Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
21/06/1995
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de probité (devoir de ne pas abuser de ses fonctions), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Interdiction temporaire de l'exercice des fonctions
Mots-clés
Argent
Détournement de fonds
Travaux
Faux (factures)
Image de la justice
Probité
Abus des fonctions
Dignité
Institution judiciaire (confiance)
Interdiction temporaire de l'exercice des fonctions
Juge d'instance
Fonction
Juge d'instance
Résumé
Détournements de fonds multiples effectués sur les dotations de fonctionnement d’un tribunal d’instance
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, et siégeant à la Cour de cassation ;

Vu l’article 50 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifié par la loi organique n° 92-189 du 25 février 1992 ;

Vu la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice, du 14 juin 1995, proposant au Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline, d’interdire temporairement à M. X, juge au tribunal de grande instance de V, chargé de l’administration du tribunal d’instance de W, l’exercice de ses fonctions ;

Vu l’avis émis le 26 mai 1995 par le premier président de la cour d’appel de Y ;

Après avoir entendu :
- M. Marc Moinard, directeur des services judiciaires au ministère de la justice, assisté de M. Yannick Pressensé, magistrat à l’administration centrale du ministère de la justice ;
- M. X, celui-ci ayant eu la parole le dernier ;

Attendu que la mesure d’interdiction temporaire, par ses conséquences irrémédiables, ne peut être ordonnée qu’autant que les faits invoqués à l’encontre d’un juge présentent un caractère d’évidence incontestable, dans leur matérialité, ou scandaleuse, par la publicité qui en a été ou peut en être donnée ;

Attendu que, par deux rapports des 21 novembre 1994 et 1er mars 1995, le premier président de la cour d’appel de Y a informé le garde des sceaux d’anomalies constatées dans la gestion du tribunal d’instance de Z, susceptibles d’être imputées à M. X, juge au tribunal de grande instance de Y, chargé du service du tribunal d’instance de Z, du 14 décembre 1984 au 19 juin 1992, et depuis lors juge au tribunal de grande instance de V, chargé de l’administration du tribunal d’instance de W ;

Attendu que, de l’enquête diligentée par les services de l’inspection générale des services judiciaires, il résulte les faits suivants :
- quinze factures, d’un montant total de 82 907,74 francs, prétendument relatives à des travaux de reliure, ont été établies, entre 1986 et 1991, par un commerçant et réglées par le tribunal d’instance de Z ; elles correspondaient, en réalité, à des achats de matériels photographiques et à divers travaux photographiques effectués pour le compte personnel de M. X,
- trois factures, de montants respectifs de 19 782,48 francs, 28 641,90 francs et 7 347,27 francs, ont été établies, en 1989, par une entreprise de maçonnerie et une entreprise de menuiserie, et réglées par le tribunal d’instance de Z ; les travaux facturés ont été réalisés au domicile personnel de M. X ;

Attendu qu’indépendamment d’éventuelles poursuites pénales qui pourraient être engagées et indépendamment d’autres éléments qui nécessitent des investigations complémentaires, il y a lieu de relever que ces faits, qui ont été reconnus par M. X, tant devant les membres de l’inspection générale des services judiciaires que devant le Conseil, revêtent un caractère d’évidence incontestable ;

Qu’ils constituent un obstacle majeur à l’exercice du pouvoir de juger et à l’accomplissement de la mission d’administration de la juridiction de celui qui en est le titulaire, par une grave atteinte à son crédit ;

Qu’il y a lieu de faire droit à la demande d’interdiction temporaire de l’exercice des fonctions ;

Par ces motifs,

Interdit temporairement à M. X l’exercice de ses fonctions de juge au tribunal de grande instance de V, chargé de l’administration du tribunal d’instance de W ;

Dit que la présente décision produira effet dès sa notification ;

Dit que cette interdiction cessera de plein droit de produire ses effets si, à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, le garde des sceaux n’a pas saisi le Conseil supérieur de la magistrature dans les conditions prévues à l’article 50-1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature ;

Dit que copie de la présente décision sera adressée au premier président de la cour d’appel de Y et au président du tribunal de grande instance de V, pour servir à leur information.