tout en les minimisant, et a prétendu avoir voulu rencontrer Mme Y pour lui venir en aide et lui prodiguer des conseils juridiques ;

Attendu qu’à l’audience, M. X a demandé qu’il lui soit fait application des dispositions de l’article 14 de la loi n° 95-884 du 3 août 1995 portant amnistie, s’agissant des faits qualifiés par le garde des sceaux, ministre de la justice, de manquements à la dignité et à la délicatesse ;

Qu’en outre, il a demandé à être renvoyé des fins de la poursuite disciplinaire, s’agissant des faits qualifiés par le garde des sceaux, ministre de la justice, de manquements à l’honneur ;

Attendu qu’aux termes de l’article 50-1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée : « le Conseil supérieur de la magistrature est saisi par la dénonciation des faits motivant les poursuites disciplinaires que lui adresse le garde des sceaux, ministre de la justice » ;

Attendu qu’il incombe au Conseil supérieur de la magistrature, par un examen de la totalité des faits dénoncés dans sa saisine et dans leur indivisible globalité, de dire si les manquements allégués sont susceptibles de caractériser une faute disciplinaire et de donner aux manquements retenus la qualification qui lui apparaît légitime et pertinente ;

Attendu que M. X s’est approprié indûment, à des fins strictement personnelles et égoïstes, dans une procédure soumise à son appréciation, un élément touchant à la vie privée (numéro de téléphone personnel) d’un justiciable comparant devant lui ;

Que pour « se rapprocher » de ce justiciable, il a usurpé l’identité d’un auxiliaire de justice ;

Qu’amené à s’expliquer sur son comportement, il a fait à son chef de juridiction une déclaration mensongère, puis partiellement inexacte ;

Attendu que, ce faisant, M. X a manqué à l’honneur en violant sciemment les obligations de sa charge, contenues dans le serment qu’il a prêté de se conduire en tout comme un digne et loyal magistrat, et que, par un acte relevant en apparence de la vie privée, il a terni l’image de la justice ;

Attendu que, sans qu’il y ait lieu de faire application des dispositions de l’article 14 de la loi du 3 août 1995 susvisée portant amnistie, doit être sanctionnée la faute disciplinaire commise par ce juge ;

Par ces motifs,

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 14 de la loi n° 95-884 du 3 août 1995 portant amnistie ;

Prononce, à l’encontre de M. X, juge au tribunal de grande instance de V, la sanction du déplacement d’office ;

Dit qu’une copie de la présente décision sera adressée, pour servir à leur information, à M. le premier président de la cour d’appel de V et à M. le président du tribunal de grande instance de V.