Le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet
CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE
Formation compétente à l’égard des magistrats du parquet
AVIS MOTIVÉ
sur les poursuites disciplinaires engagées contre M. X, substitut
La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet, statuant en matière disciplinaire, réunie le 21 janvier 2020 sous la présidence de :
M. Jean-Paul Sudre, avocat général à la Cour de cassation, président suppléant de la formation,
En présence de :
M. Yves Saint-Geours
Mme Hélène Pauliat
M. Georges Bergougnous
Mme Natalie Fricero
M. Jean Cabannes
M. Frank Natali
Mme Jeanne-Marie Vermeulin
M. David Charmatz
Mme Isabelle Pouey
M. Jean-François Mayet
Mme Marie-Antoinette Houyvet
M. Cédric Cabut
Membres du Conseil,
Assistés de Mmes Pauline Jolivet et Hélène Bussière, secrétaires générales adjointes du Conseil supérieur de la magistrature,
Vu l’article 65 de la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu la dépêche de la garde des Sceaux, ministre de la justice, du 15 février 2019 et les pièces annexées, saisissant le Conseil supérieur de la magistrature pour avis sur les poursuites disciplinaires diligentées à l’encontre de M. X ;
Vu l’ordonnance du 19 février 2019 désignant Mme Isabelle Pouey, membre du Conseil, en qualité de rapporteur ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, préalablement mis à sa disposition ainsi qu’à celle de son conseil ;
Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure, que M. X et son conseil ont pu consulter ;
Vu le rapport déposé par Mme Pouey le 25 novembre 2019, dont M. X a reçu copie le 2 décembre 2019 ;
Vu la convocation adressée à M. X le 26 novembre 2019, reçue le 2 décembre 2019 ;
Vu la convocation adressée à Maître A, conseil de M. X, le 26 novembre 2019, reçue le 27 novembre 2019 ;
Après avoir entendu, lors de l’audience du 21 janvier 2020 :
Mme Pouey, en son rapport ;
Mme Catherine Mathieu, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, assistée de Mme Joanna Garreau, magistrate au bureau du statut et de la déontologie du ministère de la justice, représentante du garde des Sceaux ;
En l’absence de M. X et de son conseil, Me A ;
Vu le courrier de M. X reçu le 27 janvier 2020 ;
Vu le courrier de Me A reçu le 27 janvier 2020 ;
A rendu, le 4 février 2020, le présent
AVIS
1 – Aux termes de l’article 54 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : « Le magistrat cité est tenu de comparaître en personne. Il peut se faire assister et, en cas de maladie ou d'empêchement reconnus justifiés, se faire représenter par l'un de ses pairs, par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ou par un avocat inscrit au barreau. »
En l’espèce, M. X, qui n’a pas comparu à l’audience du 21 janvier 2020 alors qu’il avait été régulièrement convoqué le 2 décembre 2019, n’a justifié d’aucun empêchement à comparaître.
Par courriel du 20 janvier 2020 adressé au secrétariat du Conseil supérieur de la magistrature, Me A a fait savoir qu’il serait absent à l’audience en raison du mouvement de grève du barreau de Paris et qu’il avait informé de sa décision M. X, dont il annonçait également l’absence.
Il convient de relever que Me A n’a produit, à l’appui de ce courriel, aucun élément justifiant l’absence de comparution en personne de l’intéressé et n’a formulé dans ce document aucune demande de renvoi de l’affaire à une audience ultérieure.
Aux termes de l’article 65 de l’ordonnance du 22 décembre 1958: « Si le magistrat cité, hors le cas de force majeure, ne comparaît pas, il peut être passé outre. »
Il est donc passé outre à l’absence de comparution de M. X.
2 - Aux termes de l’article 43 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire. »
Dans son acte de saisine, la garde des Sceaux reproche à M. X d’avoir imposé de façon répétée à un fonctionnaire du service des propos et des comportements à connotation sexuelle pendant la période où ils partageaient le même bureau, du 1er septembre 2017 au 1er octobre 2018, faits pour lesquels il a été condamné du chef de harcèlement sexuel par le tribunal correctionnel de xxxxx, le 18 décembre 2018, à la peine de cinq mois d’emprisonnement assortis d’un sursis avec mise à l’épreuve pendant trois ans.
Elle estime que de tels comportements caractérisent des manquements graves à la dignité, à l’honneur, aux devoirs de l’état de magistrat et à la délicatesse.
Elle ajoute qu’en persévérant dans ce type de comportements tout au long de l’année 2018 sans aviser d’une quelconque manière que ce soit ses supérieurs hiérarchiques, alors même que son chef de bureau l’avait, en juillet 2018, solennellement mis en garde sur leur caractère manifestement inadapté, M. X a manqué au devoir de loyauté inhérent à l’état de magistrat.
Elle souligne en outre qu’à raison de sa condamnation pénale en audience publique pour des faits qualifiés de harcèlement sexuel, M. X a gravement porté atteinte à l’image et au crédit de l’institution judiciaire.
Postérieurement à la saisine du Conseil supérieur de la magistrature, la décision du tribunal correctionnel a été confirmée par un arrêt de la cour d’appel de xxxxx du 7 juin 2019, devenu définitif.
3 – La matérialité des faits constatés par cette décision pénale, à laquelle s’attache l’autorité de la chose jugée, s’impose au Conseil.
