Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
16/03/2001
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des collègues, Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Avis
Déplacement d'office
Décision Garde des sceaux
Conforme (27 mars 2001) - Sanction amnistiée
Mots-clés
Média
Faux (allégations)
Collègue
Mineur
Probité
Délicatesse
Institution judiciaire (confiance)
Déplacement d'office
Substitut du procureur de la République
Fonction
Substitut du procureur de la République
Résumé
Participation à un débat télévisuel au cours duquel une magistrate a évoqué l’existence de « charniers d’enfants ». Réitération de ces propos mensongers à la hiérarchie avec appui sur les dires d’un collègue

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet,

Vu l’article 65 de la Constitution ;

Vu l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu l’ordonnance modifiée n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu la dépêche du 28 juin 2000 de Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, au procureur général soussigné, saisissant la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, pour avis sur les poursuites disciplinaires exercées contre Mme X ;

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de ce magistrat mis préalablement à sa disposition ;

Considérant que l’affaire a été mise en délibéré à l’issue de débats qui se sont déroulés à huis clos dans les locaux de la Cour de cassation le vendredi 16 mars 2001 et au cours desquels :

- Mme X a comparu, assistée de M. Jean Ferré, président de chambre honoraire à la cour d’appel de Paris, et de Me Lev Forster, avocat au barreau de Paris ;

- après audition de M. le directeur des services judiciaires, le rapporteur a été dispensé par toutes les parties et les membres du Conseil de la lecture intégrale de son rapport qui leur avait été antérieurement communiqué ;

- Mme X a été interrogée sur les faits dont le Conseil était saisi et a fourni ses explications, M. le directeur des services judiciaires a présenté ses demandes, M. Ferré et Me Forster ont été entendus en la défense de Mme X qui a eu la parole la dernière, le principe de la contradiction et l’exercice des droits de la défense ayant ainsi été assurés ;

Considérant qu’en participant à l’émission télévisée intitulée « Paroles d’enfants » qui avait pour thème les enfants victimes d’abus sexuels et qui a été diffusée sur France 3, le 27 mars 2000 en soirée (et non le 26, comme indiqué dans l’acte de saisine), Mme X a affirmé notamment :

« Je peux vous dire qu’en région parisienne, j’ai effectivement eu connaissance de charnier(s) d’enfants ; je pèse mes mots. Je n’en dirai pas plus parce qu’il y a une instruction en cours, mais, voilà » ;

Considérant que dans un rapport adressé à sa hiérarchie, le 30 mars 2000, Mme X a réitéré ses propos, précisant notamment qu’étant en poste en qualité de juge d’instruction à V, à la fin des années 1980, elle avait « entendu parler » par l’un de ses collègues, M. Y, juge d’instruction, puis s’était entretenue avec des enquêteurs « bouleversés », de la découverte dans un champ, en Seine-et-Marne, d’un charnier contenant « une dizaine de cadavres d’enfants garçons et filles affreusement mutilés » ;

Considérant que les recherches effectuées alors dans le ressort des cours d’appel de W et de A n’ont pas permis de trouver la trace de quelque procédure que ce soit relative à un charnier d’enfants ; que M. Y affirme n’avoir jamais évoqué l’existence de tels charniers devant Mme X ;

Considérant que Mme X reconnaît à présent n’avoir, en fait, jamais eu de connaissance précise de l’existence de ces charniers dans la région parisienne ; qu’elle explique ses propos par l’état émotionnel dans lequel l’avait mise sa participation à une émission télévisée et par des rumeurs dont elle avait eu des échos ; qu’elle avoue n’avoir mentionné, dans le rapport précité, le nom de M. Y que par erreur et dans un moment d’affolement ;

Considérant qu’à défaut d’être étayés de solides éléments de preuve, les propos péremptoires tenus à la télévision par Mme X traduisent une légèreté, voire une inconscience et un manque de discernement déplorables, dans la mesure où ils étaient de nature, d’une part, à susciter les plus vives inquiétudes au sein des populations concernées et, d’autre part, à émouvoir sans raison l’opinion publique ;

Considérant au surplus, que Mme X ne saurait imputer ses fausses affirmations au seul trouble qu’elle éprouvait après la projection du documentaire qui précédait le débat auquel elle a participé ; qu’elle les a, en effet, réitérées tant dans son rapport écrit que lors de son audition par le procureur général près la cour d’appel de W, quelques jours après l’émission ;

Considérant, en définitive, qu’il y a lieu de retenir à l’encontre de Mme X un manquement grave au sens des responsabilités que l’on est en droit d’attendre d’un magistrat expérimenté ; que ses propos sont d’autant plus fautifs qu’ils ont été tenus par une personne ayant, à raison de sa fonction et de sa compétence, une voix a priori autorisée dans un domaine auquel l’opinion publique est particulièrement sensible ;

Considérant qu’il doit être, malgré tout, tenu compte, pour l’appréciation du niveau de la sanction disciplinaire qui s’impose, d’un dossier professionnel dans l’ensemble assez favorable et de l’engagement que Mme X manifeste en faveur de l’enfance en détresse ;

Par ces motifs,

Émet l’avis qu’il y a lieu de prononcer contre Mme X la sanction du déplacement d’office, prévue à l’article 45, 2°, du statut de la magistrature ;

Dit que le présent avis sera transmis à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, et notifié à Mme X par les soins du secrétaire soussigné.