Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
20/09/1994
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de légalité (devoir de respecter la loi), Manquement au devoir de pondération, Manquement au devoir de probité (devoir de réserve), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Rejet de la demande d'interdiction temporaire de l'exercice des fonctions
Mots-clés
Poursuites disciplinaires (renvoi)
Instruction
Saisine
Presse
Déclaration
Critique
Légalité
Pondération
Probité
Réserve
Institution judiciaire (confiance)
Interdiction temporaire de l'exercice des fonctions (rejet)
Rejet
Juge d'instruction
Fonction
juge d'instruction
Résumé
Poursuite de l’instruction d’un dossier malgré dessaisissement. Critique de l’institution judiciaire dans la presse remettant en cause son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, et siégeant à la Cour de cassation, sous la présidence de M. Pierre Drai, premier président de la Cour de cassation ;

Vu l’article 50 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifié par la loi organique n° 92-189 du 25 février 1992 ;

Vu la dépêche de M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice, du 31 août 1994, proposant au Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline, d’interdire temporairement à M. X, juge d’instruction au tribunal de première instance de V, l’exercice de ses fonctions ;

Vu l’avis de M. le président du tribunal supérieur d’appel de V ;

Après avoir entendu :
- M. Jean-François Weber, directeur des services judiciaires au ministère de la justice,
- M. X et ses conseils, M. X ayant eu la parole le dernier ;

Sur la demande de renvoi

Attendu que, par lettre du 15 septembre 1994, M. le bâtonnier Mario Stasi, l’un des conseils de M. X, a formulé une demande de report de l’audience fixée au mardi 20 septembre 1994, à 16 heures 30 ;

Attendu que le Conseil supérieur de la magistrature, instance relevant de l’ordre constitutionnel, dont les décisions, en matière disciplinaire, ont une incidence directe sur l’organisation et le fonctionnement des juridictions de l’ordre judiciaire, ne peut accueillir une demande de renvoi, sauf cas de force majeure incontestable ;

Attendu d’autre part, que la demande d’interdiction temporaire ne peut être proposée que s’il y a urgence prouvée (article 50 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée) ; qu’une telle demande, qui vise à mettre fin à d’éventuels faits d’évidence incontestable ou scandaleuse, doit être examinée dans des délais raisonnables ;

Attendu enfin que M. X a été avisé le 7 septembre 1994 de l’audience du 20 septembre 1994 et qu’il a disposé d’un délai suffisant pour assurer sa défense ;

Qu’en cet état, il n’y a lieu à report de l’audience de ce jour ;

Sur la demande d’interdiction temporaire

Attendu que, du dossier soumis au Conseil, il résulte ce qui suit :

Le Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline, a été saisi, le 28 juillet 1994, à l’encontre de M. X, pour des négligences dans la tenue du service de l’instruction, pour l’inorganisation du service de la nationalité et pour son comportement dans ses relations professionnelles ;

La saisine susvisée du 31 août 1994 vise trois séries de faits nouveaux intervenus en juillet et août 1994 et les propose au soutien d’une demande d’interdiction temporaire d’exercice des fonctions ;

1 - Dossier 14/94

Dans une procédure sur plainte avec constitution de partie civile de la famille du président des ..., M. Y, la chambre d’accusation a, le 19 juillet 1994, annulé plusieurs actes d’instruction et évoqué l’affaire, en application de l’article 206 du code de procédure pénale ;

Cette décision, portée à la connaissance de M. X le jour même par téléphone, lui a été notifiée le 21 juillet 1994, en même temps qu’il lui était demandé d’envoyer l’ensemble des pièces du dossier en sa possession ;

Le 22 juillet 1994, la partie civile a formé un pourvoi en cassation, mais faute par elle d’avoir joint une requête demandant à faire déclarer ce pourvoi immédiatement recevable, l’arrêt de la chambre d’accusation est devenu exécutoire, conformément à l’article 570 du code de procédure pénale ;

Néanmoins, M. X a, le 28 juillet 1994, rendu une ordonnance disant y avoir lieu à poursuivre l’information et a effectué des actes d’instruction ;

2 - Courrier du 1er août 1994

Estimant ne plus pouvoir disposer de l’assistance de la gendarmerie à qui le président de la chambre d’accusation avait demandé de ne pas assister le juge d’instruction dans l’affaire Y après son dessaisissement, M. X a adressé, le 1er août 1994, au commandant de la compagnie de gendarmerie, un courrier lui ordonnant de cesser toutes recherches, investigations et exécution de mandats et de lui faire retour de toutes les commissions rogatoires et soit-transmis pour tous les dossiers ;

3 - Déclaration à la presse

En juillet et août 1994, M. X a fait des déclarations à la presse, critiquant les conditions dans lesquelles il avait été dessaisi de certains dossiers et mettant en cause les institutions publiques, judiciaires et politiques et leurs représentants ;

Un des entretiens a paru dans le n° 74 du mensuel … et l’autre dans le « Journal de … » du 24 août 1994 ; Dans ce dernier entretien, M. X critique les décisions de dessaisissement dont il a fait l’objet, déclarant notamment « on me retire tous les dossiers qui intéressent des personnalités locales. Je n’ai pas d’explications sinon que certains protègent les petits avantages matériels ou les amis politiques, tous ces gens qui se côtoient dans les cocktails » ;

Il indique aussi à l’égard du député de U : « Je me pose la question de savoir si cet ami intime du garde des sceaux, membre du même parti, ne va pas mettre en action les menaces proférées au sujet de la suite de ma carrière lors de son inculpation » ;

M. X ne conteste pas avoir tenu les propos qui ont été publiés ; il les estime « tout à fait modérés » ;

Attendu que la mesure d’interdiction temporaire, par le caractère irrémédiable de ses conséquences, ne peut être ordonnée qu’autant que des faits d’évidence incontestables ou scandaleux sont, d’ores et déjà, rapportés en preuve à la charge de celui qui les aurait commis ;

Attendu qu’après débats et eu égard à l’état d’avancement de la procédure disciplinaire au fond, il apparaît que les trois griefs invoqués à l’encontre de M. X ne justifient pas la mesure d’interdiction temporaire sollicitée ;

Par ces motifs,

Dit n’y avoir lieu à report de l’audience du mardi 20 septembre 1994 ;

Dit n’y avoir lieu d’interdire temporairement à M. X l’exercice de ses fonctions.