Il résulte des pièces du dossier disciplinaire que M. X a commis ces faits de harcèlement sexuel pendant une durée de treize mois, au préjudice d’un collègue fonctionnaire partageant le même bureau que lui, en profitant de l’absence des autres membres de ce bureau et en poursuivant ses comportements et propos sexualisés, répétés et humiliants, malgré les demandes réitérées maintes fois par la victime de cesser ses agissements.
Il apparaît également que celle-ci ayant informé son chef de bureau de ces faits par courriel du 4 juillet 2018, dont M. X a reçu copie, celui-ci a été solennellement mis en demeure, le 6 juillet 2018, par ce chef de bureau, de cesser tous comportements de cette nature, dont il lui a été indiqué qu’ils pouvaient revêtir une qualification pénale.
Malgré cette mise en demeure, M. X a réitéré les faits, ce dont la victime a averti son chef de bureau par un nouveau courriel du 11 septembre 2018 qui a conduit à leur dénonciation, le 20 septembre 2018, au procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx par le secrétaire général du ministère de la justice, sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale.
S’inscrivant dans un contexte de comportement professionnel qualifié de « déviant » par le rapport d’enquête administrative de l’Inspection générale de la justice, versé au dossier de la procédure disciplinaire, il apparaît également que ces faits sont en lien avec un trouble de l’humeur ancien avec bipolarité de leur auteur, en voie de stabilisation clinique, et qu’au moment de leur commission, selon l’expertise psychiatrique réalisée au cours de la procédure pénale, M. X n’était « atteint d’aucun trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré sans l’abolir son discernement ou entravé le contrôle de ses actes ».
Il résulte en outre des constatations de l’enquête administrative et des éléments médicaux qui y figurent que M. X supportait de plus en plus mal son affectation au yyy, au regard de son état de santé et de la longueur de ses trajets domicile-travail à compter du mois de septembre 2015, date du déménagement du service auquel il appartenait, sans qu’une affectation plus proche de son domicile puisse lui être proposée.
L’existence de ces éléments de personnalité n’est cependant pas de nature à minorer l’extrême gravité de son comportement.
Par ailleurs, l’enquête administrative a également établi que M. X n’hésitait pas à se prévaloir de sa qualité de magistrat dans ses relations avec les fonctionnaires de son service rendues difficiles en raison de son inadaptation au travail en bureau partagé.
Dans le cadre de son audition par l’inspection, M. X a déclaré que ses comportements à l’égard de la victime avaient seulement pour objet de la faire rire et que les juges du tribunal correctionnel n’avaient pas compris cette explication. Il minimisait la portée des demandes faites par la victime de cesser ses agissements, ajoutant qu’il n’avait pas pris connaissance du courriel du 4 juillet 2018 et qu’il ne se souvenait pas de l’entretien qu’il avait eu avec son chef de bureau le 6 juillet 2018.
Il contestait la gravité des faits et l’élément intentionnel de l’infraction retenue à son encontre.
M. X a maintenu la même position lors de l’audition réalisée par le rapporteur au cours de la procédure disciplinaire.
Les agissements commis par M. X constituent des manquements aux devoirs de l’état de magistrat, à la délicatesse et à la dignité attachée à ces fonctions. Par leur gravité, ils caractérisent également une atteinte à l’honneur du magistrat.
En outre, en poursuivant ses comportements de harcèlement sexuel malgré la mise en demeure de cesser ses agissements émanant de son supérieur hiérarchique, le 6 juillet 2018, M. X a manqué au devoir de loyauté.
Par ailleurs, la presse nationale ayant fait état de la qualité professionnelle de l’auteur des faits, jugé en audience publique, ceux-ci ont eu un retentissement certain, tant au sein qu’à l’extérieur du service auquel il appartenait.
Il en est résulté une atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer aux justiciables et partant, une atteinte grave à l’image et au crédit de l’institution judiciaire.
4 – S’agissant de la sanction appropriée à la nature des manquements relevés et à la personnalité de M. X, il convient d’abord de souligner que l’affectation de l’intéressé au yyy, en qualité de substitut, faisait suite à une précédente procédure disciplinaire ayant donné lieu à une sanction de déplacement d’office prononcée par le garde des Sceaux le 16 janvier 2012.
Il apparaît ainsi que l’intéressé n’en a tiré aucune conséquence quant au respect des obligations déontologiques s’imposant à tout magistrat.
Il résulte en outre, tant des conclusions de l’enquête administrative que des éléments recueillis au cours de la procédure disciplinaire, que M. X, condamné pénalement, ne reconnaît ni la gravité des faits commis ni leur caractère intentionnel.
Ainsi, M. X a démontré qu’il avait perdu l’ensemble des repères déontologiques du magistrat dans des conditions qui ne lui permettent pas de poursuivre sa carrière au sein de l’institution judiciaire.
Le Conseil estime en conséquence y avoir lieu à prononcer à l’encontre de l’intéressé la sanction de mise à la retraite d’office prévue au 6° de l’article 45 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958.
PAR CES MOTIFS,
La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet, statuant en matière disciplinaire,
Après en avoir délibéré à huis clos, hors la présence du rapporteur,
Émet l’avis de prononcer à l’encontre de M. X, substitut, la sanction de mise à la retraite d’office ;
DIT que le présent avis sera transmis à la garde des Sceaux, ministre de la justice, et notifié à M. X par les soins de la secrétaire soussignée.
Fait à Paris, le 4 février 2020