Le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet
CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE
Formation compétente à l’égard des magistrats du parquet |
AVIS MOTIVE
Dans la procédure mettant en cause :
Monsieur X,
Premier vice-procureur de la République au parquet national financier près le tribunal judiciaire de Xx,
La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet,
Sous la présidence de M. Jean-Paul Sudre, avocat général honoraire à la Cour de cassation, président suppléant de la formation,
En présence de :
Mme Sandrine Clavel,
M. Yves Saint-Geours,
Mme Hélène Pauliat,
M. Georges Bergougnous,
Mme Natalie Fricero,
M. Frank Natali,
M. Olivier Schrameck,
Mme Jeanne-Marie Vermeulin,
M. David Charmatz,
Mme Isabelle Pouey,
M. Jean-François Mayet,
Mme Dominique Sauves,
Mme Marie-Antoinette Houyvet,
Membres du Conseil,
Assistés de Mme Sophie Rey, secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature et de Mme Aurélie Vaudry, greffier principal ;
Vu l’article 65 de la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958, modifiée, portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 66 ;
Vu la loi organique n°94-100 du 5 février 1994, modifiée, sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;
Vu le décret n°94-199 du 9 mars 1994, modifié, relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;
Vu la dépêche du Premier ministre du 21 avril 2021, reçue le 23 avril 2021, et les pièces annexées, saisissant le Conseil supérieur de la magistrature pour avis sur les poursuites disciplinaires diligentées à l’encontre de M. X ;
Vu l’ordonnance du 28 avril 2021 désignant Mme Sandrine Clavel et Mme Jeanne-Marie Vermeulin, membres du Conseil, en qualité de rapporteures ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, préalablement mis à sa disposition ainsi qu’à celle de ses conseils ;
Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure, dont M. X et ses conseils ont reçu copie ;
Vu le rapport du 12 juillet 2022 déposé par Mme Sandrine Clavel et Mme Jeanne-Marie Vermeulin, dont M. X a reçu copie ;
Vu la convocation adressée à M. X le 19 juillet 2022 et sa notification du 20 juillet 2022 ;
Après avoir entendu, lors de l’audience publique des 20 et 21 septembre 2022 :
- Mme Sandrine Clavel et Mme Jeanne-Marie Vermeulin, en leur rapport ;
- M. Paul Huber, directeur des services judiciaires, assisté de Mme Emilie Zuber, magistrate, adjointe à la cheffe de bureau du statut et de la déontologie de cette direction, représentant la Première ministre, qui a conclu à l’existence de fautes disciplinaires commises par M. X et au non-lieu à sanction à son encontre ;
- M. X, assisté de Maître A, avocate au barreau de Xx, de Maître B, avocat au barreau de Xxx, de M. D, secrétaire général de G substituant Mme C, présidente de G, de Mme F, secrétaire nationale de G substituant E, délégué régional de G de la Cour d’appel de Xx, M. X ayant eu la parole en dernier ;
- Mme H, M. I et Mme J, témoins cités par la défense ;
A rendu le présent
AVIS
L’acte de saisine du Premier ministre relève à l’encontre de M. X des manquements aux obligations de respect et d’attention portée à autrui, de prudence, de loyauté et d’impartialité et aux devoirs liés à l’état de magistrat :
- pour avoir formulé des accusations dans des termes traduisant un manque de considération et du mépris qui n’ont pas leur place dans une communication institutionnelle, à l’encontre de sa supérieure hiérarchique ;
- pour avoir eu recours à la voie pénale de l’article 40 du code de procédure pénale à l’encontre de sa supérieure hiérarchique de manière manifestement inappropriée et très insuffisamment étayée ;
- pour avoir eu recours à des vérifications selon des méthodes contestables et intrusives pour ses collègues alors qu’il ressort des observations de son actuel chef de parquet qu’il n’a pas toujours un regard neutre et objectif.
