Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
10/02/1978
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des collègues, Manquement au devoir de probité (devoir de réserve)
Avis
Abaissement d'échelon
Déplacement d'office
Décision Garde des sceaux
Conforme (14 février 1998)
Mots-clés
Audience
Déclaration
Probité
Réserve
Délicatesse
Collègue
Abaissement d'échelon
Déplacement d'office
Substitut du procureur de la République (premier)
Fonction
Premier substitut du procureur de la République
Résumé
Déclarations en audience publique sur une affaire étrangère à la compétence de la juridiction

La commission de discipline du parquet, sur la poursuite disciplinaire exercée à l’encontre de Mlle X, premier substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de V,

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 70-642 du 17 juillet 1970, notamment les articles 63, 64 et 65 de ce texte ;

Vu la dépêche en date du 29 novembre 1977 de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, transmettant le dossier personnel de Mlle X, premier substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de V, à M. le procureur général près la Cour de cassation, président de la commission de discipline du parquet, et le priant de réunir la commission afin de lui soumettre, pour avis, les faits reprochés au magistrat du parquet précité ;

Vu l’audition en date des 23 décembre 1977 et 13 janvier 1978 de Mlle X, à qui son dossier personnel avait été communiqué préalablement par M. Ernest Franck, conseiller à la Cour de cassation, désigné en qualité de rapporteur par arrêté de M. le procureur général près la Cour de cassation en date du 2 décembre 1977 ;

Attendu que Mlle X a comparu le 10 février 1978 devant la commission de discipline du parquet assistée de Me Lyon-Caen, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, et de M. Hubert Dalle, magistrat à l’administration centrale du ministère de la justice ; que M. Dontenville, directeur des services judiciaires au ministère de la justice, a été entendu ; que M. Franck, rapporteur, a lu le rapport ; que Mlle X a fourni ses explications et moyens de défense sur les faits qui lui étaient reprochés ; que M. Hubert Dalle et Me Lyon-Caen ont présenté la défense du magistrat déféré ;

Attendu qu’il est constant que le 18 novembre 1977, à l’ouverture de l’audience de police du tribunal d’instance de V, où devaient être jugées les contraventions de la cinquième classe, Mlle X, premier substitut, occupant le siège du ministère public, s’adressant à l’assistance composée de quelques avocats, de prévenus et de témoins, indiqua qu’elle avait une importante déclaration à faire en raison de la gravité des événements qui s’étaient déroulés récemment ; qu’elle exposa les circonstances relatives à l’extradition de l’avocat Klaus Croissant ; que celui-ci avait demandé à bénéficier du droit d’asile et avait fait l’objet d’une demande d’extradition des autorités allemandes ; qu’un avis favorable à l’extradition avait été émis par la chambre d’accusation de Paris et que le décret d’extradition avait été aussitôt exécuté ; que Mlle X exprima le sentiment qu’elle était, en sa qualité de magistrat, chargée de la mission de garantir les libertés et avait le devoir de manifester son inquiétude devant l’impossibilité pour la défense d’exercer utilement les recours déposés devant la Cour de cassation et le Conseil d’État, du fait de l’exécution immédiate du décret d’extradition, ce qui, selon elle, lui paraissait constituer une violation des droits de la défense ;

Attendu que le fait pour un membre du parquet d’utiliser ses fonctions en vue de se livrer, à l’audience d’une juridiction qui n’est pas saisie du litige, lequel échappe à sa compétence, à une déclaration de principe concernant une affaire qui s’est déroulée dans un autre ressort et dont l’exécution, incombant au seul gouvernement, ne l’autorisait pas, dans l’exercice de sa mission à l’audience, à faire des observations et à émettre des critiques quelconques, constitue une démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que lui imposaient ses fonctions ;

Attendu que, de l’aveu même de l’intéressée, cette démonstration préparée la veille a été faite de façon délibérée ;

Attendu que la faute ainsi commise par Mlle X, membre du parquet, doit s’apprécier, en application du second alinéa de l’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, compte tenu des obligations qui découlent de sa subordination hiérarchique ;

Attendu que son attitude ne saurait trouver de justification dans les dispositions, ni de l’article 66 de la Constitution, ni de l’article 5 de l’ordonnance n° 58-1270 précitée, ni de l’article 33 du code de procédure pénale ;

Attendu toutefois qu’il y a lieu de tenir compte de la carrière de Mlle X et de ses qualités professionnelles ;

Par ces motifs,

La commission, après en avoir délibéré à huis clos, émet l’avis que soit prononcé à l’encontre de Mlle X l’abaissement d’échelon assorti du déplacement d’office, sanctions prévues aux articles 45, 2° et 4°, et 46, alinéa 2, de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

Dit que le présent avis sera transmis à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, par les soins de M. le procureur général près la Cour de cassation, président de la commission de discipline du parquet.