Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
13/04/1995
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice)
Décision
Interdiction temporaire de l'exercice des fonctions
Mots-clés
Chef de juridiction
Violence
Menace
Vie privée (relations intimes)
Collègue
Auxiliaire de justice
Presse
Retentissement médiatique
Image de la justice
Probité
Dignité
Honneur
Interdiction temporaire de l'exercice des fonctions
Président de tribunal de grande instance
Fonction
Président de tribunal de grande instance
Résumé
Violences perpétrées par un magistrat à l’encontre d’une magistrate et d’une stagiaire du tribunal, avec lesquelles il entretenait des relations intimes, ayant eu un retentissement médiatique
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, et siégeant à la Cour de cassation,

Vu l’article 50 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifié par la loi organique n° 92-189 du 25 février 1992 ;

Vu la dépêche du ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice, du 6 avril 1995, proposant au Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline, d’interdire temporairement à M. X, président du tribunal de grande instance de V, l’exercice de ses fonctions ;

Vu l’avis du premier président de la cour d’appel de W ;

Après avoir entendu :

M. Marc Moinard, directeur des services judiciaires au ministère de la justice, assisté de M. Yannick Pressensé, magistrat à l’administration centrale du ministère de la justice ;

M. X et son conseil, Maître Liénard, avocat au barreau de Versailles ; M. X ayant eu la parole le dernier ;

Attendu que la mesure d’interdiction temporaire, par ses conséquences irrémédiables, ne peut être ordonnée qu’autant que les faits invoqués à l’encontre d’un juge présentent un caractère d’évidence incontestable ou scandaleuse ;

Attendu que, le 31 mars 1995, aux termes d’une démarche commune, Mme Y, juge au tribunal de grande instance de V, et Mlle Z, greffier stagiaire dans la même juridiction, faisaient part au procureur de la République près le tribunal de grande instance de V des agissements de M. X, président de la juridiction, dont elles auraient été les victimes ;

Attendu que Mme Y et Mlle Z étaient entendues le jour même, par la brigade criminelle de la police judiciaire de Versailles ;

Attendu que, selon Mme Y :
- celle-ci avait entretenu une liaison avec M. X, à partir de l’automne 1993,
- cette liaison s’était dégradée, à partir du mois de février 1994, les disputes faisant suite aux réconciliations et s’accompagnant souvent de violences (physiques et morales), ainsi que de menaces de représailles de la part de M. X,
- au cours de l’été 1994, elle avait fait part de ces faits à d’autres magistrats du tribunal de V, ainsi qu’à un contrôleur judiciaire,
- ayant appris l’existence d’une liaison entre M. X et Mlle Z, elle avait décidé de mettre fin à ses relations avec celui-ci ;

Attendu que, selon Mlle Z, jeune femme âgée de vingt-quatre ans et reconnue invalide « à 80 % » à la suite de troubles neurologiques :
- dès ses premières rencontres avec M. X, elle avait ressenti l’attirance du président envers elle, indiquant avoir été « troublée par l’homme et par l’autorité qu’il représentait », tout en précisant son propre « mal à l’aise »,
- peu à peu, elle devait céder aux avances de M. X,
- subissant une pression psychologique exercée par ce dernier, lequel l’incitait à rompre avec son ami, âgé de vingt-cinq ans, des relations sexuelles étaient consommées, au cours du mois de mars 1995,
- lui ayant fait part de sa décision de rompre, M. X la giflait à plusieurs occasions,
- quelques jours après que celle-ci eut fait une tentative de suicide ayant donné lieu à une hospitalisation, M. X lui portait des coups et la menaçait, devant son refus d’avoir des rapports sexuels ;

Attendu que Mlle Z a produit un certificat médical, daté du 31 mars 1995, faisant état de plusieurs contusions, conduisant à une incapacité temporaire totale de huit jours ;

Attendu que, devant le Conseil, M. X n’a contesté ni la réalité de sa liaison tant avec Mme Y qu’avec Mlle Z, ni la réalité de violences commises sur la personne de cette dernière ;

Attendu que, sous réserve de la qualification pénale des faits qui pourraient être donnée par ailleurs, il convient de constater que le comportement de M. X – dont la vie privée, dans son intimité, doit être protégée – a revêtu, à l’égard d’un juge et d’un greffier stagiaire de sa juridiction, un caractère tumultueux ;

Que ce comportement s’est manifesté, de façon notoire, au sein du tribunal de V, et a connu un certain retentissement médiatique, puisque, outre la presse locale et régionale, de grands quotidiens nationaux s’en sont fait l’écho ;

Qu’il s’ensuit que M. X ne peut plus exercer ses prérogatives de chef de juridiction (organisation du travail judiciaire, exercice de l’autorité hiérarchique et fonction de représentation, notamment), dans le calme et la sérénité qui s’imposent ;

Que le fonctionnement régulier du tribunal de V, qui ne comporte qu’un nombre restreint de juges, risque donc de subir de graves perturbations, source de préjudice pour les justiciables et d’atteinte au crédit de l’institution judiciaire ;

Attendu qu’il y a lieu de faire droit à la demande d’interdiction temporaire de l’exercice des fonctions ;

Par ces motifs,

Interdit temporairement à M. X l’exercice de ses fonctions de président du tribunal de grande instance de V ;

Dit que cette interdiction cessera de plein droit de produire ses effets si, à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, le garde des sceaux n’a pas saisi le Conseil supérieur de la magistrature dans les conditions prévues à l’article 50-1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature ;

Dit que copie de la présente décision sera adressée au premier président de la cour d’appel de W.