Ayant été saisi les 5 et 19 septembre 2022 de deux questions prioritaires de constitutionnalité, le Conseil les a déclarées irrecevables par deux délibérations du 20 septembre 2022 remises aux parties avant la poursuite des débats ;
Avant toute défense au fond, M. X a conclu à l’illégalité, d’une part, de la saisine du Conseil par le Premier ministre, et, d’autre part, de la saisine préalable de l’Inspection générale de la justice par le garde des sceaux, ministre de la justice.
Le Conseil a joint au fond l’examen de ces exceptions.
SUR LES EXCEPTIONS DE procédure
Le contexte procédural
Il résulte du dossier de la procédure que le 4 mars 2014, soit quelques semaines seulement après la création du parquet national financier, le 1er février 2014, une enquête préliminaire, dite « enquête W », était ouverte pour violation du secret professionnel par Mme H, substitut. Cette enquête préliminaire, confiée à M. X, premier vice-procureur financier et à Mme J, procureur de la République financier adjoint, présentait un lien de connexité avec une information judiciaire, dite « procédure WW », ouverte le 26 février 2014, mettant en cause un ancien président de la République, M. M, son avocat, Me L, et un premier avocat général à la Cour de cassation, M. K dans le cadre d’un possible trafic d’influence. Ces deux dossiers étaient eux-mêmes adossés à un dossier d’instruction dit « WWW » conduit par deux juges d’instruction depuis avril 2013.
L’enquête préliminaire W visait à rechercher et identifier la personne qui avait avisé Me L, le 25 février 2014, de la mise en place d’interceptions téléphoniques dans le cadre de l’information WW. Elle comportait notamment des investigations relatives à l’identification des numéros appelés et appelants concernant les lignes téléphoniques de plusieurs avocats du barreau de Xx, dont Me L et Me N Le cours de cette enquête s’est poursuivi au sein du parquet national financier jusqu’à son classement sans suite, le 4 décembre 2019.
Le 30 juin 2020, Me N et Me L déposaient plainte des chefs d’atteinte à l’intimité de la vie privée et violation du secret professionnel, après avoir pris connaissance des investigations menées à l’initiative du parquet national financier.
Par lettre de mission du 1er juillet 2020, Madame O, garde des sceaux, ministre de la justice, saisissait l’Inspection générale de la justice aux fins de conduire une inspection de fonctionnement sur cette enquête préliminaire W.
Me N était nommé garde des sceaux, ministre de la justice, le 6 juillet 2020.
Le rapport relatif à l’inspection de fonctionnement était remis le 15 septembre 2020.
Par lettre de mission du 18 septembre 2020, la directrice de cabinet du garde des sceaux, ministre de la justice, saisissait l’Inspection générale de la justice aux fins de conduire une enquête administrative concernant trois magistrats du parquet national financier ayant été en charge de l’enquête W : Mme P, procureur de la République financier honoraire, Mme J, procureur de la République financier adjoint et M. X, premier vice-procureur financier.
Puis, était publié, le 24 octobre 2020, le décret n° 2020-1293 du 23 octobre 2020, pris en application de l’article 2-1 du décret n° 59-178 du 22 janvier 1959 relatif aux attributions des ministres, aux termes duquel le Premier ministre exercerait, notamment, les attributions du garde des sceaux, ministre de la justice, concernant les « actes de toute nature » … « relatifs à la mise en cause du comportement d’un magistrat à raison d’affaires impliquant des parties dont [celui-ci] a été l’avocat ou dans lesquelles il a été impliqué ».
Le Conseil supérieur de la magistrature était saisi de la présente procédure au visa du décret précité du 23 octobre 2020.
Sur l’illégalité de l’acte de saisine du Conseil par le Premier ministre
M. X soulève l’illégalité de l’acte de saisine du Conseil supérieur de la magistrature au motif que le Premier ministre n’était pas compétent pour saisir le Conseil, le décret de déport précité ne pouvant lui permettre d’engager des poursuites disciplinaires à l’encontre des magistrats, s’agissant d’une compétence spéciale confiée au garde des sceaux, ministre de la justice, par l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.
Si la légalité d’un décret par rapport à une loi organique peut être utilement contestée devant les juridictions administratives, et dans certaines hypothèses, devant le juge judiciaire, une institution dotée d’un simple pouvoir d’avis ne peut effectuer un tel contrôle.
