Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
18/07/1963
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de loyauté à l’égard des supérieurs hiérarchiques, Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat (obligation d’assumer ses fonctions)
Avis
Déplacement d'office
Décision Garde des sceaux
Conforme
Mots-clés
Audience
Procureur général
Réquisitions
Pression
Supérieur hiérarchique
Loyauté
Etat de magistrat
Fonctions
Déplacement d'office
Substitut général
Fonction
Substitut général
Résumé
Mise en cause par un magistrat de ses supérieurs hiérarchiques au cours d’une audience de cour d’assises, suggérant que ceux-ci auraient exercé des pressions aux fins d’orienter ses réquisitions

La commission de discipline du parquet,

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, et notamment les articles 59 et suivants sur la discipline des magistrats du parquet ;

Vu la dépêche de M. le garde des sceaux en date du 4 juillet 1963, qui a saisi la commission de discipline des faits reprochés à M. X, substitut général à la cour d’appel de V ; ensemble le rapport de M. le procureur général près ladite cour du 11 mai 1963 ;

Vu les pièces de l’enquête à laquelle il a été procédé par M. Touren, désigné en qualité de rapporteur pour la présente affaire par M. le procureur général près la Cour de cassation, président de la commission ;

Ouï M. Touren, en son rapport,

Ouï M. X., à qui son dossier personnel, ainsi que les pièces de l’enquête et le rapport de M. Touren ont été communiqués, conformément aux articles 64 et 55 du texte précité ;

Attendu, en ce qui concerne les griefs qui pourraient être adressés à M. X au sujet du sens de ses réquisitions, que la liberté de la parole du ministère public est consacrée par l’article 33 du code de procédure pénale ; que la commission, dans ces conditions, n’estime pas devoir les retenir, ni même avoir à les examiner ;

Mais attendu que ce principe ne saurait couvrir les écarts d’expression, surtout lorsque ceux-ci sont étrangers au fond de l’affaire et qu’ils mettent en cause à la fois le lien de subordination hiérarchique qui est à la base de l’organisation du ministère public et l’autorité du procureur général dans le fonctionnement de ses services ;

Attendu qu’il est fait grief à M. X d’avoir, au cours d’une audience de la cour d’assises de V, laissé entendre dans son réquisitoire, par le caractère équivoque de ses propos, que si on avait pu l’obliger à tenir à cette audience le siège du ministère public, on ne pouvait l’obliger à requérir au-delà de ce que sa conscience lui dictait, laissant ainsi supposer une pression que le pouvoir hiérarchique aurait exercée sur lui ;

Attendu que si M. X conteste la matérialité de ces paroles, celles-ci peuvent être considérées comme établies, sinon dans leur exactitude littérale, du moins dans leur sens général, par les déclarations concordantes du procureur général et du président de la cour d’assises ;

Attendu que ce faisant M. X ne pouvait se dissimuler qu’il portait contre son chef hiérarchique une imputation dont la gravité lui échappait d’autant moins qu’il la savait sans fondement, puisqu’il a déclaré lui-même à la commission qu’il n’avait reçu de lui aucune instruction ni conseil quant au sens de ses réquisitions ;

Attendu en outre que M. X s’est plaint dans son réquisitoire d’avoir été chargé, malgré son état de santé, de l’affaire que l’on jugeait et a pris la cour et le public à témoins de l’injustice qu’il y avait à lui imposer de soutenir l’accusation dans les affaires les plus difficiles ;

Attendu que de pareils écarts de langage, en admettant même que leur auteur, emporté par les ardeurs incontrôlées de l’improvisation, n’ait pas eu d’intentions malicieuses à l’égard du procureur général, ce qui paraît incertain si l’on se réfère au comportement de M. X depuis que la procédure criminelle en question lui avait été attribuée, témoignent d’une absence grave de contrôle de la pensée et de maîtrise de la parole ;

Attendu que des faits ci-dessus exposés, il résulte que M. X a commis un manquement aux devoirs de son état ;

Attendu cependant qu’il convient de tenir compte de l’état de santé de l’intéressé qui a pu exercer une influence fâcheuse sur son équilibre nerveux ;

Par ces motifs,

La commission, à la majorité de ses membres,

Émet l’avis que M. X fasse l’objet d’une mesure de déplacement d’office.