Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège
Nous, Pierre Drai, premier président de la Cour de cassation, siégeant à la Cour de cassation et agissant en qualité de président du Conseil supérieur de la magistrature par application de l’article 13 de l’ordonnance n° 58-1271 du 22 décembre 1958 et de l’article 51, alinéa 3, de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 Décembre 1958 ;
Avons rendu l’ordonnance ci-après :
Attendu que, par dépêche du 10 janvier 1990, M. le garde des sceaux, ministre de la justice, a dénoncé au Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline, des faits et agissements imputables à faute disciplinaire et visant M. X, juge au tribunal de grande instance de V, chargé du service de l’application des peines ;
Attendu qu’à cette dépêche ont été joints le dossier personnel du magistrat mis en cause et les documents afférents à la poursuite, notamment le rapport de l’inspection générale des services judiciaires ;
Attendu que, par ordonnance du 16 janvier 1990, nous avons désigné Mme Colette Même, membre du Conseil supérieur de la magistrature, à l’effet de présenter rapport ;
Attendu que la dépêche de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, comporte également, à l’encontre de M. X, une demande d’interdiction temporaire des fonctions, par application de l’article 51 de l’ordonnance susvisée du 22 décembre 1958 ;
Sur la demande d’interdiction temporaire des fonctions
Attendu que M. X, qui a pris connaissance des pièces et documents afférents à la poursuite disciplinaire, a comparu en personne, à notre audience tenue à huis clos le jeudi 24 janvier 1990 ;
Qu’après que M. le directeur des services judiciaires eut présenté ses observations, M. X a été entendu en ses explications ;
Que M. François Staechelé, conseiller à la cour d’appel de Metz, et Mme Joëlle Brun, juge au tribunal de grande instance de Nîmes, tous deux magistrats du siège désignés par M. X, ont été entendus en qualité de « pairs » ;
Qu’enfin M. Henri Leclerc et M. Olivier Metzner, avocats à la cour d’appel de Paris, ont présenté la défense de M. X ;
Attendu qu’il est reproché à M. X d’avoir, dans l’exercice de ses fonctions de juge de l’application des peines, commis des « violations manifestes des règles de procédure » et des « violations grossières des règles régissant l’exécution des peines », en s’abstenant systématiquement de consulter la commission de l’application des peines ou en inscrivant, à cet égard, de « fausses mentions » dans ses décisions, en ne respectant pas les délais requis pour l’attribution du bénéfice des réductions de peine, en autorisant certains détenus à résider dans un lieu de leur choix, sans en avertir le parquet ni le directeur de l’établissement pénitentiaire, en tolérant que des détenus placés à l’extérieur par ses soins n’exercent aucune activité professionnelle compatible avec leur état et en accordant des permissions de sortir ne portant pas mention du lieu où le détenu devrait se rendre ;
Qu’en outre, il est reproché à M. X de « fréquenter assidûment » un détenu placé à l’extérieur par ses soins, M. Y, avec qui il aurait noué « une relation de sympathie » dont les manifestations extérieures constitueraient autant d’atteintes à l’obligation de réserve s’imposant aux juges et entraîneraient un grave discrédit pour leur auteur ;
Attendu que M. X s’est expliqué sur l’ensemble des faits qui lui sont ainsi reprochés ;
Attendu qu’au terme des débats et après consultation des pièces et documents de la cause, il n’apparaît pas que la mesure d’interdiction temporaire des fonctions puisse être, dès à présent, prescrite ;
Qu’en effet, il doit être porté, après plus ample instruction, une plus fine appréciation des conditions dans lesquelles ont été prises les décisions incriminées, dès lors que des conditions d’urgence ou d’opportunité sont alléguées qui « expliqueraient » les défaillances procédurales incriminées, dès lors encore que les recours prévus par la loi contre des décisions de juge n’ont pas été formés ou n’ont pas abouti, dès lors enfin qu’il est admis que M. X qui a agi « avec foi et enthousiasme et peut-être naïveté » dans le développement des chantiers extérieurs, « n’avait jamais eu les moyens techniques d’assurer la surveillance des détenus placés sous ce régime » (rapport du procureur général près la cour d’appel de V du 17 novembre 1989) ;
Attendu qu’en cet état, il apparaît que la mesure, grave et nécessairement exceptionnelle, que constitue l’interdiction temporaire des fonctions, ne saurait être ordonnée, dans l’immédiat ;
Attendu, d’autre part, que la « relation de sympathie » qui aurait été nouée entre M. X et M. Y, outre qu’elle ne serait établie que par des documents contestés dans leur régularité (écoutes téléphoniques) ou par l’accumulation de décisions en faveur dudit M. Y qui n’ont cependant pas été soumises à la critique normale par voie de recours, n’apparaît qu’au travers d’allusions par essence équivoques ou controuvées par des attestations contraires ou dubitatives ;
Que, sur ce second grief encore, et en l’absence de tout fait d’évidence incontestable ou scandaleuse, d’ores et déjà rapporté en preuve, il ne saurait être recouru, en l’état, à la mesure d’interdiction dont les effets, dans la réalité des choses, entraîneraient un préjudice excessif et non réparable pour celui qui la subirait ;
Attendu, enfin, que la procédure disciplinaire engagée contre lui, constitue pour M. X la plus forte incitation qui puisse être à éviter pour l’avenir les faits qui lui sont reprochés et qu’ainsi tout risque de récidive de sa part peut être raisonnablement écarté ;
Par ces motifs,
Disons qu’il n’y a pas lieu, en l’état, de prononcer, à l’encontre de M. X, juge au tribunal de grande instance de V, chargé du service de l’application des peines, la mesure d’interdiction d’exercer ses fonctions requise à son encontre ;
Disons que la présente décision ne pourra faire l’objet d’aucune publicité, de quelque nature que ce soit.