En effet, lorsque le Conseil supérieur de la magistrature, dans sa formation compétente à l’égard des magistrats du parquet, est appelé à connaître, en vertu de l’alinéa 7 de l’article 65 de la Constitution, de l’éventualité d’infliger une sanction disciplinaire, il ne dispose d’aucun pouvoir de décision et se borne à émettre un avis à l’autorité compétente sur le principe du prononcé d’une sanction disciplinaire et, s’il y a lieu, sur son quantum, aucune sanction ne pouvant être prononcée sans cet avis, en application de l’article 59 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Ainsi, en l’état actuel des textes, le Conseil ne peut que constater qu’il ne constitue pas une juridiction.
Dès lors, la question de la légalité du décret précité, pour sérieuse qu’elle puisse paraître, ne peut utilement être soulevée devant lui.
En conséquence, l’exception sera déclarée irrecevable.
Sur l’illégalité de la saisine de l’Inspection générale de la justice par M. N, garde des sceaux, ministre de la justice
M. X soutient que le garde des sceaux, ministre de la justice, a délibérément violé les articles 1 et 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique en saisissant l’Inspection générale de la justice d’une mission d’enquête administrative le concernant, dès lors qu’il se trouvait en situation de conflit d’intérêts pour, d’une part, avoir déposé une plainte pénale, le 30 juin 2020, en sa qualité d’avocat, des chefs d’atteinte à l’intimité de la vie privée et violation du secret professionnel à la suite des investigations menées à l’initiative du parquet national financier dans le cadre de l’enquête préliminaire W et, d’autre part, d’avoir, en sa qualité d’avocat puis de ministre, tenu publiquement des propos désobligeants à l’égard de trois magistrats du parquet national financier, dont lui-même. Il estime qu’« un tel conflit d’intérêts entache d’illégalité toute procédure ordonnée dans ces conditions, quelle qu’en soit la nature juridique, administrative, disciplinaire ou pénale, pour violation du principe d’impartialité de l’autorité publique », soulignant que le respect de ce principe est la condition nécessaire à la tenue d’un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH).
En ordonnant, le 18 septembre 2020, une enquête administrative à l’encontre de M. X, par l’intermédiaire de sa directrice de cabinet, après avoir déposé une plainte le 30 juin 2020 à la suite des investigations menées à l’initiative du parquet national financier et avoir dénoncé publiquement, à plusieurs reprises, les méthodes employées par les membres de ce parquet, le garde des sceaux, ministre de la justice, s’est trouvé dans une situation objective de conflit d’intérêts qui est à l’origine du décret de déport du 23 octobre 2020 précité, fondement de l’intervention du Premier ministre en qualité d’autorité de saisine du Conseil.
Cependant, cette situation de conflit d’intérêts n’a pas eu d’incidence sur les conditions d’impartialité et de loyauté dans lesquelles les inspecteurs ont accompli leur mission, M. X ne contestant d’ailleurs pas la façon dont l’enquête a été menée.
Dans ces conditions, l’exception soulevée de ce chef sera rejetée.
SUR LE FOND
Selon les dispositions du premier alinéa de l’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée : « Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».
Sur les faits à l’origine des poursuites disciplinaires
Le contexte professionnel
Par décret du 30 janvier 2014, M. X était nommé premier vice-procureur au parquet national financier, après avoir exercé pendant six ans au sein de la section économique, financière et commerciale du parquet de Xx. Il était l’un des cinq premiers magistrats installés au parquet national financier le 1er février 2014.
Il résulte des conclusions du rapport de l’inspection de fonctionnement précité de septembre 2020 que le parquet national financier, dont les effectifs ont crû significativement et dont la montée en charge des affaires a été progressive, « a, par son action, rempli les objectifs assignés lors de sa constitution, à savoir lutter efficacement contre les atteintes à la probité et la délinquance économique et financière de très grande complexité […] Il a ainsi acquis une visibilité internationale de nature à conforter l’image d’efficacité et de rigueur de la France dans son champ d’intervention ».
