Conseil d’État, section du contentieux, requête n° 208168

Date
18/10/2000
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des collègues, Manquement au devoir de pondération
Décision Conseil d'Etat
Rejet
Mots-clés
Poursuites disciplinaires (composition de la formation de jugement)
Poursuites disciplinaires (publicité des débats)
Poursuites disciplinaires (droits de la défense)
Poursuites disciplinaires (choix de la sanction)
CEDH
Détournement de pouvoir
Publication
Syndicat
Antisémitisme
Délicatesse
Collègue
Pondération
Rejet
Avocat général à la Cour de cassation
Fonction
Avocat général à la Cour de cassation
Résumé
Contestation de la légalité de la décision du garde des sceaux ayant prononcé la sanction disciplinaire de mise à la retraite d’office et du décret par lequel le Président de la République a mis fin à l’activité du magistrat. Utilisation dans une publication syndicale de termes créant un soupçon d’antisémitisme, aux fins de critiquer un collègue
Décision(s) associée(s)

Le Conseil d’État statuant au contentieux (section du contentieux, 6ème et 4ème sous-sections réunies),

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la section du contentieux,

Vu la requête enregistrée le 25 mai 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée pour M. X demeurant … ; M. X demande au Conseil d’État d’annuler pour excès de pouvoir :

1 - la décision en date du 25 mars 1999 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire de mise à la retraite d’office ;

2 - le décret du 29 mars 1999 par lequel le Président de la République a mis fin à son maintien en activité en surnombre ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution du 4 octobre 1958 modifiée notamment par la loi constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993 ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée ;

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 ;

Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Benassayag, conseiller d’État,
- les observations de Me …, avocat de M. X,
- les conclusions de M. Seban, commissaire du gouvernement ;

- Sur la légalité de la décision du garde des sceaux, ministre de la justice du 25 mars 1999 :

En ce qui concerne les moyens de légalité externe :

Considérant que lorsque le Conseil supérieur de la magistrature, dans sa formation compétente à l’égard des magistrats du parquet, est appelé à connaître, en vertu de l’avant-dernier alinéa de l’article 65 de la Constitution, de l’éventualité d’infliger une sanction disciplinaire, il ne dispose d’aucun pouvoir de décision et se borne à émettre un avis à l’autorité compétente sur le principe du prononcé d’une sanction disciplinaire et, s’il y a lieu, sur son quantum ; qu’ainsi, il ne constitue ni une juridiction, ni un tribunal au sens de l’article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’au demeurant, les stipulations de cet article, relatives aux contestations sur des droits et obligations de caractère civil et aux accusations en matière pénale, ne visent pas le régime disciplinaire applicable à des personnes qui, comme c’est le cas pour les magistrats de l’ordre judiciaire, participent, de par leurs fonctions, à l’exercice de la puissance publique et à la sauvegarde des intérêts généraux de l’État ; qu’il suit de là que les moyens tirés de l’irrégularité, au regard de l’article 6 de la Convention précitée, de l’avis émis par le Conseil supérieur de la magistrature sur le cas de M. X, ne peuvent qu’être écartés ;

Considérant que la composition du Conseil supérieur de la magistrature, notamment lorsqu’il est appelé à donner son avis sur les sanctions disciplinaires concernant les magistrats du parquet, est fixée par les dispositions combinées des troisième, quatrième et huitième alinéas de l’article 65 de la Constitution, dans leur rédaction issue de la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, et par la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 prise sur le fondement du dernier alinéa de l’article 65 ; qu’il en résulte que la composition de cette formation du Conseil repose, indépendamment de la préservation d’un équilibre entre, d’une part, les personnalités n’appartenant pas au corps judiciaire et, d’autre part, les membres ayant la qualité de magistrat, sur la nécessité d’assurer la représentation, au sein de cette dernière catégorie de membres, de magistrats du parquet appartenant aux différents grades de la hiérarchie ; que, par ces dispositions, la loi organique a entendu exclure qu’il soit fait application du principe selon lequel un agent public doit s’abstenir de siéger au sein d’un organisme appelé à émettre un avis sur la manière de servir d’un agent de grade hiérarchiquement supérieur ; qu’ainsi le requérant n’est pas fondé à soutenir que la composition du Conseil supérieur de la magistrature aurait été irrégulière du fait qu’ont siégé des magistrats membres dudit Conseil dont le grade est inférieur à celui de magistrat hors hiérarchie qui était le sien ;

