Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
18/09/2012
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des collègues, Manquement au devoir de loyauté à l’égard des supérieurs hiérarchiques, Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice)
Avis
Déplacement d'office
Décision Garde des sceaux
Conforme
Mots-clés
auditeur de Justice
Carte bancaire
Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité
Condamnation pénale
Délicatesse
Déplacement d'office
Dignité
Escroquerie
Etat de magistrat
Honneur
Image de la justice
Internet
Loyauté
Probité
Substitut placé auprès du procureur général
Fonction
Substitut placé auprès du procureur général
Résumé
Utilisation frauduleuse par un auditeur de Justice en stage de pré-affectation –devenu magistrat après la publication du décret de nomination pendant la période de commission des faits -, de la carte bancaire d’un magistrat de la juridiction, qu’il a précédemment dérobé, pour effectuer des achats sur internet

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, réunie le 4 septembre 2012, à la Cour de Cassation, 5 quai de l'Horloge, Paris 1er

Vu l' article 65 de la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée ;

Vu la dépêche du garde des Sceaux, en date du 11 janvier 2011 et ses pièces annexées, saisissant pour avis sur les poursuites disciplinaires diligentées à l'encontre de Mme X, la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet ;

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Mme X, mis préalablement à sa disposition et communiqués en copie ;

Vu la convocation adressée le 10 juillet 2012 à Mme X et sa notification à l'intéressée le 13 juillet 2012 ;

Vu les lettres adressées le 10 juillet 2012 à Maître A, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, Maître C, avocate à la cour d' appel de xxxxx et M. B, président du tribunal de grande instance de xxxxx, conseils de Mme X ;

Vu l'ensemble des pièces produites et jointes au dossier au cours de la procédure et à 1' audience.

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L'affaire a été mise en délibéré au 18 septembre 2012 à l'issue des débats qui se sont déroulés publiquement dans les locaux de la Cour de cassation le 4 septembre 2012, au cours desquels, après rappel des termes de la saisine du Conseil par le Président de formation,

Mme Danielle DROUY-AYRAL a présenté son rapport préalablement communiqué aux parties, qui ont acquiescé à ce qu’il ne soit pas intégralement lu ;

Mme X a été interrogée sur les faits dont le Conseil était saisi et a fourni ses explications ;

M. Eric CORBAUX a présenté ses demandes tendant à la révocation de Mme X ;

Mme X, assistée de Maître A et de M. B, a été entendue en sa défense et a eu la parole en dernier, le principe de la contradiction et l'exercice des droits de la défense ayant été assurés.

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Aux termes de la saisine du garde des Sceaux, il est reproché à Mme X, nommée substitute placée auprès du procureur général près la cour d'appel de xxxxx par décret du 18 juillet 2007, d'avoir, au cours de sa formation initiale à l'Ecole nationale de la magistrature, sur les lieux de son stage juridictionnel de pré-affectation au tribunal de grande instance de xxxxx, dérobé les coordonnées de la carte bancaire d'un magistrat, qui lui avait laissé l'usage d'un bureau, et, de les avoir frauduleusement utilisées, entre le 28 juin 2007 et le 19 juillet 2007, pour l'achat notamment de vêtements sur des sites de vente par correspondance pour un montant global de 686, 62 euros.

Placée en garde à vue le 23 août 2007, Mme X a intégralement reconnu les faits et a indemnisé la victime. Elle a été condamnée le 12 décembre 2008, au terme d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, à la peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis avec non-inscription de la condamnation au bulletin numéro 2 du casier judiciaire.

Elle a expliqué avoir commis ces faits, qualifiés en séance «d 'appel au secours», dans un contexte de détresse morale et de souffrance physique, révélant avoir été frappée par son compagnon, dont elle était enceinte, lequel a été postérieurement condamné pour des violences commises à son encontre.

Mme X a été exclue de l'Ecole nationale de la magistrature par arrêté du garde des Sceaux du 11 octobre 2007, un arrêté du 13 octobre 2007 mettant fin à. ses fonctions d'auditrice de justice. Les dispositions du décret du 18 juillet 2007 la nommant substitute placée auprès du procureur général près la cour d'appel de xxxxx ont été rapportées par un décret du 16 novembre 2007.

Toutefois, Mme X ayant acquis le statut de magistrat par le seul effet du décret de nomination du 18 juillet 2007, le juge des référés du Conseil d'Etat a ordonné la suspension des décisions du garde des Sceaux des 11 et 13 octobre 2007, puis la section du contentieux du Conseil d'Etat a annulé, le 1' octobre 2010, le décret du 16 novembre 2007, rapportant les dispositions du décret de nomination. Mme X n'a cependant ni prêté serment ni été installée dans ses fonctions de magistrat placé auprès du procureur général près la cour d'appel de xxxxx, et ce, malgré l'arrêt du Conseil d'Etat susvisé et plusieurs demandes présentées en ce sens par l'intéressée.

Depuis sa sortie de l'E.N.M., nonobstant sa qualité de magistrat, elle continue à percevoir de l'Ecole les émoluments alloués aux auditeurs de justice, sans les primes attachées à l'exercice effectif de ces fonctions.

Les faits reprochés à Mme X, même s'ils sont intervenus pour partie antérieurement à sa nomination en qualité de magistrat, caractérisent un manquement grave aux devoirs de l'état de magistrat, à la probité, à la dignité et à l'honneur qui s'attachent à ces fonctions. Ils sont en outre contraires aux devoirs de loyauté et de délicatesse à l'égard des magistrats de la juridiction auprès de qui Mme X bénéficiait d'une formation. Ils portent enfin atteinte au crédit qui s'attache aux fonctions de magistrat et à l'image de l'institution judiciaire.

Mme X a, de fait, été suspendue pendant 5 ans de toute activité professionnelle, en dépit de l'ordonnance de référé du 1er février 2008 et de l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 1er octobre 2010. Dans ces conditions, la sanction de déplacement d'office hors du ressort de la cour d'appel de xxxxx où elle ne peut pas exercer en raison de sa garde à vue au sein des services de police locaux et de sa condamnation intervenue sur place, apparaît à ce jour et compte tenu des circonstances particulières de l'espèce comme la sanction la plus appropriée à la gravité des faits, au contexte de leur commission et à la personnalité de leur auteur.

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PAR CES MOTIFS,

Après en avoir délibéré à huis clos, et hors la présence de Mme Danielle DROUY­AYRAL, rapporteur ;

EMET L'AVIS de prononcer contre Mme X la sanction du déplacement d'office prévue à l'article 45 2° de l'ordonnance du 22 décembre 1958 précitée ;

Dit que le présent avis sera transmis au garde des Sceaux et notifié à Mme X par les soins du secrétaire soussigné.