Pour autant, ce rapport relevait un fonctionnement cloisonné ainsi qu’un manque de transversalité et un déficit de communication interne entravant la cohésion d’équipe et l’implication de ses membres dans une dynamique collective.
A ce titre, l’enquête administrative et la procédure disciplinaire ont mis en évidence l’existence de tensions professionnelles manifestes entre M. X et Mme P qui ont débuté dès les premières semaines du fonctionnement du parquet national financier, notamment à l’occasion du traitement initial de la procédure WW, précitée. En effet, M. X a reproché à sa cheffe de parquet d’avoir hésité pendant plusieurs jours avant d’ouvrir une information judiciaire au détriment, selon lui, de la confidentialité qu’une réaction plus rapide aurait pu préserver.
Il résulte des constats opérés que plusieurs sujets ont cristallisé ces tensions : l’appréciation négative portée par Mme P sur la qualité des productions écrites de M. X et les corrections qu’elle y a apportées ou fait apporter ; l’attribution ou la redistribution du suivi de dossiers politiquement sensibles au sein du parquet national financier ; l’expression par M. X de critiques à l’encontre de sa cheffe de parquet, principalement au sein du parquet national financier, voire à l’extérieur de celui-ci, tant sur sa compétence que sur sa gestion des ressources humaines ; l’expression, plus ponctuelle et moins systématique, selon les rapporteures disciplinaires, de critiques émanant de Mme P à l’encontre de M. X ; l’existence d’analyses divergentes sur le traitement de certaines procédures menées au sein du parquet national financier.
De profondes différences de perception par les intéressés des causes de ces tensions récurrentes ont été clairement mises en évidence par leurs auditions au cours de l’enquête disciplinaire.
En résumé, M. X estime que Mme P a été à l’origine des difficultés relationnelles qui les a opposés et de la marginalisation progressive dont il aurait été victime au sein du parquet national financier. Récusant l’ensemble des critiques émanant de sa cheffe de parquet sur son positionnement, son comportement et la qualité de son travail, il a réitéré avec constance ses reproches sur les compétences managériales et techniques de Mme P ainsi que sur son comportement déontologique.
Pour sa part, celle-ci a déclaré que les relations avec M. X se sont détériorées au fil du temps mais qu’il est à l’origine de la rupture des relations, s’étant marginalisé au sein du parquet national financier. Elle a confirmé des divergences d’analyse avec l’intéressé sur le traitement de plusieurs dossiers précisant que ce dernier « ne supportait pas qu’on ne partage pas son avis ». Elle a également réitéré à plusieurs reprises ses reproches sur la qualité des écrits produits par M. X et a contesté ses assertions relatives aux manquements déontologiques qu’il lui imputait.
Ces fortes tensions professionnelles, à l’origine du « climat délétère dans lequel [ces deux magistrats] ont évolué pendant ces années », selon les termes employés par l’Inspection générale de la justice, se sont aggravées jusqu’au point de rupture provoqué par la dénonciation du 17 janvier 2019, formulée à l’encontre de Mme P par M. X auprès de la procureure générale près la cour d’appel de Xx sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale.
Ces tensions ont également trouvé leur traduction dans l’unique évaluation dont M. X a fait l’objet, le 17 juillet 2019, par la procureure générale, pour l’ensemble des années 2014 à 2019, au vu d’une annexe 3 très critique rédigée par Mme P.
M. X a saisi d’un recours la commission d’avancement qui, par avis du 27 novembre 2019, a estimé que la procédure d’évaluation était irrégulière. Il a ensuite saisi, courant 2020, le tribunal administratif de Xx d’un recours pour excès de pouvoir et d’un recours indemnitaire actuellement pendants.
Sur le grief d’avoir eu recours à la voie pénale de l’article 40 du code de procédure pénale à l’encontre de sa supérieure hiérarchique de manière manifestement inappropriée et très insuffisamment étayée ;
En l’espèce, M. X a adressé, le 17 janvier 2019, à la procureure générale près la cour d’appel de Xx un courrier de quinze pages, assorti de dix-neuf annexes, dans lequel il indique en introduction : « En effet, j’observe au parquet national financier, depuis ses débuts une dérive déontologique dont certains aspects pourraient peut-être même recevoir une qualification pénale ». Il ajoutait : « C’est donc aussi en application de l’article 40 du code de procédure pénale que je suis contraint d’agir ».
