Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
02/07/1992
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir d'impartialité, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard de la justice, Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat (obligation d’assumer ses fonctions), Manquement au devoir de probité (devoir de réserve), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Non-lieu à sanction
Non-lieu à retrait de l'honorariat
Mots-clés
Argent
Dette
Retard
Travaux
Avantage
Corruption
Retraite
Sanction disciplinaire
Retrait de l'honorariat (non-lieu)
Honorariat
Impartialité
Délicatesse
Justice
Etat de magistrat
Fonctions
Probité
Réserve
Institution judiciaire (confiance)
Non-lieu à sanction
Président de chambre de cour d'appel
Fonction
Président de chambre de cour d'appel
Résumé
Règlement d’une facture importante avec plusieurs années de retard et après l’engagement des poursuites disciplinaires. Acceptation de travaux réalisés gratuitement par un entrepreneur notable local. Constat de ce que l’admission à la retraite d’un magistrat constitue un obstacle au prononcé d’une sanction disciplinaire. Impossibilité de prononcer une décision de retrait de l’honorariat sur le fondement de faits commis avant l’admission à la retraite du magistrat poursuivi

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, et siégeant à la Cour de cassation, sous la présidence de M. Pierre Drai, premier président de la Cour de cassation ;

Vu les articles 43 à 58, 77 et 79 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiés par les lois organiques n° 67-130 du 20 février 1967, n° 70-642 du 17 juillet 1970, n° 79-43 du 18 janvier 1979, n° 80-844 du 29 octobre 1980 et n° 92-189 du 25 février 1992 ;

Vu les articles 13 et 14 de l’ordonnance n° 58-1271 du 22 décembre 1958 portant loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 9 à 13 du décret n° 59-305 du 19 février 1959 relatif au fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice, du 31 décembre 1991, dénonçant au Conseil les faits motivant une poursuite disciplinaire contre M. X, président de chambre à la cour d’appel de V, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice, du 27 février 1992, demandant au Conseil de prononcer également à l’égard de M. X, à raison des faits mentionnés dans la dépêche du 31 décembre 1991, le retrait d’honorariat prévu à l’article 79 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 susvisée ;

Sur le rapport de M. Galabert, désigné par ordonnance du 15 janvier 1992 ;

Après avoir entendu M. le directeur des services judiciaires ;

Après avoir entendu Maître Foussard, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, en sa plaidoirie, et pris connaissance du mémoire déposé par lui pour M. X ;

M. X ayant fait connaître au Conseil qu’il ne pouvait, pour raisons médicales, se déplacer pour assister à la séance ;

Attendu, d’une part, qu’il résulte de l’instruction de la poursuite disciplinaire et qu’il n’est d’ailleurs pas contesté par l’intéressé, que M. X a fait édifier à la fin de 1987 un garage à proximité de sa maison, en fournissant lui-même une partie des matériaux et n’a réglé que le 22 janvier 1992 à l’entrepreneur, M. Y, la facture correspondante, d’un montant de 8 600 francs, T.T.C. ; qu’en admettant même que, comme le soutient M. X, la facture en cause, qui porte la date du 30 décembre 1987, ne lui ait été envoyée par l’entrepreneur qu’après qu’il l’eût réclamée en janvier 1992, le fait pour ce magistrat de n’avoir procédé au règlement de cette facture, d’un montant non négligeable, que plus de quatre ans après l’exécution des travaux, postérieurement à l’engagement à son égard des poursuites disciplinaires, ne constitue pas seulement une grave négligence mais présente le caractère d’un manquement à la délicatesse et d’un comportement contraire aux devoirs de son état, notamment par l’atteinte qu’il est susceptible de porter à l’autorité et au crédit de l’institution judiciaire, [sur l’île de] W ;

