Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
22/11/1991
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir d'impartialité, Manquement au devoir de probité (devoir de ne pas abuser de ses fonctions)
Avis
Déplacement d'office
Décision Garde des sceaux
Conforme (13 décembre 1991)
Mots-clés
Intervention
Impartialité
Probité
Abus des fonctions
Déplacement d'office
Substitut du procureur de la République
Fonction
Substitut du procureur de la République
Résumé
Intervention dans une enquête dans laquelle le magistrat était le plaignant

La commission de discipline du parquet, sur la poursuite disciplinaire exercée à l’encontre de M. X, substitut du procureur de la République près le tribunal de première instance de V,

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 70-642 du 17 juillet 1970, notamment les articles 63, 64 et 65 de ce texte ;

Vu la dépêche en date du 30 avril 1991 de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, à M. le procureur général près la Cour de cassation, président de la commission de discipline du parquet, saisissant cette commission pour avis sur la sanction disciplinaire que les faits retenus à l’encontre de M. X, substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de V, paraissent devoir entraîner ;

Vu l’enquête diligentée par M. Jean Libouban, avocat général à la Cour de cassation, rapporteur de la commission, et, sur commission rogatoire, par M. le premier président de la cour d’appel de V, l’entier dossier de la procédure ayant été préalablement communiqué à M. X et mis à la disposition de ses conseils ;

M. X a comparu le 12 novembre 1991, assisté de Me Tubiana, avocat à la cour d’appel de Paris, et de M. Carrier, premier substitut du procureur de la République près le tribunal de première instance de Nouméa, la parole lui ayant été laissée en dernier ; qu’après l’avoir mis en délibéré, la commission a donné le 22 novembre 1991 l’avis suivant :

Considérant que les faits ayant donné lieu aux poursuites peuvent ainsi être résumés :

M. X avait loué une maison d’habitation à Mme A ; ayant décidé, en décembre 1990, de quitter les lieux pour des raisons de convenances personnelles, il en a avisé la propriétaire, sollicitant la restitution du « dépôt de garantie » versé lors de la conclusion du contrat de bail, déduction faite du montant du dernier loyer mensuel ;

Estimant que la remise en état des lieux devait entraîner des frais qu’elle chiffrait à 62 000 francs C.F.P., Mme A retenait cette somme et restituait le solde à M. X ;

Celui-ci, jugeant que cette retenue était indue et constituait un abus de confiance, déposait plainte auprès des services de gendarmerie ;

Au cours de l’enquête préliminaire diligentée sur cette plainte, Mme A, qui avait été placée en garde à vue, signait à l’ordre de M. X un chèque du montant de la somme contestée, lequel était remis à ce magistrat qui classait la procédure ;

Considérant qu’il ne saurait être reproché à M. X d’avoir porté plainte à la gendarmerie plutôt qu’aux services de police, ce au mépris des règles de compétence territoriale ; qu’il ressort des débats qu’il s’est d’abord adressé au commissariat de police où il lui fut indiqué que sa plainte ne pourrait pas être rapidement traitée en raison d’une surcharge des services ;

Que par ailleurs la gendarmerie était également territorialement compétente et a donné instruction d’enquêter sur les affaires qui lui sont dénoncées ;

Considérant, en tout état de cause, qu’agissant alors en qualité de simple citoyen et sachant que l’instruction de sa plainte serait ainsi menée avec davantage de célérité alors qu’il était sur le point de rejoindre la métropole, le choix fait dans ces conditions par M. X ne saurait constituer une faute disciplinaire ;

Considérant, en revanche, que M. X reconnaît qu’il y avait un compte à faire avec sa bailleresse ; que quelles que soient les erreurs d’analyse faites par ce magistrat sur le caractère civil ou pénal du différend qui l’opposait à Mme A, il reste qu’en cette qualité il est intervenu pour obtenir restitution de la somme en litige ;

Qu’à cet égard il est à observer :
- qu’il a déposé plainte alors qu’il était substitut de permanence,
- que compte rendu du déroulement de l’enquête lui a été fait dans le cadre de ces fonctions,
- qu’avisé des contestations élevées par son adversaire sur le montant de la somme due, il a donné instructions pour que sa débitrice établisse un chèque à son nom,
- qu’il a obtenu des enquêteurs la remise de ce titre afin qu’il ne reste pas joint à l’enquête,
- que la procédure lui ayant été remise en mains propres le lendemain, il a procédé à son classement, sans enregistrement préalable ;

Considérant, qu’au vu de ces éléments, la commission a la conviction que M. X a consciemment, par sa démarche faite en dehors de tout contrôle hiérarchique, agi dans le but de gérer une enquête à laquelle il était personnellement intéressé et de peser ainsi sur un règlement pécuniaire rapide à son profit ;

Que ce faisant, il a abusé de l’autorité et des pouvoirs qui sont attachés à ses fonctions ;

Par ces motifs,

La commission, après en avoir délibéré à huis clos, émet l’avis suivant :

Les faits reprochés à M. X caractérisent à sa charge des fautes disciplinaires au sens de l’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 ;

Ils paraissent devoir être sanctionnés par le déplacement d’office ;

Dit que le présent avis sera notifié à M. X et transmis à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, par les soins du procureur général près la Cour de cassation, président de la commission de discipline du parquet.