Selon les explications qu’il a fournies à l’Inspection générale de la justice, M. X a indiqué que l’élément déclencheur de ce courrier avait été la réécriture par une assistante spécialisée, au début de l’année 2019, d’un réquisitoire qu’il avait rédigé dans une affaire complexe, réécriture qu’il n’avait pas acceptée.
M. X a déclaré avoir pris l’attache du Service d’aide et de veille déontologique du Conseil supérieur de la magistrature avant d’accomplir cette démarche mais a reconnu que, s’il lui avait été conseillé de s’adresser à la procureure générale pour faire état de ses doléances déontologiques, il n’avait lui-même fait aucune référence à l’article 40 du code de procédure pénale.
Le courrier du 17 janvier 2019 articule de nombreux griefs dont une faible partie seulement pourrait relever de l’article 40 du code de procédure pénale. On rappellera que ce texte impose à toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit d’en donner avis sans délai au procureur de la République.
Or, M. X critique, à titre principal, des retards ou réticences de Mme P à exercer des poursuites dans plusieurs dossiers. Il formule également une hypothèse sur l’origine des fuites relatives à l’existence d’interceptions téléphoniques de conversations dans le dossier d’information 872, précité, qu’il impute à la fille de Mme P, stagiaire puis collaboratrice dans un cabinet d’avocats, tout en précisant qu’il s’agit pour lui d’une « supposition ».
S’agissant des griefs susceptibles de relever d’une dénonciation au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, M. X estime tout d’abord que Mme P se serait placée, en 2015, dans une situation de conflit d’intérêts en conservant la supervision d’un dossier relatif à un réseau d’initiés dans lequel apparaîtrait une possible implication personnelle d’un avocat appartenant au cabinet dans lequel sa fille était employée. S’interrogeant sur l’aspect déontologique de cette situation, il cite dans son courrier une jurisprudence applicable à la prise illégale d’intérêts.
Pour autant, M. X se dispense d’étayer plus précisément sa dénonciation au regard de cette infraction.
Ensuite, il dénonce une situation de harcèlement au sein du parquet national financier, « génératrice d’une grande souffrance au travail », résultant du comportement de Mme P à son égard et à l’égard de sa collègue Mme J comportant notamment des dessaisissements de dossiers, une absence d’évaluation, la rareté des dossiers lui étant confiés ainsi que la surveillance des horaires de travail de cette collègue.
Toutefois, là encore, M. X se dispense d’étayer le caractère harcelant du comportement reproché, dont il n’évoque aucunement la nature infractionnelle. Au demeurant, il résulte de l’enquête disciplinaire que les auditions réalisées infirment l’existence au sein du parquet national financier d’un harcèlement moral au sens pénal du terme.
La procureure générale près la cour d’appel de Xx a, le 25 février 2019, après audition de M. X et de Mme P, non seulement procédé au classement sans suite de la dénonciation de M. X mais également rappelé ce dernier à ses obligations déontologiques. Celui-ci était ensuite délégué au parquet général de Xx de mars à septembre 2019 avant de revenir exercer ses fonctions au parquet national financier.
Toute dénonciation sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, stigmatisante par nature, implique qu’elle soit suffisamment étayée pour les faits en relevant, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Ce courrier comporte, par ailleurs, des hypothèses non démontrées ainsi que des constructions intellectuelles hasardeuses, le tout assorti de jugements de valeur.
Il était possible à M. X, en s’adressant à la procureure générale en sa qualité de supérieure hiérarchique de Mme P, de rester sur le seul terrain déontologique.
Or, le recours à une dénonciation sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale par un magistrat à l’encontre de son supérieur hiérarchique est, pour le moins, une procédure exceptionnelle à laquelle il ne saurait être recourue sans en respecter les conditions.
Le Conseil estime qu’il s’agit en l’espèce d’un acte manifestement inapproprié, aux conséquences dommageables pour le parquet national financier, en particulier, et, plus généralement, pour l’institution judiciaire dans son ensemble.