Considérant que l’article 65 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature dispose, dans sa rédaction issue de l’article 21 de la loi organique n° 94-101 du 5 février 1994, que la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature « délibère à huis clos » ; que ces dispositions ne sont pas incompatibles avec l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la mesure où, comme il a été dit ci-dessus, le Conseil supérieur de la magistrature, lorsqu’il est appelé à émettre un avis sur les faits reprochés à un magistrat du parquet, n’intervient pas en tant que juridiction, et ne statue, en tout état de cause, ni sur une contestation portant sur des droits et obligations de caractère civil, ni sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale ;

Considérant que l’article 65 de l’ordonnance précitée implique qu’aient lieu à huis clos, non seulement la discussion à l’issue de laquelle les membres du Conseil supérieur arrêtent les termes de leur avis, mais également le déroulement des auditions prescrites par les dispositions combinées des articles 56 et 64, alinéa 2, de l’ordonnance du 22 décembre 1958 ;

Considérant, toutefois, que la publicité dont a fait l’objet l’audience au cours de laquelle M. X a présenté sa défense n’a pas, eu égard notamment au fait que l’intéressé ne s’y est pas opposé, vicié l’avis émis, dans les circonstances de l’espèce, par le Conseil supérieur ;

Considérant que l’article 56 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée, applicable aux magistrats du parquet en vertu du deuxième alinéa de l’article 64 de cette ordonnance, prévoit qu’après audition du directeur des services judiciaires au ministère de la justice et lecture du rapport fait par le membre du Conseil supérieur qui en a la charge : « le magistrat déféré est invité à fournir ses explications et moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés » ;

Considérant, d’une part, que la circonstance que le rapporteur se soit borné à rappeler oralement les aspects essentiels de son rapport écrit, lequel avait été communiqué au préalable à M. X, n’a pas affecté la régularité de la procédure ;

Considérant, d’autre part, que dans la mesure où M. X, qui avait été invité à s’exprimer en premier, a pu, après l’intervention du directeur des services judiciaires et du rapporteur, s’exprimer une nouvelle fois et assurer de manière complète sa défense, les dispositions de l’article 56 de l’ordonnance n’ont pas été méconnues ;

Considérant que si, aux termes de l’article 14 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994, « les propositions et avis de chacune des formations du Conseil supérieur sont formulés à la majorité des voix », aucune disposition n’exige qu’il en soit fait mention expresse dans le texte de la proposition ou de l’avis ;

Considérant, enfin, que le garde des sceaux, ministre de la justice, a décidé d’infliger la sanction proposée par le Conseil supérieur d’une mise à la retraite d’office et n’a donc pas prononcé une sanction plus grave en méconnaissance de l’article 66 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée ;

En ce qui concerne les moyens de légalité interne :

Considérant qu’ainsi que le rappelle l’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, constitue une faute disciplinaire tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état ou à la dignité ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. X a publié, dans le numéro de septembre-octobre 1998 de la revue d’une organisation professionnelle de magistrats, dont il était le rédacteur en chef, un article intitulé « mœurs judiciaires » consacré à M. Y, substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de ... ; que cet article, critique vis-à-vis de ce magistrat, se termine par les mots : « Tant va Y au four... qu’à la fin il se brûle » ; que ces termes ne peuvent qu’évoquer le génocide dont ont été victimes les populations juives pendant la seconde guerre mondiale ; que les faits reprochés, qui sont établis, constituent une faute disciplinaire quelles qu’aient pu être, par ailleurs, les intentions de M. X et sans que puisse être retenue la circonstance que l’article en cause a été publié dans le cadre de ses activités syndicales ; qu’en raison de leur gravité et du fait que l’intéressé, avocat général à la Cour de cassation, occupait un emploi élevé dans la hiérarchie judiciaire, le garde des sceaux, ministre de la justice, n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en lui infligeant la sanction de la mise à la retraite d’office ;

Considérant que si M. X avait dépassé l’âge d’admission à la retraite au moment des faits qui lui ont été reprochés, il avait été maintenu en activité dans les conditions prévues par la loi organique du 23 décembre 1986 ; que la mesure contestée pouvait, dès lors, être légalement prise à son encontre ;

Considérant que le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. X n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision du 25 mars 1999 du garde des sceaux, ministre de la justice ;

- Sur la légalité du décret du Président de la République du 29 mars 1999, mettant fin au maintien en activité en surnombre de M. X :

Considérant qu’en mettant fin au maintien en activité en surnombre de M. X, le Président de la République a tiré les conséquences nécessaires de la décision par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a, par sa décision du 25 mars 1999, légalement prononcé la mise à la retraite d’office de l’intéressé ; qu’en conséquence, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait dû être motivé en la forme est inopérant ; que le requérant n’est donc pas fondé à en demander l’annulation ;

- Sur les conclusions de M. X tendant à l’application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant que les dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l’État qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à M. X la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Décide :

Article 1er : La requête de M. X est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. X et au garde des sceaux, ministre de la justice.