Attendu, d’autre part, qu’il résulte de l’instruction et n’est pas davantage contesté que M. X a accepté, début 1991, que M. Z, entrepreneur habitant, comme lui, Y, effectue gratuitement les travaux de terrassement nécessaires à la mise en place d’une piscine que M. X faisait installer chez lui ; qu’en admettant même que l’exécution de ces travaux ait été présentée par M. Z comme un service rendu au titre des relations de bon voisinage et que leur coût ait été relativement modeste, le fait pour M. X d’accepter de M. Z, qu’il ne connaissait, selon ses propres dires, que depuis peu de temps et de façon très superficielle, l’exécution gratuite de travaux constitue de la part de ce magistrat une imprudence d’autant plus grave qu’il ne pouvait ignorer que M. Z, lui-même entrepreneur d’une certaine importance, était membre d’une famille d’entrepreneurs très connue dans l’Ile, dont l’activité professionnelle était normalement susceptible de donner lieu à des litiges relevant de la compétence des juridictions de W ; que, d’ailleurs, M. X a été obligé en 1991, après qu’un tract violent eut fait état de ses bonnes relations supposées avec M. Z, de se déporter dans une affaire de référé où ce dernier était partie ; que les faits, ci-dessus rapportés, caractérisent de la part de M. X, au-delà d’une imprudence grave, un manquement à l’obligation qui incombe à tout magistrat d’observer une réserve rigoureuse et d’éviter tout comportement de nature à entraîner le risque que son impartialité puisse être mise en doute et que puisse être, de ce fait, atteinte l’autorité de l’institution judiciaire ;

Attendu que l’ensemble de ces faits sont de nature à justifier une sanction disciplinaire ;

Sur quoi :

En ce qui concerne l’application d’une sanction disciplinaire à M. X

Attendu que M. X, président de chambre à la cour d’appel de V, a été, par arrêté du 12 février 1992 du garde des sceaux, ministre de la justice, admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 18 février 1992 ; que la cessation définitive des fonctions résultant de cette mise à la retraite entraîne, aux termes de l’article 73 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, « radiation des cadres et perte de la qualité de magistrat » ; qu’elle fait donc obstacle, alors même que la poursuite disciplinaire a été engagée avant ladite cessation de fonctions, à ce que soit prononcée, à l’égard de M. X, l’une des sanctions disciplinaires limitativement énumérées à l’article 45 de l’ordonnance susmentionnée du 22 décembre 1958 ;

En ce qui concerne le prononcé à l’égard de M. X d’une décision de retrait d’honorariat

Attendu qu’aux termes de l’article 77 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifié par l’article 17 de la loi organique n° 80-844 du 29 octobre 1980 : « Tout magistrat admis à la retraite est autorisé à se prévaloir de l’honorariat de ses fonctions. Toutefois, l’honorariat peut être refusé au moment du départ du magistrat par une décision motivée de l’autorité qui prononce la mise à la retraite, après avis du Conseil supérieur de la magistrature en ce qui concerne les magistrats du siège » et qu’aux termes de l’article 79 de la même ordonnance : « Les magistrats honoraires sont tenus à la réserve qui s’impose à leur condition. - L’honorariat ne peut leur être retiré que dans les formes prévues au chapitre VII. » ;

Attendu, toutefois, que le garde des sceaux, ministre de la justice, a donné comme fondement exclusif à sa saisine l’article 79 précité de l’ordonnance du 22 décembre 1958, cet article étant d’ailleurs le seul, par le renvoi qu’il fait au chapitre VII de l’ordonnance, à prévoir l’intervention, en matière d’honorariat, du Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège ;

Attendu qu’il résulte des termes de l’article 79 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 et de son rapprochement avec l’article 77 de la même ordonnance que le retrait d’honorariat qu’il prévoit est une mesure qui a pour effet de mettre fin, pour l’avenir, à l’honorariat dont bénéficie un magistrat, lorsque le comportement de ce magistrat, postérieurement à son admission à la retraite, fait obstacle, notamment en cas de manquement à la « réserve » mentionnée à l’alinéa 1er de l’article 79, à ce qu’il puisse continuer à se prévaloir de l’honorariat ;

Attendu qu’en l’espèce, les faits invoqués comme fondement de la demande de retrait d’honorariat sont des faits commis par M. X avant son admission à la retraite ; que si ces faits avaient été connus, au moment de l’admission à la retraite, l’autorité compétente pour prononcer la mise à la retraite aurait été tenue de prendre la décision de refus d’honorariat prévue à l’article 77 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 ; que la circonstance qu’ils n’aient été révélés et caractérisés, à la suite de l’enquête disciplinaire, que postérieurement à l’admission à la retraite de l’intéressé ne permet pas le prononcé d’un retrait d’honorariat, sur le fondement du seul article 79 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 ;

Par ces motifs,

Dit que l’admission à la retraite de M. X fait obstacle à ce que soit prononcée à son encontre l’une des sanctions disciplinaires limitativement énumérées à l’article 45 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Dit que l’article 79 de la même ordonnance ne permet pas de prendre à l’encontre de M. X une décision de retrait d’honorariat à raison des faits ci-dessus qualifiés.