En ce sens, il constitue un manquement déontologique aux devoirs de prudence et de loyauté.
Toutefois, il résulte des éléments du dossier disciplinaire et des débats à l’audience que cette dénonciation constitue le point d’orgue d’un vif conflit professionnel entre Mme P et M. X, qui est allé en s’aggravant sur une longue période de cinq années sans qu’une solution lui soit apportée.
Elle s’inscrit, par conséquent, dans un contexte très particulier et manifestement exceptionnel, M. X ayant pu légitimement se sentir traité avec défiance et mis à l’écart par sa cheffe de parquet, alors que les appréciations portées antérieurement sur sa manière de servir avaient été élogieuses et que sa grande implication professionnelle ainsi que ses compétences techniques étaient tout à fait reconnues. Il a donc pu agir, comme l’indique Mme J lors de son audition par les rapporteures, dans un contexte « de grande souffrance » au travail.
D’ailleurs, ni la procureure générale près la cour d’appel de Xx, ni le directeur des services judiciaires n’ont entamé de procédure disciplinaire à l’encontre de M. X à l’issue de son courrier, l’intéressé ayant fait l’objet d’un simple rappel à ses obligations déontologiques et ayant été affecté pour quelques mois au parquet général de Xx.
Eu égard à ce contexte professionnel délétère, le Conseil considère que les manquements déontologiques constatés n’atteignent pas un niveau de gravité les rendant constitutifs d’une faute disciplinaire.
Sur le grief d’avoir formulé des accusations dans des termes traduisant un manque de considération et du mépris qui n’ont pas leur place dans une communication institutionnelle, à l’encontre de sa supérieure hiérarchique ;
Il résulte du courrier du 17 janvier 2019 que M. X y a critiqué avec virulence la compétence professionnelle, la capacité à prendre des décisions ainsi que le comportement déontologique de Mme P. L’emploi de termes tels que « procrastiner » ou « incompétence », « panique » et « inexpérience » pour qualifier l’action de sa cheffe de parquet apparaissent outranciers, méprisants et vexatoires.
Ils contreviennent indubitablement aux obligations de délicatesse, de respect et de loyauté à l’égard de son supérieur hiérarchique et n’ont pas leur place dans un courrier adressé à la procureure générale près la cour d’appel de Xx.
Toutefois, le Conseil estime que, pour les mêmes motifs que ceux développés à l’occasion de l’examen du précédent grief, les manquements déontologiques relevés n’atteignent pas un niveau de gravité les rendant constitutifs d’une faute disciplinaire.
Sur le grief d’avoir eu recours à des vérifications selon des méthodes contestables et intrusives pour ses collègues alors qu’il ressort de son actuel chef de parquet qu’il n’a pas toujours un regard neutre et objectif
La demande du Premier ministre n’étant plus soutenue à l’audience par le directeur des services judiciaires, il n’y a pas lieu de se prononcer sur ce grief.
En conséquence, la formation disciplinaire du Conseil considère qu’en l’absence de toute faute disciplinaire commise par M. X, il n’y a pas lieu à sanction.
PAR CES MOTIFS,
La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet, statuant en matière disciplinaire,
Après en avoir délibéré à huis clos, hors la présence de Mme Sandrine Clavel et Mme Jeanne-Marie Vermeulin, rapporteures désignées ;
Déclare irrecevable l’exception d’illégalité de la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par le Premier ministre ;
Rejette l’exception d’illégalité de la saisine de l’Inspection générale de la justice par le garde des sceaux, ministre de la justice ;
Emet l’avis que M. X n’a commis aucune faute disciplinaire ;
Emet en conséquence l’avis qu’il n’y a pas lieu de prononcer une sanction disciplinaire à l’encontre de M. X ;
Dit que le présent avis sera adressé à M. X par la voie hiérarchique, à son premier conseil et qu’il sera transmis à Mme la Première ministre.
Fait et délibéré à Paris, le 19 octobre 2022.
La secrétaire générale,
Sophie Rey
Le président,
Jean-Paul Sudre